La friche Josaphat est une des dernières réserves foncières du Nord de Bruxelles. Elle doit devenir un nouveau quartier public et privé. Commons Josaphat propose d’en faire un quartier « en commun ». Un projet similaire est devenu réalité sur Les Plaines-du-Loup à Lausanne. Pourquoi pas à Bruxelles ?
Commons Josaphat réunit des habitants et des associations de la Région bruxelloise autour de la nécessité de produire et de gérer la ville comme une ressource commune. Ils sont autonomes et libres de toute appartenance politique. Ils n’agissent pas comme un bureau d’étude. Ils n’agissent pas comme un syndicat qui aurait la force de ses affiliés et la légitimité du nombre. Ils n’ont pas la prétention d’habiter sur la friche. Ils agissent comme des citoyens et des associations concernés par leur ville, qui souhaitent être force de proposition ; au-delà de la simple enquête publique ou de l’extériorité critique. Ils souhaitent occuper le terrain et les idées avec d’autres manières de produire la ville.
La Friche Josaphat
Pour commencer à construire la ville en bien commun, un terrain s’est imposé : la friche Josaphat. Il s’agit d’une des dernières réserves foncières de la Région de Bruxelles-Capitale. Elle s’étend sur 24 hectares, soit une superficie de quelque 32 terrains de football. Elle a été rachetée par la Région au Fédéral au travers d’un véhicule financier, la SAF , Société d’Acquisition Foncière, future Société d’Aménagement Urbain. Le gouvernement régional a approuvé en première lecture un schéma de développement qui trace le devenir de cette friche en prévoyant la construction de 1875 logements et la création de plusieurs milliers d’emplois. Aucun contrat n’est encore passé avec des tiers, ce qui maintient toutes les orientations ouvertes. Commons Josaphat prend acte de ce programme. Il répond à un coût d’acquisition et rencontre les nécessités de compacité de la ville durable. Il questionne la manière dont ce morceau de ville est fabriqué et les garanties de son accessibilité sur le très long terme.
La nécessité à laquelle cette démarche répond
La ville produit de la valeur par l’effort que l’ensemble des citoyens y injectent, soit au travers de leurs impôts en produisant la puissance publique, soit au travers de l’investissement de leurs revenus dans l’achat, la rénovation ou la construction de leur espace de vie et de travail. Cette valeur est aujourd’hui accaparée au travers de la propriété privée. Un bâtiment aux abords d’un nouveau parc gagne en valeur sans qu’aucun effort individuel n’ait été fourni. Cette nouvelle valeur revient au propriétaire.
Pour pallier cette appropriation, deux mécanismes existent : la propriété publique ou la fiscalité. La propriété publique est fragile. Selon la conception de l’exécutif ou les nécessités d’un mandat, elle peut rapidement être démantelée et c’est d’autant plus vrai en ces périodes de disette des ressources publiques. Reste la fiscalité qui permettrait de capter par une série de mécanismes le gain en valeur. Ce levier est très peu utilisé par la classe politique étant donné sa faible valeur médiatique et électorale. En découle une ville dont la valeur est régulée par l’attente de gains des propriétaires privés. La valeur des biens augmente ; les loyers augmentent ; l’espace devient cher donc rare et accessible à une portion chaque fois plus faible de la population.
Une approche par les communs, au-delà de la production privée et de la production publique, au-delà de la propriété privée et de la propriété publique, au-delà de l’appropriation privée et de la décision publique devient un champ de réponses nécessaire à investir.
La perspective des communs
Quand il parle de « commun », Commons Josaphat renvoie à :
Les communs dans la production de la ville et sa gestion
En synthèse, la production de la ville n’est plus un domaine qui ressort de la seule décision de l’exécutif politique accompagné d’une expertise technique. Elle doit être un choix collectif sur une manière de traduire dans l’espace notre nécessité d’habiter, de nous rencontrer, de circuler et de subvenir à nos besoins.
Cette redistribution du pouvoir au niveau de la conception de la ville peut également se traduire dans sa gestion sur le long terme et dans la décision sur l’affectation de ses bénéfices. Cette gestion est aujourd’hui assumée sur un mode binaire. Les espaces publics et les bâtiments publics sont gérés, entretenus et potentiellement cédés par le pouvoir public au travers du droit administratif et des pouvoirs exécutifs. Les autres espaces sont gérés, entretenus et potentiellement cédés par leur propriétaire privé. Les coûts liés à la gestion et les bénéfices liés à la cession reviennent aux propriétaires, soit publics, soit privés. Commons Josaphat propose de raffiner cette manière de produire et de gérer la ville.
Des choses acquises en deux ans d’existence
Commons Josaphat formule une proposition concrète après deux ans de travail. Elle adopte la perspective des communs pour proposer une conception des espaces publics, du logement, des structures écologiques, de la mobilité, des finances, de la gouvernance et du phasage du futur quartier. [1]
Par ailleurs, le débat sur l’appauvrissement public avance. Les autorités évoluent vers une volonté de travailler avec l’emphytéose non seulement sur le site de Josaphat, mais également sur d’autres fonciers en maîtrise publique. Loin du développement de la ville en bien commun, c’est une avancée positive.
Sans que ce soit le fruit de l’action de Commons Josaphat, l’occupation réelle du territoire a commencé. Le Théâtre des Nouveaux Disparus y a sa base arrière. L’asbl Dewey développe un potager urbain en lien avec des voisins du site. Et la SAF a lancé un appel aux auteurs de projet sur la définition des espaces verts et des espaces publics du site Josaphat.
