Inter-Environnement Bruxelles
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2004, naissance d’Up Site : tutoyer les nuages en tuant un quartier populaire

2004, c’est l’année où Pétitions-Patrimoine lance une pétition de classement pour tenter de sauver les entrepôts Delhaize (1913) sis au Quai des Péniches en face de Tours & Taxis, là où trône aujourd’hui la tour de logements haut de gamme Up Site, celle dont son promoteur Atenor dira : « Avec Up Site, le Bruxellois va tutoyer les nuages » [1].

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Au début des années 2000, on observe les premiers frémissements de la transformation des abords du canal entre Sainctelette et le Pont des Armateurs. La KBC vient d’y développer ses bureaux et, en 2001, le site de Tours & Taxis est vendu par la SNCB et le port de Bruxelles à Leasinvest, un groupe immobilier d’Ackermans & Van Haaren. Juste en face, la Ville de Bruxelles organise, à partir de 2002, Bruxelles les Bains. Ces changements, au beau milieu de quartiers industriels très populaires, n’échappent pas à Atenor et à son CEO, Stephan Sonneville. Le développeur acquiert, mi-2000, la parcelle qui accueille les entrepôts Delhaize pour un montant surestimé de 20 millions d’euros, largement au-dessus du prix du marché pour un terrain portuaire. Stephan Sonneville sait-il déjà, pour débourser un tel prix, que la Ville de Bruxelles votera trois ans plus tard un plan particulier d’affectation du sol (PPAS) autorisant, d’une part, un changement d’affectation pour permettre la construction de logements et de bureaux et imposant, d’autre part, un gabarit minimum de 100 m de haut ? Stephan Sonneville répondra de façon sibylline à cette question : « Il y a eu convergence entre les pouvoirs publics et moi » [2]. Il est patent que la Ville de Bruxelles souhaitait disposer d’une tour de standing à cet endroit dans le cadre de son plan de réhabilitation du « quartier du canal ».

Le projet d’Atenor vise à construire 30.000 m² de bureaux (répartis en 4 bâtiments de 7 étages) et 50.000 m² de logements répartis dans une tour de 41 étages (140 m de haut) ! Le tout assorti de 752 places de parking sur 4 niveaux en sous-sol. Un projet aussi massif nécessite forcément la destruction du site industriel remarquable des entrepôts Delhaize construits en 1913. Ceux-ci étaient reliés au rail et les trains pouvaient pénétrer directement dans le bâtiment. En style Art nouveau, les façades étaient ornées d’une vingtaine de sgraffites réalisés par l’atelier de Paul Cauchie. En 2004, Pétitions-Patrimoine (soutenue par le BRAL, IEB et BruxellesFabriques) tenteront de sauver le site en déposant une pétition de classement auprès de la Région. La Commission Royale des Monuments et des Sites (CRMS) rendit un avis favorable à la demande de classement mais, peine perdue, la Région ne jugera pas nécessaire d’en tenir compte et délivrera les permis pour la démolition de l’entrepôt en 2008.

Deux ans plus tard, Atenor obtiendra ses permis pour la désormais plus haute tour de logements en Région bruxelloise

Toujours plus haut, mais pas plus vert !

Atenor ne se privera pas de vendre son projet comme « durable ». Une analyse de son bilan environnemental démontre pourtant l’inverse.

En 2013, dans son Bruxelles en mouvements, IEB dressera en effet le bilan carbone du projet [3] à un moment où le complexe est en cours de construction. Le bilan CO2 du projet Up Site est particulièrement défavorable. L’étude d’incidences du projet avouait que la consommation énergétique du bâtiment (68 kWh/m²/an) serait le double du standard basse énergie et le quadruple du standard passif. Les performances énergétiques du nouveau bâtiment sont à ce point médiocres qu’il n’est pas possible de compenser l’énergie grise contenue dans les bâtiments détruits et reconstruits : destruction d’environ 40 000 m² d’entrepôts et de 5 000 m² de bureaux. Atenor part avec un déficit de près de 10 000 tonnes équivalent CO2, avant même la construction, soit l’équivalent de 30 millions de km parcourus en voiture. Si l’on y ajoute la construction du complexe de bureaux et de logements, on arrive à environ 28 000 tonnes équivalent CO2, soit la production annuelle moyenne de 15 000 terriens.

Selon les calculs d’IEB, le projet UP Site, trop gourmand en énergie pendant son exploitation, ne pourra jamais compenser l’énergie grise perdue lors de l’opération de démolition-reconstruction. Parmi toutes les alternatives possibles, seule celle qui consistait à rénover le bâtiment historique en le dotant d’un système de chauffage neutre du point de vue de l’émission de gaz à effet de serre aurait permis d’aboutir à un bilan CO2 équilibré, au bout de 30 ans d’exploitation.

Il apparaîtra en outre que les nouveaux logements de la méga-tour n’étaient pas raccordés au grand collecteur de la rive droite, qui conduit les eaux usées vers la station d’épuration du Nord de Bruxelles. Les eaux usées se déversaient donc directement dans la Senne, sans être assainies donc. [4] Le problème sera résolu en 2015, une station de pompage permettant d’envoyer les eaux usées des centaines de logements jusqu’au collecteur en passant par au-dessus de la Senne. Mais qui a payé la note ?

