Depuis des années, IEB se soucie du devenir du quartier Midi (voir notre dossier « Les immeubles-tours ») : un quartier populaire mais soumis à forte pression immobilière depuis l’arrivée de la gare TGV en 1996 et qui a dû accueillir 300 000 m² de bureaux sortis de terre en l’espace de 15 ans au prix de nombreuses expropriations. Les besoins actuels du quartier sont multiples, que ce soit en terme de logements accessibles, de cicatrisation d’un espace public malmené et d’une meilleure organisation de la mobilité aujourd’hui chaotique.
En 2013, IEB consacrait au quartier tout un dossier dans son Bruxelles en mouvements : « Midi-Biestebroeck : un urbanisme à la dérive ». Cinq ans plus tard, les choses sont au point d’arrêt. Schéma de développement, Plans particuliers d’affectation du sol, Master Plan, adoptés, abrogés ou à venir, s’y succèdent sans que jamais la Région ne parvienne à finaliser un outil de régulation de la zone. Un schéma directeur est au frigo depuis 2011 notamment en raison du bras de fer entre la Région et la SNCB.
Aujourd’hui, le quartier fait l’objet d’un plan d’aménagement directeur (PAD). Permettra-t-il au quartier de sortir de cette impasse et de répondre aux besoins premiers du quartier ? Celui-ci reprend le concept de « gare habitante » que l’on retrouvait déjà dans le schéma directeur. L’idée est séduisante mais nous laisse rêveur. De un parce que les errances du passé ne seront pas simples à rattraper, ensuite parce que les choix qui émergent vont vers une densification massive au nom de la mixité des fonctions et pour contenter les appétits de la SNCB et des promoteurs.
Les bonnes nouvelles
Certaines avancées sont indéniables. Ainsi l’abandon de la nouvelle trémie sur l’avenue Fonsny destinée à l’enterrement du tram 81 est une bonne chose. D’une part parce qu’elle allait contribuer à créer une barrière supplémentaire dans un espace public déjà largement malmené et fragmenté, d’autre part parce qu’elle contribue à cette logique perverse de l’enterrement du transport public pour laisser l’espace en surface libre à la voiture.
Les autres bonnes nouvelles viennent des avancées dans les négociations avec la SNCB. La SNCB a enfin fait savoir qu’elle abandonnait son projet de gare internationale qui gelait toute initiative depuis de nombreuses années. Les déficits budgétaires de la SNCB sont passés par là.
La volonté de la SNCB, grand propriétaire foncier dans la zone, de regrouper ses bureaux dans un seul bâtiment à rénover plutôt qu’à construire est aussi à saluer. Le bâtiment centre de tri postal est à l’abandon depuis 15 ans. La SNCB projette d’y installer tous ses bureaux actuellement dispersés rue de France, rue Bara et rue de Mérode. Et ce au grand dam d’Atenor qui espérait pouvoir louer à la SNCB les nouveaux bureaux qu’il envisage de construire dans le cadre du projet Victor. Il est vrai que le jeu de domino est un classique du quartier ce qui explique que l’essentiel des surfaces de bureaux sont occupées par des opérateurs publics. Toujours est-il que par ce choix la SNCB va regrouper 140 000 m² sur 80 000 m², une initiative anti-gaspi judicieuse. Mais que faire des bureaux lâchés par la SNCB ? C’est une autre histoire (lire ci-dessous).
La parité 50-50 n’a pas que des vertus
La mixité des fonctions semble être le véritable leitmotiv du PAD (comme il l’était du schéma directeur) mais si cet objectif conduit à justifier une densification à outrance en construisant toujours plus et plus haut dans un quartier déjà dense, on a du mal saisir les vertus de l’opération. Le « 50% bureaux-50% logements » sonne comme un slogan qui ne doit pas se faire au détriment de l’équilibre du quartier comme espace d’accueil, de production et disposant des infrastructures et équipements suffisants. À l’heure actuelle le quartier s’est déjà alourdi en 15 ans de 300 000 m² de bureaux supplémentaires. L’argument massue de la proximité de la gare connaît ici ses limites. Tout d’abord aucune donnée n’objective les moyens de locomotion utilisés par les navetteurs qui travaillent dans le quartier. Par ailleurs, la première question à se poser est le besoin de la fonction envisagée. 77% des bureaux sont à l’heure actuelle occupés par la fonction publique alors que l’optique était d’attirer des opérateurs privés internationaux, mais force est de constater que la demande n’est pas là. La vacance des bureaux est passée de 6,8% en 2016 à 8,4% en 2017. Au vu du nombre de mètres carrés de bureaux vides en Région bruxelloise et de l’augmentation de la vacance immobilière dans un quartier qui n’en connaissait pas jusqu’à présent, est-il pertinent d’envisager autant de superficies de bureaux supplémentaires ?
