Plan Canal, Plate-Forme Kanal, Festival Kanal, Kanal Centre-Pompidou, Signal Kanal… le canal bruxellois est l’objet de toutes les attentions et convoitises. Pouvoirs publics, promoteurs, créatifs et touristes de tout poil, tout le monde veut y acheter, s’y promener, s’y loger jusqu’à l’état de siège.
En 2013, les Bruxellois apprenaient que la Région s’était dotée d’un Plan Canal. Mais son contenu restait pour le moins mystérieux. Pas de consultation publique ! Quelques mois plus tard, le tout était présenté à la grand-messe annuelle de l’immobilier cannois, le MIPIM. Promotion immobilière et pouvoirs publics accordent leurs violons pour considérer que le territoire du canal, conçu historiquement pour le déploiement des activités industrielles bruxelloises, doit devenir un lieu de résidence et de plaisance, que nos quartiers centraux sont trop pauvres et doivent être « redynamisés », qu’ils doivent s’ouvrir à une plus grande « mixité sociale ». Une partie de la société civile leur emboîte le pas : les habitants de ces quartiers n’ont pas le choix et « doivent se préparer à ce que leurs quartiers deviennent un nouveau centre ouvert sur le monde », leur quartier va être transformé, revitalisé pour attirer de nouveaux habitants.
Mais comment attirer ceux-ci dans des quartiers par trop stigmatisés ? En jouant la carte de la sécurité et de la pacification quitte à procéder au nettoyage des populations en place. C’est ce que nous relatent Raf Custers et des Molenbeekoises dans un article et un courrier évoquant la manière dont le Plan Canal fédéral en version sécuritaire est venu à la rescousse du Plan Canal immobilier. Pratiques d’intimidation, descentes de police, fouilles, appels à la délation deviennent ainsi le lot quotidien des habitants et associations du Vieux Molenbeek qui doivent subir les mesures prises comme garantie de réussite de la colonisation en cours.
Dans le même temps, les espaces publics se transforment à coup de contrats de quartier et de rénovation urbaine (CRU) dans l’espoir de susciter un effet d’entraînement avec pour mot d’ordre la « reconquête » des quartiers qui bordent le canal. Le discours du vivre ensemble prend ici la forme de ponts et passerelles présentés comme traits d’union entre les deux rives. Pamela Ciselet et Claire Scohier analysent au travers de deux CRU (Heyvaert et Gare de l’Ouest) leur implantation sélective pour accueillir les nouveaux venus.
Pacification, revitalisation mais aussi privatisation progressive de l’espace public. Mathieu Simonson se penche sur divers projets immobiliers du quartier Maritime, négociés de main de maître par des promoteurs face à une Région abandonnant ses missions d’intérêt public aux forces du marché. Up Site, Docks Bruxsel, Tour et Taxis, Canal Wharf… autant de projets qui commercialisent l’espace urbain et en dépossèdent les habitants pour un nouveau mode de vie – exceptionnel et exclusif – entraînant une « fermeture » de l’espace public soi disant revitalisé au « bénéfice de tous ».
Autre contributeur de l’assiègement du canal : le secteur des industries culturelles et créatives. L’accueil enthousiaste qui leur est réservé par les communes des quartiers populaires est à la mesure des ambitions que celles-ci nourrissent pour le redéploiement urbain de leur territoire. Au travers de divers interviews des acteurs de ce secteur actifs sur le territoire de Molenbeek, Louise de Morati met en exergue la revalorisation symbolique apportée par ces dynamiques culturelles attractives non seulement pour le quartier mais surtout, et de manière explicite, pour un public extérieur.
Emballage culturel, appel incantatoire au vivre ensemble et à la mixité sociale ont du mal à occulter l’esprit haussmannien et d’entreprises qui préside à ces opérations urbaines et la dépossession toujours plus profonde qu’elles génèrent au détriment des classes populaires. Si le canal a besoin d’un master plan, ce n’est pas d’un plan sécuritaire ou d’un plan immobilier mais bien d’un plan pour plus de justice sociale. Force est de constater que jusqu’à aujourd’hui les pratiques créatives et de rénovation urbaine ont bien peu – voire jamais – contribué à cet objectif.
Si le canal a besoin d’un master plan, ce n’est pas d’un plan sécuritaire ou d’un plan immobilier mais bien d’un plan pour plus de justice sociale.
Pratiques d’intimidation, descentes de police, fouilles, appels à la délation deviennent ainsi le lot quotidien des habitants.
Les habitants de ces quartiers n’ont pas le choix et « doivent se préparer à devenir un nouveau centre ouvert sur le monde ».