Inter-Environnement Bruxelles
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Haren, un territoire en sursis

Haren, petite localité Bruxelloise à la frontière régionale, doit faire face au projet de construction de la plus grande prison du pays. Interpellé par l’ampleur du projet et le choix de son emplacement, le comité des habitants a déployé une panoplie d’actions, pour interpeller citoyens, associations, acteurs et autorités concernés sur les multiples conséquences de l’implantation de ce nouveau centre carcéral « éléphantesque ».

Décidé dans le cadre d’un Masterplan prévoyant d’accroître le nombre de nouvelles structures carcérales en Belgique, Haren a été désignée pour accueillir un tout nouveau complexe pénitentiaire. Prévu pour 1 200 détenus, ce pénitencier présenté comme novateur devrait permettre la suppression des prisons de Saint-Gilles, Forest et Berkendael. Mais d’autres enjeux sont à prendre en considération. Cela concerne tout autant les incidences locales sur l’environnement et la qualité de vie des habitants que la question délicate du déplacement des prisons loin du centre ville, mais aussi le concept architectural « d’un village pénitentiaire » d’une dimension hors du commun, sans oublier le choix du financement de ce projet via un Partenariat Public-Privé.

Des préoccupations légitimes qui méritent réflexion d’autant plus qu’il se murmure déjà que cette nouvelle prison, si elle se construit un jour, ne permettra pas d’éliminer le problème actuel de surpopulation carcérale.

Les oubliettes de la Ville de Bruxelles

Les origines rurales de Haren, terre d’excellence pour la culture du chicon, ne sont pas si lointaines et sont encore visibles aujourd’hui notamment dans la typologie du bâti et par la présence de quelques parcelles agricoles encore exploitées.
Tout le reste est un paysage aux multiples cicatrices laissées par les nombreux travaux d’aménagement du territoire comme la percée du canal, l’arrivée des voies de chemin de fer et la construction du ring, qui ont peu à peu cerné le village administré depuis des décennies par la Ville de Bruxelles.

Il faut encore ajouter dans le décor, les constructions gigantesques de l’OTAN et des dépôts de la STIB, sans oublier le survol permanent des avions de part la proximité de l’aéroport de Zaventem.

Au fil des ans, la moitié de la superficie de Haren a ainsi été sacrifiée à des projets, certes utiles à l’ensemble de la collectivité régionale mais sans intérêt aucun pour les Harenois. Ceux-ci ont vu peu à peu leurs espaces verts et jardins disparaître en même temps que tout ce qui pouvait ressembler à une vie sociale.

L’arrivée probable d’une prison sur le dernier espace naturel de Haren, projet à nouveau inutile pour les riverains, a certainement été LE projet de trop pour des habitants qui osent espérer cependant qu’il est encore temps d’arrêter les dégâts.

La prison mise au secret

Lorsque le Comité de Haren fait appel à Inter-Environnement Bruxelles en 2012, la construction d’une prison à proximité du village ne rencontre pas localement de véritable opposition. La presse quotidienne du moment ne cesse de dénoncer la vétusté et la surpopulation des prisons bruxelloises et, dans les esprits, la construction d’un nouveau centre carcéral semble donc plutôt pertinente.

Cependant malgré la présence d’un représentant des habitants dans le comité de suivi pour ce projet, le manque d’information et l’absence de concertation citoyenne suscite tout de même inquiétudes et mécontentement. Les administrations concernées, fédérales (SPF justice et la Régie des Bâtiments) et communales (Ville de Bruxelles), se renvoient l’une l’autre la responsabilité d’informer les habitants. Aucun renseignement sur l’envergure du projet, son emplacement exact ou encore sur le déroulement et le calendrier des procédures n’est diffusé spontanément par les autorités.

Découragé, le Comité décide d’organiser lui-même la concertation à Haren et fait appel à IEB pour le soutenir dans cette démarche.

Si la majorité de la population locale avait « vaguement entendu parler » de la construction de cette prison, elle ne se sentait pas pour autant véritablement concernée. Bon nombre d’ habitants étaient d’ailleurs convaincus que les bâtiments s’installeraient sur une ancienne friche industrielle inutilisée et ce « changement d’affectation » n’était donc pas identifié comme inquiétant. D’autres encore pensaient que les permis étaient déjà délivrés et les travaux imminents, alors qu’aucune procédure n’avait été réalisée.