De ce point de vue, le devenir des bâtiments quittés par la SNCB pose question. L’option choisie est de confier l’ensemble des superficies à un seul opérateur privé suite à un appel d’offre. Il faudra être vigilant à la réaffectation d’une part aussi importante de surfaces d’un foncier stratégique. Il faudra éviter que la spéculation en cours dans le quartier mène à construire une superficie écrasante de bureaux et de logements ne répondant pas aux besoins du quartier et que les équipements et infrastructures indispensables qu’ils nécessitent ne voient jamais le jour. Ceci suppose notamment que le PAD cadre particulièrement les affectations et les gabarits autorisés sur ce périmètre.
Trop de logements, trop tard et pas assez publics
Oui, la Région a besoin de logements, oui la population bruxelloise est en augmentation. Encore faut-il identifier plus précisément les besoins des Bruxellois ou des nouveaux arrivants. Les données socio-démographiques montrent qu’une bonne partie de l’accroissement de la population concerne des personnes dotées d’un pouvoir d’achat assez faible. Or le schéma directeur appuyé par le projet de PAD envisage un pourcentage faible de logements sociaux. Pour les projets connus comme le projet Victor du promoteur Atenor, on sait que l’intention est de construire plusieurs tours dont la plus haute de 140 mètres de haut serait destinée à accueillir 300 à 350 appartements à des prix au standing moyen à élevé.
Le projet de logements sociaux sur le boulevard Jamar est peu crédible et semble plus être là pour rassurer sur la volonté de créer de logements sociaux qui risquent de ne jamais voir le jour. La barre prévue à cet endroit risque de créer une rupture supplémentaire dans un quartier dont c’est le fardeau historique. La construction de cet immeuble sera très coûteuse, compte tenu de l’encombrement actuel et futur du sous-sol (trémie tram, tunnels trams et pré-métro, nouveau tunnel métro), même en considérant que le foncier sera mis à disposition par l’autorité publique.
La création de logements sociaux dans le quartier devrait s’opérer par une meilleure régulation des projets immobiliers en imposant des quotas de logements sociaux allant de 15 à 25% selon la nature et la dimension du projet. Le Schéma directeur prévoit seulement 10 000 m² de logements sociaux.
Le phasage proposé par le schéma directeur pose aussi question dès lors que la phase 1 prévoit 80 000 m² de bureaux pour 65 000 m² de logements, alors que la phase 2 prévoit 80 000 m² de bureaux et 150 000 m² de logements. Il faudrait faire en sorte que l’équilibre soit préservé à toutes les phases et non donner la priorité aux bureaux. Pour Victor, il est essentiel que les permis logements et bureaux soient liés.
Un espace public à soigner
L’espace public est peu lisible et depuis de nombreuses années malmené et traité à coup de grilles et de blocs de béton. Par ailleurs les coupures sont nombreuses : au-delà de celles crées par les voies ferrées, il y a celles crées par le bâti comme celles du Bloc 2. L’option choisie serait de le démolir. Il s’agit pourtant d’un bâtiment d’à peine 15 ans. La rupture a aussi été créée par la fermeture de la galerie du Midi Atrium. Ne faudrait-il pas commencer par réaffecter cet espace en permettant son ouverture et sa traversée plutôt que de procéder à une énième démolition-reconstruction très coûteuse en bilan carbone.
Une autre coupure est créée par la fermeture du parc Grisar depuis de nombreuses années. Là aussi, une meilleure gestion de l’espace public devrait permettre sa réouverture.
On le voit, des aménagements simples pourraient très sérieusement améliorer le confort et la convivialité des espaces.
Par ailleurs, les gabarits prévus par le schéma directeur sont très élevés et vont rendre les espaces publics prévus au pied des tours inhospitaliers (ombres portées, effets de tourbillons) que le soin apporté aux socles ne parviendra pas à compenser.
Mobilité
L’accès voiture dans le périmètre est déjà saturé aujourd’hui. La densification prévue va amplifier la congestion même si des mesures sont prévues dans le schéma directeur.
Il est hors de question de prévoir la norme actuelle RRU pour les bureaux et logements créés dans le périmètre alors que nous sommes dans un des territoires bruxellois les mieux desservis de la Région bruxelloise en transport public, argument d’ailleurs utilisé pour justifier la densification de la zone. Il importe aussi de concrétiser la mutualisation des parkings, comme proposé dans le schéma directeur, d’autant que de nombreux parkings restent vides à des horaires où ils pourraient être utilisés pour le logement.
La question du transport de marchandises semble en général peu prise en considération alors que nous sommes dans un quartier où l’activité économique reste et doit rester importante. Le transport de marchandises ou de petits colis notamment, implique, par exemple l’organisation d’espaces de livraison et de stockage adéquats.
On le voit, les questions à régler par le PAD sont nombreuses et c’est seulement si les éléments énumérés ci-dessus sont pris en considération qu’on pourra parler d’une gare habitante.
Vous pouvez prendre connaissance des remarques de l’ARAU et des remarques du Bral. Vous trouverez les procès-verbaux des réunions d’information organisées par Perspective Brussels sur le PAD Midi ici : http://perspective.brussels. |
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