Reste, en vrac et sans ordre, à :
Pourquoi pas chez nous ?
Le 9 octobre 2015, dans le cadre du festival Le Temps des Communs, Commons Josaphat a organisé une rencontre avec Régis Niederoest et une quarantaine de personnes, urbanistes, voisins de la friche Josaphat, parlementaires impliqués dans les communs bruxellois, militants et associations.
Régis est bénévole dans l’Association Ecoquartier des Plaines-du-Loup et raconte l’expérience d’une friche de 38 hectares qui s’étend aux abords de Lausanne. Pour le développement du site, les autorités ont accepté la proposition de l’association : faire le pari de la co-décision. Il est question de 2 500 logements et 3 000 emplois sont en jeu, enjeu similaire à Josaphat, dans un contexte de marché immobilier tendu comme le contexte bruxellois.
Contexte des Plaines-du-Loup
Le développement de la Friche se déroule sur la période 2008-2017. La réflexion a commencé par l’établissement du programme en 2008. En mars 2010, un concours international d’urbanisme a mis aux prises 54 candidats. En septembre de la même année, le projet « ZIP » de Tribu architecture séduit le jury et remporte le 1er prix. Sur la base du projet lauréat, les études du Plan directeur localisé (PDL) ont été lancées en octobre 2010. Le PDL a dû tenir compte des objectifs du concours, à savoir le respect de la mixité fonctionnelle et sociale, l’intégration de l’écoquartier dans la continuité urbaine ainsi que son exemplarité d’un point de vue énergétique et environnemental.
Le Plan directeur localisé des Plaines-du-Loup a été déposé à l’examen préalable en avril 2012 et a été adopté par le Conseil communal le 20 mai 2014. Les plans particuliers d’affectation sont en cours de réalisation.
Là où le commun commence : la production de la ville
L’association Ecoquartier s’est montée à l’initiative d’habitants de Lausanne. Elle a très vite trouvé écho au sein de la municipalité. Elle compte aujourd’hui plus ou moins 200 membres, dont une trentaine sont fortement actifs. Outre la mise en débat au travers d’un concours d’urbanisme, la conception de la ville est accrochée en permanence à des dispositifs de concertation. Dès l’amont, en 2008, l’association et la ville collaborent pour lancer l’appel « 1001 idées pour l’écoquartier ». Elles sont jointes au cahier des charges du concours d’urbanisme. Lors de l’élaboration du plan directeur, des consultations publiques sont organisées. Des ateliers de participation accompagnent l’établissement de tous les plans particuliers d’affectation qui l’opérationnalisent et sur la trame des espaces publics qui se dégagent. Ce processus débouche sur une exposition fin 2013. En 2014, avant la définition des lots, des ateliers de participation sont élaborés pour définir les besoins. Suite à chaque attribution de lots, des ateliers de participation seront organisés pour préparer les appels d’architectes.
Les concours d’architecture pour le développement des lots sont maintenant lancés. L’enquête publique suivra les dépôts de demande de permis. Pour prendre le parallèle avec Bruxelles, il s’agit du seul moment légalement imposé aux pouvoirs publics pour concerter la population. Espérons qu’ils ne s’en tiennent pas à cette obligation mesquine pour estimer que la ville est le fruit d’une réflexion partagée. La suite est de la même teneur. Une fois les travaux terminés, de nouveaux ateliers de participation seront lancés pour travailler l’aménagement des espaces communautaires. Enfin, les derniers ateliers sont agendés pour 2017, où il s’agira de discuter de l’organisation de la vie de quartier.
Là où le commun sous-tend : la propriété de la ville
Au-delà des éléments d’un engagement franc sur la conception, l’association fait évoluer les positions de la ville au travers du débat sur toute une série de points. Ils discutent les critères d’attribution des marchés par exemple, en imposant des critères d’accessibilité pour l’emploi peu qualifié ou des quotas de logements à réaliser en auto-promotion.
Le débat entre l’association et les pouvoirs publics a permis d’entériner les éléments suivants :
Sur le plan du logement :
Sur le plan des investissements :
Sur la propriété du sol :
Pourrons-nous atteindre cette qualité de production de territoire ?
L’expérience de Lausanne démontre une qualité de production du territoire qu’il faut impérativement atteindre à Bruxelles. Elle implique toutes les parties prenantes à chaque étape de la conception : les pouvoirs publics, les propriétaires fonciers, les promoteurs, les concepteurs des bâtiments, les entreprises de construction, les propriétaires des bâtiments et la gérance, les habitants et le voisinage, les entreprises, les commerces, les services et les associations citoyennes. Elle présente un modèle qui déconcentre le capital investisseur et maintient largement la plus-value foncière par des contraintes d’intérêt collectif au travers de la forme coopérative.
Commons Josaphat remercie l’association Ecoquartier pour la qualité de l’expérience développée et présentée. L’inventivité des citoyens et des collectivités publiques dans la production de la ville participe à la crédibilité des positions que le collectif relaye dans le débat public. Finalement, les citoyens des Plaines-du-Loup nous enseignent qu’aucune proposition n’est utopique quand elle obtient le soutien du public et la volonté de l’exécutif.
Commons Josaphat
[1] Voir le texte « Josaphat en commun : d’une réserve foncière à un quartier en bien commun » : https://commonsjosaphat.wordpress.com/.