Le Comité et IEB ont donc rapidement proposé un débat public. La soirée intitulée « Vos voisins de prison » a permis de divulguer aux habitants des informations concrètes sur le projet ainsi que sur les procédures urbanistiques qui allaient l’accompagner.

Les réactions des quelque 60 personnes présentes dans la salle ont été assez vives. Beaucoup découvraient pour la première fois la superficie supposée de la prison : 18 hectares de terrain pour la construction de 8 bâtiments, la disparition du dernier grand espace vert naturel de Haren et du chemin du Keelbeek, sentier historique, emprunté quotidiennement par de nombreux promeneurs. La stupeur a rapidement fait place aux questions sur les nuisances engendrées par une construction de cette envergure.

Les habitants se sont trouvés soudain face à une réalité qu’ils n’avaient pas imaginée et surtout avec le sentiment d’avoir été trahis et abandonnés par les pouvoirs publics. Pour entretenir la motivation et la mobilisation locale, IEB et le comité n’ont cessé par la suite de multiplier les actions : stands d’information lors des fêtes de quartier, conférences de presse, interpellation au conseil communal, rédaction d’articles dans un dossier spécial « prison » de la revue d’IEB mais aussi par le biais de marches exploratoires dans le périmètre prévu pour la future construction, le tout relayé par la lettre d’info d’IEB et le blog de « Haren TV ».

Haren fait son cinéma

Au fur et à mesure des rencontres, le comité a pris conscience que pour de nombreux aspects, l’implantation de cette nouvelle prison dépassait les préoccupations locales. La décision venant de l’état fédéral, l’ensemble de la société civile était aussi concernée et plus spécifiquement les professionnels du secteur juridique et carcéral : des prisonniers aux magistrats en passant par les gardiens, les avocats et les familles des détenus sans oublier les architectes et les directeurs des prisons.

Autre question pertinente parmi d’autres, est-ce que le complexe prévu à Haren sera en capacité d’accueillir les occupants des prisons de Saint Gilles, Forest et Berkendael voisines du palais de justice et apporter ainsi une solution aux problèmes de surpopulation ? Tous ces enjeux méritaient eux aussi une attention particulière et donnaient par la même occasion l’opportunité de rencontrer les professionnels du secteur pour croiser les points de vue et élargir le cercle de la réflexion et de la mobilisation. Dans cet objectif, IEB et le Comité ont créé des contacts et des alliances dans le secteur associatif mais aussi dans les réseaux universitaires et professionnels du système judiciaire.

De manière à mobiliser le plus de monde possible, enrichir et varier les modes d’expression et rendre les actions plus « ludiques », IEB sollicite dans un premier temps le soutien des Ateliers Urbains pour la réalisation d’un petit film documentaire et l’organisation d’un atelier de création d’affiches sur le thème de la prison. Réalisé avec des habitants de Saint-Gilles, de Haren et des travailleurs d’IEB, le reportage intitulé « Prison des villes, Prisons des champs » donne la parole aux habitants voisins de la prison de Saint Gilles, aux riverains de Haren et recueille également les témoignages de travailleurs du milieu carcéral. Ce court métrage a été une entrée en matière idéale pour animer plusieurs séances de ciné-débat. Les affiches réalisées par une majorité de Harenois lors des ateliers créatifs sont quant à elles distribuées gracieusement lors de chaque action et également placées aux fenêtres des habitations en signe de contestation.

En mars 2014, c’est au tour des professionnels du secteur de s’exprimer à l’occasion d’un colloque sur les nouvelles prisons organisé en partenariat avec La Ligue des Droits de l’Homme, l’Observatoire International des Prisons, le Centre d’Action Laïque, l’ULB et IEB. Cette journée a rassemblé plus de 250 participants dont les habitants de Haren, présents notamment lors d’un atelier portant sur les impacts locaux. Un moment fort qui a permis aux participants de mieux cerner les multiples enjeux en présence et pour les professionnels du secteur de mieux identifier et comprendre les particularités de Haren.

