Le mois de mars marque le retour du printemps… et du Bruxelles en mouvements. Alors bien sûr les arbres vont fleurir, les journées s’allonger et les terrasses se garnir, mais ce numéro ne s’attardera pas sur le changement des saisons. C’est un cycle, plus prosaïque, qui occupera une large partie de ce numéro : celui des tours.
Depuis plus d’une décennie, les tours aussi ont entamé un nouveau cycle de renaissance. Au travers de ces quelques pages, nous voulons explorer l’histoire de leur éclosion, de leur mise au ban, puis de leur retour en grâce.
Pour commencer, il fallait nécessairement dresser un inventaire. « Prends garde à la tour » retrace l’histoire des gratte-ciel à Bruxelles. L’article se focalise sur la vague qui, au milieu des années 1950, va transformer la ville, emportant avec elle patrimoine remarquable et ville du XIXe siècle. En vingt ans, le centre-ville s’est progressivement jalonné de tunnels, d’autoroutes et de buildings consacrés aux bureaux. Au cœur de ces transformations, la foi en la technique et le progrès. Une nouvelle cité doit naître, s’adaptant aux influences de son époque. Cette période sera prolifique, et une vingtaine de tours vont donner à la ville son visage contemporain. Mais la brutalité des transformations va entamer l’adhésion du public. Confinée dans un premier temps à des enjeux locaux, la résistance va d’abord se concentrer autour de la Grand-Place. Au nom de l’esthétique, l’« Îlot Sacré » sera célébré, mais l’ampleur des destructions va agréger les colères. Dans le quartier Nord, 11 000 habitants seront expropriés, le tollé est alors général. Plombé par la crise pétrolière, le premier cycle de tours se termine à Bruxelles.
Durant les années 1970, une reconfiguration de l’État-nation va alors progressivement déléguer des pouvoirs à la ville. D’abord Agglomération, Région ensuite, les nouvelles instances bruxelloises tiendront compte d’une opinion traumatisée par les destructions des Trente Glorieuses. Les démolitions systématiques vont alors peu à peu faire place à une logique de rénovation des quartiers. L’idée générale est de reconstruire le tissu urbain malmené. Dans cette configuration, la tour est vouée aux gémonies. Quelques exceptions subsistent dans le quartier Nord, mais au-delà de ce périmètre, les années 1990 sont plutôt propices à leur remise en cause. Affligé par la vue depuis son hôtel de ville, le bourgmestre de Bruxelles et son collège édictent un plan communal de développement restrictif. Il désigne comme repères indésirables une quinzaine de tours au sein du Pentagone. Deux d’entre elles sont alors sacrifiées et serviront paradoxalement de prétexte à leur retour. « Plus d’une tour dans son sac » s’attarde sur la première décennie des années 2000, sur ce moment où les débats politiques ont transformé la tour d’objet honni en figure désirable.
La tour de logements de luxe Up-site, inaugurée en 2014 au bord du canal, marquera le retour définitif des tours au sein de la ville. Pour construire ce bâtiment, il fallut adapter le cadre réglementaire au moyen d’un PPAS. Mais les ambitions métropolitaines ne pouvaient s’accommoder de plans trop circonscrits. C’est l’ensemble de l’arsenal législatif, du PRAS au PRD, qui a été redessiné depuis lors. D’autres outils, proposant un urbanisme d’exception, ont peu à peu été élaborés : les schémas directeurs, d’abord, les plans d’aménagement directeur ensuite. Les deux dernières analyses de ce dossier se concentrent sur la dernière innovation en date : l’Urban Ruling. Ce dispositif permettrait préalablement à l’acquisition du terrain d’offrir des certitudes aux développeurs immobiliers. Au travers de négociations avec l’administration, l’Urban Ruling informe les promoteurs des surfaces qu’ils seraient autorisés à bâtir. Pour ses défenseurs, c’est un moyen de réguler la valeur foncière, mais le texte met en évidence les risques d’un urbanisme négocié où pourraient se nicher de nouvelles tours. Derrière l’anglicisme se cache un dispositif sans assise réglementaire, qui, combiné au flou du nouveau Règlement régional d’urbanisme (Good Living) en préparation, est susceptible d’ouvrir la voie à des gabarits tirés vers le haut. Les transformations autour de la gare du Nord montrent les tendances sous-jacentes au dispositif.
Le journal s’éloigne ensuite du sommet des tours pour revenir aux luttes de terrain. « En finir avec les marchands de sommeil » relate les tribulations de groupes de locataires pour faire reconnaître par les cours de justice les torts qu’ils ont subis. Ce récit démarre par l’expulsion violente et expéditive d’une quarantaine de locataires à la rue des Coteaux. Illustration du sort réservé aux plus précaires, l’article met au jour l’exploitation et l’insalubrité auxquelles sont en proie les personnes les plus vulnérables dans un contexte de crise du logement abordable. Derrière les spécificités des cas racontés se pose la question de la responsabilité des autorités. Car, lorsqu’un immeuble d’une société immobilière est répertorié comme du logement illégal, comment expliquer l’indolence des pouvoirs publics face à tant de personnes expulsées. Au travers de l’expérience de Bruxellois·es et d’associations, le texte expose l’impunité dont jouissent certains propriétaires et la faiblesse des réponses données par les autorités.
Le journal se consacre enfin à un autre monstre en se penchant sur les turpitudes de la ligne de métro 3. Les nouveaux développements méritaient bien cet éclairage tant les pouvoirs publics semblent être tombés sur un os (de mammouth). Après les sols marécageux et les offres démesurées des soumissionnaires, c’est une nappe phréatique sous la gare du Nord qui contrarie à présent le projet. Si la succession d’événements malheureux est risible, les conséquences financières le seront beaucoup moins. Alors que la Région est acculée financièrement, que l’austérité contrarie déjà le renouvellement du personnel des administrations, la construction de logements sociaux, le financement des associations ou les tarifs attractifs du transport public, les capacités d’investissement futures de la puissance publique seront inévitablement compromises. C’est l’occasion de réaffirmer qu’il existe une alternative, beaucoup moins onéreuse et plus rapide à mettre en œuvre : la proposition « Prémétro Plus » de la plateforme Avanti qui vise à utiliser les infrastructures existantes pour améliorer le réseau de transport léger.
Depuis les rooftops des « émergences » qui se rêvent toujours plus hautes jusqu’aux tréfonds du sous-sol bruxellois, ce nouveau numéro du Bruxelles en mouvements prend donc de l’amplitude pour explorer l’actualité urbaine bruxelloise.
Les débats politiques ont transformé la tour d’objet honni en figure désirable.