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1998 : La Convention d’Aarhus, levier majeur de la démocratie participative dans le domaine de l’environnement

Palais des Nations unies à Genève © Groov3 - 2017

La Convention d’Aarhus, levier majeur de la démocratie participative dans le domaine de l’environnement

1. – L’année 1998 est marquée par l’adoption, sous les auspices des Nations-Unies, de la célèbre Convention d’Aarhus, qui régit l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice en matière d’environnement. L’objectif poursuivi par la Convention d’Aarhus est de permettre, en donnant voix au public, l’adoption de meilleures décisions en matière environnementale et l’application efficace de celles-ci.

Si elle est un pan incontournable de la démocratie, il est de la nature du Pouvoir de ne pas aimer se partager. Le gouvernement bruxellois a ainsi, au fil du temps, élaboré diverses stratégies de contournement du débat public. Face à des manquements parfois élémentaires dans le respect des procédures mises en place sur la base de la Convention, habitant·e·s et associations, dont IEB, se voient obligés de se tourner vers la justice pour ramener les autorités publiques ou les promoteurs privés à des attitudes plus raisonnables et respectueuses. Ce rôle des associations environnementales a par ailleurs été voulu par la Convention d’Aarhus.

2. – Le manque d’implication et de sensibilisation du public serait une des causes de la dégradation de l’environnement. Dans le fil de la déclaration de Rio de Janeiro sur l’environnement et le développement de 1992, aux termes de laquelle « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient » [1], trente-neuf États européens – dont la Belgique – ont signé, le 25 juin 1998, la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. La Convention d’Aarhus crée trois instruments de procédure, qui correspondent aux trois piliers de la Convention : le droit à l’information, le droit à la participation et, enfin, le droit de recours.

3. – En matière de droit à l’information (premier pilier), la Convention d’Aarhus contient un régime de publicité active et un régime de publicité passive.

Selon le régime de publicité active, les autorités publiques, qu’il s’agisse des communes ou des instances régionales, ont l’obligation de diffuser d’initiative certains documents administratifs. Les documents ainsi visés sont, entre autres, l’inventaire des subventions accordées par l’autorité concernée au cours de l’année précédente, l’inventaire des marchés publics conclus par cette autorité au cours de l’année précédente, les plans et programmes adoptés en matière d’urbanisme et d’environnement (PRAS, PPAS, PAD, RRU, COBRACE, Good Move, plan de gestion de l’eau, etc.) ou encore les permis d’urbanisme, de lotir et d’environnement qui ont fait l’objet d’un rapport ou d’une étude d’incidences sur l’environnement, à savoir les permis autorisant des projets de grande ampleur. En Région de Bruxelles-Capitale, ces documents doivent apparaître sur le site internet des différentes autorités, au sein d’une rubrique « transparence » [2].

La publicité passive est le droit des particuliers de solliciter la communication de certaines informations en matière d’environnement et, corrélativement, l’obligation des autorités publiques de laisser l’accès à ces informations. Le demandeur d’accès à l’information ne doit pas justifier d’un intérêt. En revanche, il existe des motifs légitimes de refus (demande abusive, document incomplet, document confidentiel, etc.). A ce titre, toute personne peut demander et obtenir de l’administration qu’elle lui communique, par exemple, un permis d’urbanisme autorisant un projet destiné à s’implanter dans son quartier, mais aussi le dossier de demande de permis et les avis émis par les différentes instances administratives (la C.R.M.S., Bruxelles Environnement, le fonctionnaire délégué, la commission de concertation, etc.) au cours de la procédure de délivrance du permis, et ce, même en dehors de la période d’enquête publique [3].

Il arrive fréquemment que les autorités rejettent une demande d’accès à l’information sans fondement légal apparent. Cette semaine encore, on nous a refusé la communication d’un permis d’urbanisme au motif que…le délai de recours au Conseil d’État n’a pas encore expiré.

La Convention d’Aarhus exige qu’une procédure de recours soit organisée par les États membres ; en Région de Bruxelles-Capitale, l’instance de recours est la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). En mai 2022, IEB a sollicité de l’administration de l’urbanisme (Urban.brussels) qu’elle lui communique la copie des procès-verbaux des réunions de projet du premier trimestre 2022 [4]. Face au silence persistant de l’administration, IEB s’est résolue à saisir la CADA, laquelle a considéré que la demande d’IEB n’était pas abusive et a enjoint à Urban de lui communiquer les documents demandés.

4. – Ensuite, la Convention d’Aarhus prévoit la possibilité pour les particuliers de participer au processus décisionnel en matière environnementale (deuxième pilier). A Bruxelles, cette forme de participation du public s’exerce principalement dans le cadre de la délivrance des permis (d’urbanisme, de lotir, d’environnement), d’une part, et de l’élaboration des plans et programmes (PRAS, PPAS, RRU, PAD, COBRACE, Good Move, plan de gestion de l’eau, etc.), d’autre part. Elle se matérialise par l’organisation d’une enquête publique et, dans certains cas, d’une réunion de la commission de concertation.

A lire la Convention, la participation du public doit commencer au début de la procédure, « lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence » [5]. Cette exigence n’est pas respectée en droit bruxellois, où l’enquête publique intervient trop tardivement pour permettre une modification substantielle du projet.

