L’Ambassade Universelle, ce fut la belle réussite de réunir sur une durée honorable à la fois un symbole fort, celui de l’ambassade qui n’a pas de pays, un lieu de vie et d’hébergement pas trop précaire, un centre social avec ses permanences juridiques et autres services d’accompagnement, un espace de culture, de création et de fête, un foyer enfin de lutte et de coordination des luttes.
Ces différentes dimensions, dont la réunion est plus que pertinente sur papier pour le combat et l’émancipation des sans-papiers, s’avèrent souvent incompatibles dans la pratique. Les squats de sans-papiers sont très temporaires et leurs conditions de vie précaires voire misérables. Les squats culturels ne sont pas ouverts aux sans-papiers, les centres sociaux de lutte sont rétifs à l’accueil de familles, les lieux d’hébergement durable frileux face aux fêtes ou à la politisation… Les militants présents sur tous les fronts n’ont pas le temps ou les compétences pour les services d’accompagnement, les associations ou les bénévoles qui proposent ces services préfèrent ne pas se politiser…
À l’Ambassade Universelle, tout cela a tenu ensemble pendant cinq ans. Parfois en se frictionnant, parfois en se renforçant l’un l’autre. Cela ne fut certainement pas sans difficultés. Je n’ai pas vécu l’expérience de l’intérieur pour mesurer celles-ci mais de l’extérieur, l’ensemble se maintenait en bonne forme et en bonne dynamique.
« Nous sommes tous des Libanais du Frioul. »
À l’époque, j’ai pu goûter l’arôme culturel et soutenir très modestement certains services de l’ambassade mais c’est aux luttes qui passaient par elle que j’ai le plus participé. En particulier, la belle et brève expérience avant-gardiste de la CLIC : la coordination pour la liberté d’installation et de circulation. L’idée a émergé à l’issue de l’atelier « droit d’asile » du premier Forum social de Belgique en septembre 2002. Sans garder de liens avec le Forum, quelques participants se sont donné rendez-vous à l’Ambassade Universelle, qui était partie prenante de la proposition, avec la Ligue des Droits de l’Homme, les Piments rouges et les collectifs de résistance aux centres fermés de Bruxelles et de Liège. Sous les auspices d’une citation de Marcel Mariën « Nous sommes tous des Libanais du Frioul », le manifeste s’est voulu d’emblée intransigeant en faveur de l’arrêt des expulsions, la suppression des centres fermés, des permis de travail, des titres de séjours précaires et de la double peine, l’élargissement du droit d’asile et une politique de migration régulière pour tous… La seule position tenable. La CLIC a joué un rôle de transmission et d’intensification dans les fortes mobilisations de 2003 en faveur des migrants : les Afghans à Flagey, les Équatoriens à Saint-Gilles, les Iraniens au Béguinage et à l’UL B, la dénonciation de la collaboration de KLM aux expulsions, le procès des militants du Collectif contre les expulsions, la commémoration des cinq ans du meurtre de Semira Adamu. Pour cette dernière, la CLIC s’est impliquée comme tant d’autres dans la manifestation et le rassemblement festif à la salle de la Madeleine le 21 septembre 2003 et s’est illustrée le 22 septembre en dressant devant l’Office des étrangers un cimetière éphémère de 400 croix de bois brut, symbolisant les 4000 derniers qui sont tombés en tentant de franchir une frontière pour s’affranchir d’un horizon sans perspective.
La CLIC n’a pas perduré longtemps. Elle s’est essoufflée ou dispersée après avoir vainement tenté de s’élargir. Mais son esprit souffle encore dans les luttes de celles et ceux qui l’ont connue et la radicalité de ses revendications a fait du chemin parmi les défenseurs des migrants.
Renverser pour la sonorité et le sens de l’acronyme l’ordre de la circulation et de l’installation n’était pas sans considération politique. À première vue, on commence par se déplacer puis on s’installe ; les migrants revendiquent d’abord le droit de circuler librement – comme le font la grande majorité des Occidentaux – et ensuite celui de pouvoir prendre pied dans le pays de leur choix. Cependant, on constate que c’est à partir du moment où ils reçoivent un permis de séjour ou d’établissement, que les étrangers commencent à circuler vraiment librement, vers où ils veulent et comme bon leur semble. En outre, vu les discriminations dont ils sont victimes, la précarité de leurs droits et même de leur liberté de circulation si elle était reconnue, le droit d’installation permet de réduire celles-ci et d’évacuer l’idée d’une liberté de circulation néolibérale où tout circule, les capitaux, ceux qui les font circuler et ceux qu’ils font circuler mais selon des régimes différenciés qui font fructifier les profits. Ce qui est la situation que nous connaissons actuellement même si elle n’est pas reconnue légalement.
Mathieu Bietlot
militant contre l’enfermement des étrangers
et pour la liberté de circulation