Le thème de la sécurité a rythmé inlassablement la campagne électorale de 2024, chacun y allant de son credo et de sa recette entre accroissement des forces de l’ordre, renforcement des contrôles dans les quartiers et aux frontières, augmentation des places dans les prisons, déploiement des caméras de surveillance… La prévention trouvait, quant à elle, sa place le plus souvent en seconde zone. Quant aux mesures qui permettraient, non pas de déplacer la pauvreté, mais bien de la combattre, elles étaient réduites à la portion congrue, comme toujours. Mais aujourd’hui la Belgique est dotée d’un gouvernement fort décidé à prendre à bras-le-corps nos problèmes de sécurité et de pauvreté. Deux axes centraux : le renforcement des pouvoirs répressifs et la mise à l’emploi envers et contre tout. Efficace ?
Partons de la situation à la gare du Midi, abordée dans le présent dossier : celle du deal et de la consommation de drogue, du sans-abrisme et du fort sentiment d’insécurité relayé dans les médias. Cette situation a généré la mise sur pied d’opérations coup de poing répressives dans et aux alentours de la gare, avec de multiples arrestations administratives et judiciaires à la clé dès août 2023. En mars 2024, quinze « zones prioritaires de déploiement » de lutte contre le trafic de stupéfiants (ou « hotspots ») ont été développées dans l’espace public régional dont celui du quartier Midi. Dans ces quartiers, la vente et la consommation d’alcool sont interdites, la police peut planifier des contrôles d’identité systématiques avec fouille et saisir les objets qui facilitent la consommation de drogue. Un an plus tard, des voix de plus en plus nombreuses s’accordent pour considérer que de telles mesures ne résolvent en rien le deal ou la consommation, mais déplacent juste dealers et usager·es dans les quartiers adjacentsAnderlecht : à cause des hot spots, les dealers déplacent leurs activités dans les quartiers voisins, BX1, 23 mai 2025. avec comme effets collatéraux qu’elles dispersent les sans-abri et les consommateur·ices et rendent plus complexe le travail des associations de première ligne qui leur viennent en aide.
Une étude universitaire de début 2025, sur l’usage du crack en Région bruxelloise, analyse : « Les acteurs professionnels soulignent la nécessité de mesures structurelles pour traiter la problématique, en raison, entre autres, de l’effet de déplacement dû à des interventions ad hoc et de l’absence de vision globale. […] Quand une gare ou une station de métro est “nettoyée”, le groupe cible se déplace vers la station ou la gare suivante et déplace avec lui les nuisances et les vols à la tire qui y sont associés : nous n’avons fait que déplacer le problème, mais il est moins visible. Parce qu’il y a moins de navetteurs, moins de passage. La gare du Midi est la première gare internationale de Bruxelles. C’est une question d’image. [1] »
La rhétorique sécuritaire se réduit à des questions de maintien de l’ordre et circonscrit le sentiment d’insécurité à l’imaginaire de la « peur du crime », stigmatisant des populations précaires ou appartenant à certaines origines ethniques. Elle masque les autres sources génératrices d’une insécurité (sociale) comme l’accès aux soins de santé, au logement, à l’emploi de qualité (!), à l’éducation ou encore les rapports sociaux structurellement générateurs d’inégalités sociales. Les personnes qui consomment du crack dans l’espace public sont majoritairement en situation de pauvreté et n’ont pas accès à un logement et certainement pas à un emploi.
L’accord du gouvernement Arizona place, certes, l’accès à l’emploi au cœur de son programme. Mais s’agit-il de faciliter l’accès à l’emploi de toutes et tous, de lutter contre la discrimination importante sévissant sur ledit marché de l’emploi ou d’agiter l’emploi comme une condition d’accès à tous les autres droits sociaux ? L’accord fait de l’emploi le sésame pour accéder à un revenu digne de ce nom. Ce faisant, il renverse la donne en orientant la responsabilité de l’accès au travail non sur la société, mais sur l’individu. Les prémisses du programme reposent sur cette suspicion : « si tu te drogues, si tu n’as pas d’emploi, c’est parce que tu le veux bien ». Ainsi dans le chapitre de l’accord consacré à la pauvreté, on peut lire que si la personne a besoin d’une cure de désintoxication bénéfique à son intégration sociale et qu’elle ne la suit pas déjà volontairement, la cure lui sera imposée [2]. Une imposition qui va à l’encontre de ce que préconisent tou·tes les professionnel·les du secteur. Seules les cures reposant sur une base volontaire permettent en effet d’obtenir des résultats sur le long terme.
L’emploi est présenté comme le barrage crucial à la pauvreté grâce à la mise en place « d’un maillage serré qui s’attaque à la pauvreté de manière ciblée en orientant les personnes vers des emplois de qualité » [3]. Pour l’accord, l’intégration sociale se résume à parvenir à accéder à un emploi. Est-ce que les personnes sont dans les conditions d’accès à ces emplois « de qualité », est-ce que ces derniers existent alors que nous assistons à nombre de faillites, de fermetures, de déménagements d’entreprises et de licenciements dans le milieu associatif ? Comment des pouvoirs publics incapables d’offrir un logement sain à un prix démocratique à leurs habitant·es – socle de l’existence de tout un chacun – peuvent-ils considérer qu’il est de la responsabilité individuelle de décrocher ou pas un emploi « de qualité » ?
Que dit le gouvernement sur la croissance des inégalités de tous ordres devant lesquelles nos politiques achoppent, voire démissionnent depuis des décennies, préférant se retrancher derrière une façade sécuritaire, sacrifiant des trajectoires de vie ? Pourtant des solutions existent, telles le Housing First présenté dans ce numéro du BEM. Celles-là ne sont pas prises en compte, car elles visent un investissement à long terme déprécié par les politiques court-termistes (et particratiques) nettement plus visibles [4], qui donnent l’impression de faire quelque chose, alors qu’elles produisent toujours plus d’exclusions sociales [5]. Une question d’image, en effet…
Inter-Environnement Bruxelles
[1] Université de Gand, Consommation de crack dans l’espace public en Région de Bruxelles-Capitale, Gand, 2025, p. 72.
[2] Accord du gouvernement Arizona du 31 janvier 2025, p. 79.
[3] Ibidem.
[4] L’édito de Fabrice Grosfilley : « Agir à court terme, débattre du long terme », BX1, 13 mars 2024.
[5] En 2016, on recensait en Région bruxelloise 3 386 personnes sans-abri. Dix ans plus tard, on en recense près de 10 000.