« Ensemble pour la santé », un projet initié par la Plate-forme d’action Santé & Solidarité (la PASS), fête ses cinq ans. À son actif, une mobilisation de citoyen·es et d’associations de différents secteurs et, depuis 2019, un chantier ouvert sur les liens ente santé et mobilité. Tour d’horizon de nos avancées où la crise sanitaire s’est invitée sans crier gare.
2017… Citoyen·es et professionnel·les de différents secteurs des quatre coins du pays se retrouvent pour échanger sur la santé. Car oui, les projets locaux qui misent sur la participation des citoyens font santé et la promotionnent très certainement. À l’origine de cet évènement, un groupe de professionnel·les issu·es des secteurs de la santé, de la promotion de la santé, du social, mais aussi quelques habitant·es passionné·es et impliqué·es dans des initiatives citoyennes. En 2019, plus fort·es de l’engagement et de la présence de citoyen·es, nous décidons de creuser la question des liens ente santé et mobilité. En 2020, la crise sanitaire s’est invitée à la table de nos échanges. Qu’à cela ne tienne, nous optons pour réorienter le projet en cherchant à cerner les effets du confinement sur la mobilité. Nous épluchons et échangeons des articles, travaillons à un questionnaire pour récolter des témoignages de citoyen·es et élaborons une grille de lecture pour croiser tout ce matériel.
Émaillées de témoignages, constats et interrogations, les lignes qui suivent vous proposent un morceau de notre cheminement.
2019, nous voici donc arrimés au thème de la mobilité. Nous passons d’abord par une étape de définition et de recueil de nos représentations sur ce que recouvre ce thème. Le constat est dressé : tous et toutes, nous partageons la conviction que la mobilité est un facteur qui influence positivement ou négativement notre santé. De ces échanges, se dégage une vision large de la mobilité : c’est le fait de pouvoir se déplacer aussi bien physiquement, au quotidien et sur le long terme (si on pense à la migration par exemple) que socialement et virtuellement (si on pense à la capacité à se projeter, à se déplacer sur l’échelle sociale).
La mobilité est étroitement liée à la santé, autrement dit c’est un « déterminant de la santé ». D’abord et parce qu’elle nous permet de nous mouvoir, la mobilité participe à notre activité physique et est vectrice d’autonomie et d’émancipation. Elle permet également l’accès aux services (sociaux et de santé), aux offres (alimentaires, de loisirs) et aux contacts sociaux. Aussi, les temps de déplacement plus ou moins longs peuvent jouer sur notre qualité de vie. Son accessibilité pour tous et toutes est donc un enjeu majeur de santé publique. Or, il existe encore de trop nombreuses inégalités, qu’elles soient géographiques (certains quartiers étant mieux desservis par les transports en commun que d’autres), physiques (des lieux publics n’étant pas toujours adaptés aux personnes à mobilité réduite), financières (se déplacer pouvant coûter cher), de genre (une femme seule ne se déplaçant pas de la même manière qu’un homme seul), psychologiques (sentiment d’insécurité routière, prises de risque), environnementales (pollutions sonores, circulation accrue), ou encore administratives (circulation des personnes sans papier).
Ces inégalités peuvent se cumuler, entravant encore davantage la capacité d’une personne à se mouvoir et impactant in fine sa santé.
En mars, le confinement stoppe net la liberté de circulation, impactant par là également la santé des populations : report de soins, approvisionnement alimentaire au plus proche même quand l’offre est réduite, diminution des contacts sociaux, isolement, sédentarité… Le moral et la santé mentale des Belges en prennent alors un coup !
Ici aussi, les conséquences sur la santé de la population se voient réparties inégalement. Et les médias le relayent fortement : la crise du coronavirus exacerbe des inégalités préexistantes, voire crée de nouvelles inégalités.
Pour documenter la manière dont cela est vécu par notre groupe, nous effectuons une dizaine d’interviews par téléphone. Une façon également de maintenir le lien avec les citoyen·es malgré l’arrêt des activités.
