Fin janvier 2015, des associations et des habitants ont introduit un recours au Conseil d’État au sujet du nouveau Plan de mobilité du Pentagone.
1. Les principales bases juridiques du recours
2. Précisions de vocabulaire. Plan de circulation - Plan de mobilité
L’échevine de la Ville de Bruxelles parle le plus souvent de « Plan de circulation ». Cependant, le site web de la Ville de Bruxelles précise que « la Ville de Bruxelles a développé un nouveau plan de mobilité pour le Pentagone (centre ville) ».
Le Plan communal de Mobilité (PCM) constitue l’outil d’une politique intégrée de la gestion des déplacements au niveau local. Il tient compte du Plan Régional des Déplacements (Iris). Son objectif principal est d’améliorer la mobilité et l’accessibilité, la sécurité routière ainsi que la qualité de vie des habitants par un usage plus rationnel de l’automobile. La précédente majorité communale avait élaboré un PCM selon les règles en usage. Le plan d’action n’a finalement pas été voté. Cependant les phases préparatoires à la mise en œuvre de ce plan, réalisées en 2010 et 2011 restent pertinentes. Les diagnostics, objectifs et scénarios de mobilité durable sont toujours accessibles sur le site web de la Ville. Cependant, le nouveau plan pour le Pentagone ne s’appuie pas sur ces études et n’explique pas non plus pourquoi il s’en écarte.
L’Ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 26 juillet 2013, qui a instauré un cadre en matière de planification de la mobilité et modifié diverses dispositions ayant un impact en matière de mobilité, précise le contenu de tout plan de mobilité communal, notamment :
Art. 13. § 1er. La partie générale comporte un volet stratégique et un volet réglementaire.
§ 2. Le volet stratégique comprend notamment :
1° un descriptif, suivi d’une évaluation de la situation actuelle de la mobilité sur le territoire de la commune, ainsi que le relevé des fonctionnements et dysfonctionnements dans ce domaine. L’évaluation de la situation existante comprend notamment :
(i) une analyse des parts modales et l’évolution significative de ces différentes parts,
(ii) une analyse des éléments expliquant la demande en matière de mobilité et son évolution significative,
(iii) une analyse qualitative de l’aménagement de l’espace public au regard des questions de mobilité et de son évolution ;
2° un examen de l’incidence de l’ensemble des modes de déplacement existants sur l’environnement, la sécurité routière, la santé et les activités socio-économiques de la commune ;
3° une étude d’analyse de l’adéquation entre l’offre et la demande en matière de mobilité, notamment au regard de l’accessibilité en matière de mobilité, et intégrant une projection pour le futur, compte tenu des perspectives de développement de la commune ;
4° les principes généraux et les orientations générales applicables en matière de mobilité couvrant la période de validité du plan ;
5° une étude des différents scénarios de mobilité qui doivent être pris en considération pour répondre aux besoins de mobilité locale sur une période de douze ans, compte tenu du plan régional de mobilité, du plan communal de développement ainsi que des plans communaux de mobilité et de développement des communes limitrophes, y compris des communes hors de la Région de Bruxelles-Capitale ;
6° une estimation des incidences de l’ensemble des actions concrètes, visées au paragraphe 3, 2°, sur la mobilité, les parts modales et l’efficience des différents modes de déplacement mais également sur l’environnement, la sécurité routière, la santé et les aspects socio-économiques.
§ 3. Le volet réglementaire comprend :
1° les objectifs chiffrés pour chacun des modes de déplacement, à court et à long terme ;
2° l’identification des actions concrètes visant à réaliser la politique de mobilité sur le territoire de la commune concernée.
Or le plan de mobilité Pentagone ne correspond en aucune manière à ce contenu. à ce jour, seuls deux documents du bureau d’études Technum sont accessibles. Ils portent sur la seule situation existante. En outre, la procédure d’élaboration d’un plan de mobilité prévoit l’élaboration d’un rapport d’incidences environnementales.
Par ailleurs, l’Ordonnance du 26 juillet 2013 précise qu’un plan de mobilité communal doit traduire, au niveau local, la politique de mobilité fixée dans le plan régional de mobilité, à savoir le plan Iris II, qui en fait fonction en attendant l’adoption d’un plan régional de mobilité conformément à ladite ordonnance. Or le plan Iris II vise à : réduire le trafic automobile de 20 % d’ici 2018 par rapport à 2001 ; maintenir ou réduire le nombre total d’emplacements en voirie et dans les parkings publics hors voirie (hors parking de transit) de sorte qu’il ne soit pas supérieur au nombre équivalent mesuré en 2004-2005. Le plan de mobilité Pentagone n’a pas vérifié sa compatibilité avec les prescriptions du plan Iris II.
3. Plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement
La Directive européenne 2001/42/CE prévoit que les plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement sont soumis à une procédure d’évaluation des incidences.
La Directive répute « plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement » : « Tous les plans et programmes (...) qui sont élaborés pour les secteurs (...) des transports (...), du tourisme, de l’aménagement du territoire urbain et rural (...) ou de l’affectation des sols et qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE pourra être autorisée à l’avenir » (aujourd’hui Directive 2011/92/CEE).
Il s’agit notamment des projets de travaux d’aménagement urbain, y compris la construction de centres commerciaux et de parkings, et notamment de garages ou d’emplacements couverts où sont garés des véhicules à moteur a) de 10 à 24 véhicules automobiles ou remorques, b) de 25 à 200 véhicules ou remorques.
En effet, la Directive 2001/42/CE, elle, ne fait pas de distinction entre les projets énumérés aux annexes I et II de la Directive 2011/92/CEE). Dès l’instant où un plan ou un programme constitue le cadre de la mise en œuvre d’un projet, même si ce projet n’est visé que par l’annexe II, ce plan ou ce programme est soumis à évaluation préalable des incidences environnementales.