Toujours plus haut, toujours plus cher

Lors de la délivrance du permis en 2010, la presse annonce que la tour Up Site offrira des logements à un prix raisonnable et presque accessible aux Bruxellois, soit 2 000 €/m² HTVA. [5] Ce montant est loin de la réalité qui fut pratiquée, sauf peut-être pour un studio. Stephan Sonneville, lui-même, affirmera que le mètre carré du projet Up Site lui avait coûté en moyenne entre 3.000 et 3.200 euros/m². Si le promoteur prévoyait un investissement de 110 à 120 millions d’euros au moment du dépôt du permis, ce sont déjà 150 millions d’euros qui étaient annoncés par la presse en 2010. [6] Les prix pratiqués en 2013 tournaient déjà en moyenne autour de 4 500 euros/m² HTVA. Un prix bien plus élevé que le prix moyen de l’époque. [7]

Ceci dit, les prix baisseront en effet car Atenor essuiera les plâtres d’être le premier à investir dans ce quartier populaire : « J’ai gagné en notoriété suite à Up-site (…) Je pensais gagner de l’argent, cela n’a pas été le cas. J’ai vendu tous les appartements, mais j’ai dû baisser les prix. » Il mettra plusieurs années à vendre la totalité des appartements malgré une campagne publicitaire menée tambour battant visant à attirer les investisseurs en promettant un retour sur investissement de 4 % à un moment où les taux d’intérêt étaient au plus bas. Une bonne partie de ces habitations ne seront jamais occupées par leurs propriétaires, mais constituent des produits financiers avant d’être des lieux de vie et sont loués sur Airbnb.

Le dernier étage, le fameux penthouse à 360° du 41ᵉ étage, sera mis en vente à plusieurs reprises. Il partira lors d’une mise aux enchères en 2015 à la moitié de son prix initial de vente. [8] En 2020, on pourra lire dans la DH que : « Le penthouse le plus haut de Belgique est à vendre. Mis en vente par l’agence immobilière Latour et Petit au prix de 3,5 millions d’euros - soit 6 500 euros du mètre carré  ». [9]

Les pouvoirs publics mettront pourtant le paquet pour aménager les abords : « Les quais au pied de UP-site seront entièrement réaménagés dans les prochains mois. La Ville de Bruxelles et le Port (propriétaire du Quai des Péniches) ont trouvé un accord pour réhabiliter totalement les abords du canal. Autrefois laissés à l’abandon, les quais offriront une véritable invitation à la promenade...

Les pieds de la tour sont réservés au commerce. (…) Et non loin, on pourra aussi compter à partir de 2017 sur la présence du Moma de Bruxelles, qui devrait s’installer dans les bâtiments de Citroën. » [10]

Les élus iront jusqu’à promettre le déménagement de diverses activités économiques installées le long du bassin Vergote, perçues comme des nuisances par les habitant.es de la tour, avant de fort heureusement se raviser.

Une locomotive spéculative

Up-Site peut être considérée comme la première gated community verticale de Bruxelles, un bâtiment à l’obsession sécuritaire qui fait fi de son environnement immédiat. La mixité prônée par la propagande d’Atenor se résume en un îlot de richesse replié sur lui-même. La plus haute tour de logements de Bruxelles englobe une conciergerie, une salle de cinéma privée, un espace junior, un spa, une salle de fitness, un restaurant et un bar lounge, le tout entièrement sécurisé et minimisant au maximum les liaisons avec le quartier. Sa plus-value pour les habitant.es en place est nulle !

Mais aucun doute ne plane sur le fait que la tour a indubitablement servi de locomotive à la transformation du quartier. Depuis son érection, d’autres projets immobiliers tant privés que publics ont pris place :

  • les massifs développements publics et privés sur le site de Tours & Taxis [11],
  • les logements haut de gamme de Canal Wharf sur le quai des Péniches,
  • le relifting en logements des anciens bureaux de la KBC, [12]
  • le projet public de musée d’art contemporain Kanal sur l’ancien site de Citroën [13]
  • le projet public de parc/promenade le long de l’avenue du Port.

Up Site a permis de légitimer les projets immobiliers le long du canal tout en condamnant progressivement la dimension socio-économique portuaire et populaire sise autour du bassin Béco.


[1Soir Immo, 26 avril 2012.

[2« Pour se loger, Bruxelles compte sur les promoteurs », in Alter Echo, n° 469, décembre 2018.

[3M. Schmitt, M. Sonck et N. Prignot, « Quel bilan CO2 ? », in Bruxelles en mouvements, n° 265, août 2013.

[5« Premium va gratter le ciel », in Le Soir, 30 juin 2010.

[6La Capitale, 30 juin 2010.

[7M. Sonck, « Le Droit à la Ville : quelles perspectives pour un syndicalisme urbain ? », novembre 2013 : Le Droit à la Ville : quelles perspectives pour un syndicalisme urbain ?

[8« Penthouse Up-Site vendu avec une réduction de 60 pour cent », in De Tijd, décembre 2015.

[9« L’appartement le plus haut de Belgique est à vendre : 3.500.000 euros ! », in La DH, 9 novembre 2020.

[10« Comment ça fait d’habiter dans la tour Up-site ? », in LLB, 30 juin 2014.