Ceci est d’autant plus vrai que la réforme du CoBAT de 2017 a supprimé, pour ce qui concerne les projets soumis à étude d’incidences sur l’environnement, l’étape d’élaboration d’un cahier des charges spécifique au projet par le comité d’accompagnement, après enquête publique et avis de la commission de concertation [6]. L’enquête publique sur le cahier des charges et l’avis de la commission de concertation qui lui faisait suite constituaient une étape essentielle de la procédure d’évaluation des incidences, dès lors qu’elle permettait au public concerné de donner son avis, à un moment adapté de la procédure, sur :
- les éléments qui doivent être particulièrement étudiés dans l’étude d’incidences ;
- l’aire géographique de l’évaluation des incidences du projet ;
- les impacts cumulatifs à prendre en considération avec les projets existants ou envisagés ;
- les alternatives ou variantes d’implantation et de réalisation.

Grâce à la vigilance d’un habitant et avec l’appui d’IEB, un recours en annulation a été introduit contre cette réforme devant la Cour constitutionnelle. Un des moyens d’annulation dénonce, sur la base notamment de la Convention d’Aarhus, la suppression de l’enquête publique sur le projet de cahier des charges de l’étude d’incidences. La Cour ne nous a cependant pas suivi sur ce point, considérant qu’il ne s’agit pas d’une régression sensible du niveau de protection de l’environnement. Ceci dit, de plus en plus de voix s’élèvent au sein de l’administration de l’urbanisme pour réinstaurer cette étape.

En outre, depuis peu, en Région de Bruxelles-Capitale, le demandeur de permis a l’obligation de déposer le dossier de demande de permis sur la plateforme Openpermit pendant la durée de l’enquête publique. C’est une très bonne chose, qui facilite grandement l’accès aux documents et donc la participation du public. Toutefois, des manquements sont régulièrement observés : certains documents ne sont pas accessibles dès le début de l’enquête publique, d’autres sont tout simplement absents. C’est ainsi, par exemple, que Bpost a omis de charger sur Openpermit l’étude d’incidences sur l’environnement et les plans de son projet de parking de 678 emplacements à Anderlecht, se contentant de rendre disponibles le formulaire de demande de permis et une note explicative de deux pages. Un comble pour une société anonyme de droit public ! A la suite d’un courrier de notre avocat, les documents ont été déposés et l’enquête publique recommencée.

5. – Enfin, la Convention d’Aarhus s’efforce de promouvoir un large accès à la justice (troisième pilier). Elle règle spécialement l’accès à la justice des associations qui se donnent pour objet la protection de l’environnement. En substance, les associations qui œuvrent en faveur de la protection de l’environnement sont d’office présumées avoir un intérêt suffisant dans le cadre de recours contre les projets qui ont ou sont susceptibles d’avoir un effet important sur l’environnement au sens de la Convention. Le Comité d’examen du respect des dispositions de la Convention a déjà condamné la jurisprudence du Conseil d’État relative à l’intérêt à agir des organisations de protection de l’environnement, considérant qu’elle faisait une lecture restrictive de la Convention et ne reflétait pas l’objectif d’un large accès à la justice [7]. A force de recours introduits par des associations, dont IEB, la jurisprudence du Conseil d’État a évolué dans le bon sens dans la période récente. Le débat démocratique en sort ainsi grandi.

6. – La Convention d’Aarhus ne garantit pas comme tel un droit à la protection de l’environnement. En reconnaissant à toutes et tous le droit d’être informé, de participer au processus décisionnel et d’agir en justice, elle n’en constitue pas moins une avancée majeure pour la démocratie participative dans le domaine de l’environnement. Si les principes sont prometteurs, la mise en œuvre est imparfaite. Nous en avons vu quelques exemples. Les habitants et les associations, visés au premier chef par la Convention, répondent cependant présents pour défendre et faire vivre les droits procéduraux qui leur sont ainsi reconnus.


[1Principe n° 10.

[2Décret et ordonnance conjoints du 16 mai 2019 relatifs à la publicité de l’administration dans les institutions bruxelloises, art. 6 et s., spéc. 12 et 14. Cette obligation n’est pas toujours bien respectée, surtout en ce qui concerne les permis d’urbanisme, de lotir et d’environnement qui ont fait l’objet d’une étude ou d’un rapport d’incidences sur l’environnement.

[3Décret et ordonnance conjoint du 16 mai 2019, préc., art. 17 et s.

[4Organisées dans le cadre de la procédure de délivrance des permis d’urbanisme, les réunions de projet sont des sorte de pré-concertation entre les autorités administratives et les porteurs de projets. Elles ont lieu à huis clos et sans aucune publicité. Ces négociations derrière portes closes rendent souvent caduc le processus de concertation, les riverains se voyant régulièrement opposer que le projet qui leur est soumis est le fruit d’un subtil équilibre longuement négocié auquel il serait risqué de toucher. De surcroît, les procès-verbaux des réunions de projet, lorsqu’ils existent, ne sont pas librement accessibles, renforçant le sentiment de mystification des habitant.es.

[5Art. 6, § 4, de la Convention.

[6Le cahier des charges de l’étude d’incidences sur l’environnement est désormais fondé sur un modèle-type de cahier des charges et est arrêté par le comité d’accompagnement sans mesure particulière de publicité préalable.

[7ACCC, Conclusions et recommandations au sujet de la communication ACCC/C/2005/11 relative au respect par la Belgique des obligations découlant de la Convention d’Aarhus pour ce qui est du droit des associations de défense de l’environnement à l’accès à la justice, 16 juin 2006.