Inter-Environnement Bruxelles
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L’extension de Bruxelles-National décolle en pleine tempête

Au milieu du confinement, on a appris deux informations importantes quant à l’aéroport et « notre » compagnie aérienne. D’une part, l’extension prochaine du site et, d’autre part, le plan de licenciements chez Brussels Airlines, justifié par l’effet de la crise du coronavirus sur les activités de la compagnie.

Cette actualité est à replacer dans le contexte plus général du soutien public accordé au secteur privé : qu’il s’agisse du secteur aérien ou du secteur énergétique, on constate – encore une fois – que les contribuables sont contraints passer à la caisse afin de préserver la profitabilité des multinationales.

Aéroport de Zaventem © Ad Meskens - 2020

Le 8 avril dernier, le propriétaire de l’aéroport publiait un appel d’offres portant sur le développement du « quartier d’affaires » (Airport Business District), appelé à « mue[r] en écosystème dynamique dans lequel de grandes entreprises côtoient des jeunes pousses, où hommes d’affaires, académiques et membres de la communauté aéroportuaire se rencontrent ». Concrètement, il entend faire construire un immeuble de bureaux avec commerces et parking (25000-35000 m²), un hôtel de luxe (150 chambres), un « hub intermodal » (une plaque tournante articulant plusieurs modes de transport) et un « boulevard pour les transports en commun ».

Les candidats à la conception de cette importante extension ont moins de deux mois pour répondre à l’appel d’offres, et le gagnant devrait entamer sa mission dès mars 2021. Aussi courts soient ces délais au regard de l’ampleur du chantier à concevoir, celui-ci ne tombe pas du ciel. Préfigurant l’expansion de l’aéroport proprement dit (pistes, terminaux, passerelles), il s’agit en effet d’un jalon de la « Vision Stratégique 2040 » (présentée fin 2016), qui entend gonfler le volume du trafic aérien de 78 %. Réaliser cette « vision » contribuerait selon l’exploitant à doubler tant le nombre d’emplois que les retombées économiques induites par l’aéroport [1].

Concurrence interrégionale et survol de la capital

Du point de vue de la Région flamande, l’agrandissement de Bruxelles-National constitue un enjeu économique fondamental. Contribuant de manière significative au produit intérieur brut flamand, les secteurs de la logistique et du transport sont évidemment intéressés à l’augmentation des activités de fret. De plus, la consolidation des activités aéroportuaires accrédite indirectement un autre projet d’infrastructure, l’élargissement et le réaménagement du ring nord entre Zaventem et Grand-Bigard, dont l’un des objectifs est de faciliter le transport de marchandises, notamment en lien avec Anvers. Dont le port, comme Bruxelles-National, sera agrandi de manière à pouvoir traiter 7,1 millions de containers supplémentaires [2]. Enfin, la société anonyme qui pilote les investissements et gère les détentions financières de la Région (Participatiemaatschapij Vlanderen) est entrée au capital de Brussels Airport en décembre dernier. Autrement dit, la Flandre est indirectement actionnaire de l’aéroport [3].

L’extension des activités aéroportuaires devrait exacerber la bataille d’« attractivité » que se livrent les Régions bruxelloise et flamande, qui a vu depuis au moins dix ans la première perdre de nombreuses entreprises au bénéfice de la seconde, sauf pour ce qui concerne quelques rares secteurs dont les activités financières et d’assurance [4]. Or, le risque ultérieur de délocalisations vers Zaventem pourrait inciter la Région bruxelloise à redoubler d’efforts pour attirer entreprises et investisseurs. À cet égard, l’intention de développer la zone de Bordet suite au départ de l’OTAN, coulée dans un Plan d’aménagement directeur (PAD), peut être interprétée comme une manière de rendre « attractive » une portion du territoire régional en lisière de la Région flamande, située à proximité de Bruxelles-National. Ce PAD, fort de l’arrivée prochaine de la station de métro, vise en effet « la programmation de nouvelles installations métropolitaines de type centre hôtelier, culturel, de congrès, de formation, de sport ou de gastronomie pour un public local et international venant d’atterrir à dix minutes de là » [5].

Ce sont également les conflits générés par le survol de la capitale que renforcera l’extension de l’aéroport. À en croire les propos du ministre bruxellois de l’Environnement tenus un peu plus d’un mois avant le confinement, les infractions à l’arrêté Bruit (1999) ont augmenté de mois en mois entre mars 2019 et janvier 2020 [6]. On imagine mal la « Vision Stratégique » de Brussels Airport ne pas consolider cette tendance, à plus forte raison si les « assouplissements » récemment accordés aux compagnies de fret [7] ne sont pas remis en cause.