Voici quelques retours de ces témoignages et de nos réflexions à ce propos. Si certaines personnes ont limité au maximum leurs déplacements (par peur du virus, par méconnaissance ou incompréhension de certaines règles, par peur des contrôles d’identité), d’autres ont redécouvert la marche comme mode de déplacement privilégié : « Pendant le confinement j’ai pris du poids et mon médecin m’a demandé de faire plus d’activité physique alors je marche beaucoup et comme ça j’évite d’être avec les gens ». Pour d’autres encore, les déplacements ont été facilités pendant le confinement : « Mon mari ne travaillait pas, donc la voiture était toujours disponible », « Mon trajet vers le bureau me prenait 40 minutes au lieu d’une heure trente habituellement ».
Quel que soit leur quartier, les interviewé·es ont tous ressenti une amélioration de leur environnement lors du confinement. Ils témoignent d’une diminution des bruits et de la pollution ainsi que d’une meilleure qualité de l’air : « J’ai pu observer la diminution de la pollution sur ma peau et mes cheveux : mon coton de visage était propre tout le temps du confinement ! », « Durant le confinement, c’était comme des dimanches sans voiture ».
Si les reports de soins pendant le confinement ne sont pas liés directement à la mobilité mais à l’annulation des rendez-vous par les services de santé, notons qu’ils ont pu impacter la santé physique des personnes et par là leur mobilité : « Je bénéficie d’un traitement aux orteils régulièrement et je n’ai pas pu en bénéficier pendant le confinement alors que cela impacte ma capacité à marcher ». La numérisation des services sociaux et de santé pour répondre aux mesures de sécurité liées au Covid pose la question de leur accessibilité : la fracture numérique est encore très forte. Comme énoncé plus haut, la mobilité comme nous l’entendons n’est pas uniquement quotidienne et immédiate, elle dépasse les frontières, en témoigne cette personne : « Mon plus grand regret est de ne pas pouvoir partir au Maroc car les frontières sont fermées et qu’il y a beaucoup de Corona. D’habitude je pars chaque année au Maroc ».
La réduction des contacts sociaux a plongé certaines personnes dans un état d’isolement. L’impossibilité de rendre visite aux proches est particulièrement difficile à vivre pour les personnes qui vivent seules ou qui sont à risque. Ces témoignages vont dans le sens de l’enquête réalisée par Sciensano : près de 60 % des sondés sont insatisfaits de leurs contacts sociaux. Ils n’étaient que 8 % dans l’enquête santé de 2018 [1].
Enfin, notons que la crise sanitaire a entraîné une nouvelle répartition de l’espace public : de longues files sur les trottoirs, des aménagements temporaires, une augmentation du nombre de cyclistes…
Aujourd’hui, alors que nous sommes dans un nouveau confinement, mais moins strict que le précédent, nos déplacements sont soumis à une nouvelle contrainte : celle du port du masque dans les transports en commun et les espaces publics à forte fréquentation. Est-ce que cela entrave la mobilité de certaines personnes ? Ou au contraire, cette mesure peut-elle les rassurer, leur permettant ainsi d’oser sortir ? La question reste ouverte.
Divers mouvements et initiatives citoyennes ont émergé pour répondre, dans l’urgence, aux besoins de certaines personnes particulièrement fragilisées par la crise sanitaire [2].
En effet, de nombreu·ses habitant·es ont rencontré des difficultés à s’approvisionner pour des raisons financières, mais également pour des raisons de mobilité ou d’accessibilité aux denrées. Pour répondre à ces difficultés, des réseaux d’entraide, allant d’un niveau familial ou de voisinage à des initiatives plus structurées, sont apparus au sein des quartiers. Des mouvements citoyens se sont organisés pour collecter des vivres (comme « Collectmet ») ou même les livrer (comme les Brigades populaires de Saint-Gilles).