La Directive prévoit en particulier : « Une possibilité réelle est donnée, à un stade précoce, aux autorités (...) et au public (...) d’exprimer, dans des délais suffisants, leur avis sur le projet de plan ou de programme et le rapport sur les incidences environnementales avant que le plan ou le programme ne soit adopté ou soumis à la procédure législative. »
Juridiquement, le plan adopté par le Conseil communal de la Ville de Bruxelles le 1er décembre 2014 constitue bien un PLAN au sens de la directive européenne 2001/42/CE. Ce plan inclut le périmètre de la zone piétonne augmentée c’est-à-dire :
Le masterplan concernant l’aménagement proprement dit des places et boulevards du centre ne fait pas l’objet du recours introduit au Conseil d’État fin janvier (faute de décision administrative connue en temps utile). Une demande de permis d’urbanisme accompagnée d’un rapport simplifié d’incidences (rédigé à la seule initiative des promoteurs du projet) est annoncée pour le printemps 2015. Cependant, logiquement s’agissant d’un plan d’ensemble, l’enquête publique et l’évaluation des incidences devront aussi porter sur les aménagements à l’intérieur du périmètre décidé sans respecter les procédures.
Le plan de la Ville de Bruxelles pourrait-il échapper à une évaluation de ses incidences parce qu’il ne viserait que de « petites zones au niveau local » (exception prévue par l’article 3, § 4 de la Directive 2001/42/CE) ? Nous ne le pensons pas car le critère essentiel pour l’application de la Directive n’est pas la taille du territoire couvert mais bien les incidences notables potentielles sur l’environnement (C. DAY, Vade-Mecum de mise en œuvre de la directive 2001/42, p. 15). La marge d’appréciation des États à ce sujet est étroite comme en témoignent plusieurs arrêts de la Cour de Justice de l’Union européenne.
L’Ordonnance du 18 mars 2004, qui intègre en droit bruxelloise la Directive, prévoit à ce sujet un examen au cas par cas en suivant les critères énumérés par l’annexe II de la Directive 2001/42/ CE (par exemple, le caractère cumulatif des incidences, les risques pour la santé humaine, la taille de la population susceptible d’être touchée). Des autorités compétentes sont consultées (par exemple le Conseil de l’Environnement, la Commission régionale de Mobilité,...). Ces autorités ne peuvent en aucun cas être celles qui approuvent le plan (C.J.U.E., 20 octobre 2011, Seaport Ltd et crts). En outre, le gouvernement de la Région devrait motiver formellement les raisons de ne pas prévoir une étude d’impact sur l’environnement et mettre ses conclusions à la disposition du public.
4. Participation du public au processus décisionnel et accès à la justice en matière d’environnement
L’article 7 de la Convention d’Aarhus, intégrée dans le droit bruxellois, prévoit que des dispositions pratiques soient prises pour garantir la participation du public à : l’élaboration des plans et programmes relatifs à l’environnement et à l’élaboration des politiques relatives à l’environnement.
Le régime de participation peut être résumé comme suit :
Le régime de participation du public se concrétise par un droit d’accès à tous les documents en relation avec des projets relatifs à l’environnement et à l’aménagement du territoire, l’accès au dossier complet de tout projet d’urbanisme et par des procédures d’enquêtes publiques fixées par le CoBAT (Code Bruxellois pour l’Aménagement du Territoire).
Les techniques de questionnaires en rue et la réunion de groupes de travail tirés au sort au cadre de discussion très limité ne correspondent pas aux exigences des enquêtes publiques. Les réunions publiques peuvent servir à informer et présenter des projets mais elles ne peuvent pas remplacer les procédures permettant aux citoyens d’émettre des avis formels écrits ou oraux ou encore des réclamations soumises en commission de concertation.
5. Ce que la Ville de Bruxelles devait faire et doit faire
L’application combinée du droit en matière d’évaluation des incidences des plans et programmes sur l’environnement et de participation du public au processus décisionnel implique :
Et ce dès à présent sur l’ensemble de son plan et non pas sur des morceaux artificiellement découpés.
6. Les conséquences du recours
Le recours introduit est un recours en annulation. Il n’est pas associé à un recours en suspension. Par ailleurs, la procédure devant le Conseil d’État est principalement écrite et prend un certain temps, toutefois ponctué par des délais très fermes pour les échanges de « mémoires ». On ne doit pas s’attendre à un arrêt avant un an ou plus. Mais bien souvent, le rapport de l’auditorat et sa proposition de solution pour l’affaire, donnent déjà une bonne idée de la décision finale du Conseil d’État.
D’ici là, les autorités de la Ville de Bruxelles pourraient passer outre et entamer des travaux. Nous voyons toutefois mal Beliris (appelé à financer le réaménagement des places et boulevards du centre) et d’autres entreprises (notamment celles qui répondraient à l’appel d’offre pour la construction de l’un ou l’autre des quatre parkings publics) s’engager dans les délais prévus par la Ville de Bruxelles alors qu’un recours en annulation est pendant devant le Conseil d’État.
La Ville de Bruxelles pourrait « remettre l’ouvrage sur le métier » et réviser ses projets de manière plus conformes à la légalité en matière d’environnement et d’aménagement du territoire.
Les requérants sont l’ARAU, le BRAL et IEB appuyés par des associations de quartiers : Rouppe, Béguinage, Vismet, Sainte Catherine, Nouveau Marché aux Grains, Marolles, Notre-Dame-aux-Neiges et Saint-Géry. |