Extension de l’aéroport et « restructuration » de Brussels Airlines

Un mois après la publication de l’appel d’offres relatif à l’extension de l’aéroport, la direction de Brussels Airlines (filiale de Lufthansa, compagnie allemande) annonçait vouloir supprimer 1000 emplois au motif de la baisse spectaculaire de ses activités. À l’heure d’écrire ces lignes, on sait que les pilotes ont proposé de réduire leur temps de travail et leur rémunération, soit pour certains « une offre courageuse pour sauver leur emploi » [8]. Moins intrépide, la direction envisage quant à elle un éventail de mesures, en particulier envers les travailleurs âgés de plus de 55 ans [9]. Quoi qu’il advienne de Brussels Airlines, dont le sort découlera pour partie des négociations entre Lufthansa et l’État allemand [10], son plan de licenciements et sa demande d’aide publique témoignent de l’instrumentalisation du « risque » par les détenteurs de capitaux. Quand la conjoncture est sonnante et trébuchante, le risque est l’argument qui justifie de ne pas entraver l’activité privée ; quand la conjoncture se retourne parce qu’un risque s’est concrétisé, on sollicite l’intervention publique.

Abstraction faite des enjeux interrégionaux, la concomitance de l’extension de Bruxelles-National et du plan de licenciements chez Brussels Airlines éclaire le rôle central qu’endosse l’État dans le dossier aéroportuaire. D’une part, soutien au business plan de l’aéroport, que ce soit directement (via des fonds publics, ici flamands) ou indirectement (via les règles d’aménagement du territoire). D’autre part, soutien apporté à la stratégie de la compagnie aérienne « nationale », que ce soit directement (via de probables aides publiques, ici fédérales) ou indirectement (via l’encadrement du « dialogue social » et, probablement, le versement d’allocations de chômage). Privatisation des bénéfices, socialisation des pertes : n’est-ce pas ce vieux refrain que nous rejouent les protagonistes de l’actualité aéroportuaire ?

Ce vieux refrain résonne également dans d’autres contextes. Par exemple, le sort réservé par les autorités publiques aux mastodontes de l’énergie témoigne de ce réflexe à mettre la main à la poche des contribuables dès que la profitabilité baisse ou est susceptible de baisser. L’ONG Reclaim Finance, dont « une [...] principales missions est de contribuer à l’accélération de la décarbonation des flux financiers », a ainsi mis en lumière l’ampleur du soutien public accordé à 38 entreprises pétrolières (dont une dizaine liées au secteur du charbon). Par le biais de la Banque centrale européenne et de son programme d’« assouplissement quantitatif », ce sont plus de 132 milliards d’euros de titres financiers qui ont été rachetés, au bénéfice entre autres de Shell et Total [11].

Double contrainte et « monde d’après »

Quoi qu’il en soit, tirer profit de l’augmentation des activités aéroportuaires (Bordet) impliquera pour la Région bruxelloise de traiter la conséquente et ultérieure dégradation du « cadre de vie » de la population. Le cas de l’aéroport donne ainsi à voir, en « miniature », les injonctions contradictoires que la logique capitaliste fait peser sur les pouvoirs publics : assurer la croissance économique (soit l’accumulation du capital) tout en gérant les désordres du vivant qu’elle implique nécessairement.

Aussi incertains soient les temps que nous vivons, le sort du secteur aéroportuaire, comme celui du secteur énergétiques, témoigne d’une certitude : les groupes sociaux et les institutions qui protègent le statu quo sont manifestement peu sensibles aux récentes exhortations à ne pas reproduire le « monde d’avant ». Ce constat certes provisoire appelle une interrogation : l’incantation et la persuasion suffiront-elles à faire advenir le « monde d’après » ?

par Damien Delaunois

Inter-Environnement Bruxelles


[1« Brussels Airport recherche un consortium pour Airport Business District » ; « Brussels Airport Company zoekt een multidisciplinair ontwerpteam voor Business District fase 1 », site du Vlaams Boouwmeester, 14/4/20.

[2« Haven krijgt bijkomende capaciteit voor ongeveer 7,1 miljoen containers », ATV, 31/1/20, et le site du port

[3« Vlaanderen wordt aandeelhouder Brussels Airport », De Tijd [en ligne], 6/12/19.

[4Selon nos calculs, basés sur les chiffres de Statbel, l’office belge de la statistique. Voir « Migrations des entreprises assujetties à la tva », 14/1/20.

[5Site de perspective.brussels.

[6« Survol de Bruxelles : des communes avec la Région contre le Fédéral », BX1 [en ligne], 5/2/2020.

[7« Une nouvelle proposition fédérale sur le survol autour de l’aéroport de Bruxelles », Le Soir [en ligne], 7/5/20.

[8Stéphanie Lepage et Dominique Delhallel, « Brussels Airlines, réductions de salaires pour sauver l’emploi : une première ? », Le Soir [en ligne], 21/5/20.

[9« Brussels Airlines devrait licencier 310 personnes en Belgique », Le Soir [en ligne], 19/5/20.

[10« Brussels Airlines : accord entre Lufthansa et le gouvernement allemand sur les mesures d’aide », Le Soir [en ligne], 25/5/20.

[11« Quantitative easing et climat : le sale secret de la Banque Centrale Européenne », 18/5/20.


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