Des initiatives citoyennes, s’apparentant selon les dires des participant·es à de vrais apprentissages d’organisation de solidarité, ont aussi vu le jour. Ainsi, près de la porte d’Anderlecht, des bénévoles se sont organisés pour collecter les invendus des magasins et les redistribuer et, ce faisant, se sont découverts une vraie fibre civique : « Avec un groupe de potes, on s’est dit qu’on ne pouvait pas rester les bras ballants quand on savait que dans le quartier il y avait des situations très compliquées… Première démarche, pas simple, convaincre les responsables de petites enseignes du coin de céder leurs invendus puis penser au dispatching. On savait qui avait besoin mais comment approcher ces personnes ? Il a fallu gagner la confiance… Puis on s’est organisés ; le groupe de bénévoles s’est élargi, le bouche à oreille a fonctionné. Maintenant, on nous a à la bonne dans le quartier, on a l’impression qu’on fait partie d’une communauté, bien soudée » commente Olivier.
L’espace public a également été réapproprié par les habitant·es. Tel est le cas, par exemple, de la rue ouverte à Molenbeek. Comment s’échapper des appartements confinés ou trop exigus et/ou rompre l’isolement sans aller très loin ? Des riverains ont fait en sorte que des rues puissent être investies de jeux d’enfants et des papotes entre voisin·es… Voitures non admises et distances physiques respectées !
On observe donc, dans cette période de confinement et de renforcement des inégalités, de nombreuses initiatives nées au plus proche des réalités. Nous ne relevons que quelques exemples mais il en existe quantité d’autres qui témoignent aussi de la créativité et de la pertinence de ces actions. Elles se sont développées pour répondre à des besoins et se sont adaptées rapidement, en regard de l’évolution de la situation, là où les dispositifs politiques traditionnels ont été lents à se mettre en place.
Ces initiatives citoyennes sont l’illustration d’une capacité d’observation et d’écoute des personnes et des quartiers, de réactivité, de réflexion et d’entraide. Elles confortent dans l’idée, déjà défendue par la plateforme Agora [3], qu’il y a urgence à inclure la population dans les prises de décision. Dans son courrier à la Première Ministre, cette plateforme, comme tant d’autres, a marqué son étonnement quant aux profils des experts censés conseiller nos politiques face à cette pandémie : acteurs sanitaires (épidémiologistes, virologues) ou économiques. Quelle place pour les citoyen·es ? La gestion de cette crise semble les avoir envisagé·e·s comme des destinataires de consignes d’hygiène à suivre, voire comme responsables de la propagation du virus… leur faisant endosser des rôles, tels que confectionner des masques et des équipements pour nos soignant·es ou mettre en place les dispositifs d’urgence exemplifiés plus haut, pour pallier l’imprévoyance ou le manque de réactivité de celles et ceux qui nous gouvernent. Les citoyen·es ont pourtant montré bien d’autres compétences et capacités d’initiatives.
Quelle place pour les citoyen·es ? La gestion de cette crise semble les avoir envisagé·e·s comme des destinataires de consignes d’hygiène à suivre, voire comme responsables de la propagation du virus…
Le projet Ensemble pour la Santé parie sur les expertises d’habitant·s, expert·es de leur vécu, croisées avec celles d’associations (des secteurs de l’éducation permanente, de la promotion de la santé, du social, ou d’autres impliquées dans la mobilité). Ensemble, nous partageons nos constats et questions, soutenu·es dans notre réflexion par des études, des enquêtes, des échanges et des observations présentées et mises en débat par d’autres associations expertes dans les questions de mobilité (comme par exemple Provélo, Responsible Young Driver, IEB ou le Bral). La constitution et la manière de travailler du groupe évoluent au gré de ces rencontres et débats : un état des lieux se construit. Et progressivement émergent des propositions, des idées pour pallier des manques et répondre à des besoins simples ou plus complexes. Ensemble, nous réfléchissons aux possibles changements, nous construisons un plaidoyer communautaire pour une mobilité plus équitable.
[2] Agora et Collectifs citoyens : « Lettre ouverte à Madame la Première Ministre
[3] Agora et Collectifs citoyens : « Lettre ouverte à Madame la Première Ministre