Semeurs d’utopie et planteurs de patates

Peu à peu, au fil des actions menées, Haren, territoire enclavé et méconnu a titillé la curiosité et attiré l’attention. Le terrain du Keelbeek est devenue une zone à préserver où la propagande sème ses graines de résistance contre l’enfermement l’humain et pour la libération du chicon !

Ainsi le collectif des « Patatistes » a symboliquement choisi le terrain de la prison pour y organiser en avril 2014 une action de plantation de pommes de terre durant la journée des « Luttes Paysannes » pour la préservation des terres agricoles, mobilisant plus de 400 personnes sur les lieux.

La solidarité avec les habitants de Haren s’est également exprimé de manière exceptionnelle lors de la première enquête publique consacrée au cahier des charges de l’étude d’incidences. En effet, en réunion de concertation, la présence de représentants du syndicat des magistrats, de la Ligue des Droits de l’Homme, de l’Observatoire International des Prisons et d’autres sympathisants aux côté des habitants a, semble-t-il, forcé le respect. L’avis rendu par les membres de la commission de concertation a demandé l’étude d’un projet de prison plus modeste et la présence d’un représentant des habitants et du syndicat des magistrats dans le comité d’accompagnement pour la réalisation de l’étude d’incidences. Un minuscule droit de visite accordé pour ce projet placé sous haute surveillance.

Enfin pour clôturer l’été, le relais a été pris de manière très naturelle par le festival urbain « PleinOpenAir » qui s’est installé à Haren lors d’un week-end où balades, projections de films et débats en lien avec l’univers carcéral étaient au programme.

Ces différents mouvements se sont installés de manière assez spontanée. Un partage d’expérience inestimable qui a permis aux habitants de Haren de sortir de l’entre-soi, d’examiner d’autres points de vue et devenir des citoyens actifs mais surtout très avertis même dans des domaines pointus.

Plaidoyer pour la libération du Keelbeek

Aujourd’hui, le terrain est toujours occupé et des activités s’y organisent de manière régulière avec la complicité des habitants qui dans une tentative désespérée pour freiner le projet, ont introduit une demande de classement pour une partie du site, histoire de tenter de sauver au minimum le sentier du Keelbeek et la précieuse liaison vers Diegem. Commune et Région ont balayé d’un geste cette unique possibilité de sauvegarder le site, un ultime outrage pour les habitants. Mais l’opposition devient encore plus tenace !

La variété des actions proposées et la diversité des supports utilisés ont redistribué la parole et levé les tabous. La question carcérale n’est pas un sujet privilégié réservé à de seuls initiés. Pour IEB, il était primordial d’accompagner les habitants de Haren sur le chemin d’une réflexion plus globale : l’organisation du système carcéral dans son ensemble, la mise en lumière de ses failles, le sort des détenus,… mais aussi le choix des implantations et des architectures proposées sans oublier le financement.

Les actions des habitants de Haren ont permis de dépasser le problème local sans l’occulter et provoquer le débat. La rencontre avec les spécialistes des prisons et les alliances avec d’autres organismes réputés pour leur compétences et/ou les valeurs qu’ils défendent a été une formidable expérience pour partager différents points de vue sur la question carcérale et a permis aux habitants de Haren de se forger leur propre opinion sur cette question qui les concerne de près, mais qui leur vient de loin.

Les différentes manières de penser les aménagements du territoire posent clairement des questions sur les choix de notre société. Quelles sont les priorités actuelles en matière carcérale ? Quelles sont les stratégies politiques et financières dans ce domaine et est-ce que ces choix ont fait l’objet de concertation avec les acteurs concernés ?

La dernière étape à franchir pour poser le premier barreau de la prison est l’enquête publique pour obtenir – pas – le permis d’urbanisme accompagné de son étude d’incidences. La décision tombera dans quelques mois. Un espace temps supplémentaire pour rassembler les complices de la lutte, préparer les arguments de la défense et plaider pour une réduction de peine pour Haren qui demande grâce.

par Isabelle Hochart

Chargée de mission urbanisme de 2010 à 2016.