Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Georgin, une friche devenue bois

Le bois Georgin est une parcelle de 8 hectares (11 terrains de foot), qui s’étend à l’arrière des bâtiments de la RTBF sur le site Reyers, à Schaerbeek. Fermé au public, une importante biodiversité s’y est développée au fil de soixante années à l’abri de toute intervention anthropique. Menacé par l’urbanisation depuis les années 90, le récent projet Mediapark prévoyait sa coupe rase.

© Caroline Bonfond - 2023

En 1967, l’ancien terrain du Tir National (démoli en 1963), situé entre le boulevard Reyers, la rue Colonel Bourg et l’avenue Jacques Georgin, est cédé au service public de radio-télévision. Un an plus tard, la RTB-BRT (actuels RTBF et VRT), à l’étroit place Flagey, y prend ses nouveaux quartiers. À l’arrière des bâtiments, une parcelle non construite de 8 hectares – une friche – s’ensauvage. Un bois d’arbres pionniers [1] s’y développe avec sa faune et sa flore. Il deviendra en 2017 propriété de la Région.

À l’arrière des bâtiments, une parcelle non construite de 8 hectares – une friche – s’ensauvage.

Rétroactes

En 1993, un « plan particulier d’affectation du sol “îlot 385” (Colonel Bourg) » approuvé par arrêté de l’exécutif, menace l’existence paisible de ce poumon vert en bordure de l’autoroute E40, entrée est de la ville. La commune de Schaerbeek, en concertation avec la Région, y requalifie la friche en zone de lotissement, protégeant l’habitat existant d’une évolution vers le tertiaire. « Un gigantesque plan particulier concerne l’espace derrière la RTBF. La chlorophylle ertébéenne est convoitée. Le dernier terrain vague va-t-il périr sous la vague bétonnante ? Les Bruxellois tiennent à leurs arbres comme à la prunelle de leurs yeux [2]. » Les riverains se mobilisent et fondent un premier comité de quartier. Le temps passe et la friche ne s’urbanise pas. En 2009, le PPAS de 1993 est abrogé : devenu obsolète sur de nombreux points, il ne correspond plus aux conceptions urbanistiques en matière d’affectation, d’implantation, de densité et d’espaces publics. Le Plan régional d’affectation des sols (PRAS) est passé par là… et de nombreuses abrogations implicites sont intervenues. Par ailleurs un schéma directeur est en cours d’élaboration pour la « zone levier n°12 RTBF-VRT » [3]. La création d’un cluster ou pôle media est sur les rails. Il vise la transformation intégrale du quartier, dont la friche Georgin, en parc urbain.

Coupez ces arbres malades !

En 2014, une étude phytosanitaire [4] commanditée par la VRT et réalisée par Aliwen (une spin-off de l’Université libre de Bruxelles) « alerte sur la dangerosité des arbres présents ». Dans sa conclusion préliminaire, elle identifie « la suppression d’environ 50 % des sujets à court terme [5] ». Or, elle n’a été réalisée que sur un échantillon de 267 arbres, ce qui représentait 1,32 % du total des arbres de la zone [6]. Le désastre annoncé relatif à l’écroulement massif d’arbres « en mauvaise santé » n’a pas encore été observé à ce jour. Même si l’étude est fortement contestée aujourd’hui, elle a servi dès 2018 de justification au gouvernement Vervoort II pour asseoir le projet de PAD (Plan d’aménagement directeur) Mediapark [7]. La localisation stratégique entre l’aéroport et le quartier européen est idéale pour édifier un « nouveau quartier créatif et animé pour accueillir un écosystème médias innovant » [8]. Le PAD prévoit une coupe à blanc [9] du bois pour y accueillir un grand complexe de logements. Le plan prévoit de le compenser par 8 hectares d’espaces publics au sein d’un nouveau parc urbain dédié aux événements, promenade et loisirs.

Le Comité de quartier Médiapark se met en place et devient membre d’IEB. Il est le fruit d’une mobilisation collective, bien au-delà des riverains, afin de contrer les velléités de la Région.

Une biodiversité attestée

Libre de toute intervention de l’homme depuis 1962, la friche s’est ensauvagée. Des espèces pionnières s’y sont implantées. Des relevés botaniques du site réalisés dès 1999, par l’Association pour l’étude de la floristique, font état d’espèces particulières et rares [10].

Une étude réalisée en 2019 par le Comité de quartier Mediapark [11], dont un ingénieur des eaux et forêts, des biologistes et des botanistes, fournit des conclusions optimistes relatives à l’état phytosanitaire global du bois. Elle relève par ailleurs que l’état sanitaire de certains arbres du massif – et leur extrapolation à toute la forêt urbaine – ne peut justifier en aucune façon l’abattage inconsidéré de toute la végétation de plusieurs zones. Elle considère en outre que seuls les 69 arbres proposés par l’étude phytosanitaire d’Aliwen peuvent être abattus, ainsi que des arbres qui, depuis, sont tombés, sont morts ou entravent la circulation des personnes.

Le comité de quartier Mediapark s’est également livré à des études complémentaires sur la faune et la flore. Il en ressort la présence de nombreuses espèces animales et végétales au sein du bois, parmi lesquelles le renard roux, le lérot (une espèce protégée de rongeurs en déclin dans toute l’Europe), le corbeau freux, le faucon pèlerin, différentes espèces de papillons, de nombreuses variétés de chauve-souris, le martinet, la conure veuve, la mésange ou encore différentes espèces d’arbustes, de plantes grimpantes et d’herbacées. Une étude réalisée en 2021 par Natagora conclut que le site présente une forte diversité d’espèces de chiroptères. Précisant que « la présence de cris sociaux signifie qu’un gîte estivale se trouve à proximité de la zone. Les gîtes à chauves-souris sont strictement protégés [12] ».

Rapport de force

L’enquête publique du projet Mediapark de 2019 a connu une forte mobilisation citoyenne : 400 avis d’habitants, sans compter ceux rendus par les divers Conseils consultatifs de la Région. Le Conseil économique et social demande de préserver le caractère vert et boisé du parc de 8 hectares tandis que la Commission régionale de développement recommande de « revoir l’implantation des bâtiments, qui permette une meilleure conservation du bois sauvage Georgin afin d’en préserver les caractéristiques naturelles et d’y conserver la biodiversité ».

En avril 2021, les députés MR du Parlement bruxellois déposent une proposition de résolution [13] qui demande au gouvernement bruxellois de lui attribuer le statut de « zone verte » lors de la prochaine révision du PRAS.

Le gouvernement est forcé de revoir sa copie. Fin mars 2023, il a approuvé une nouvelle mouture du PAD Mediapark, dont l’enquête publique doit se dérouler ce printemps. Le projet « 2.0 » préserve 90 % du bois Georgin, renonçant ainsi à la construction prévue des immeubles du bloc H, en plus des trois blocs en son milieu (actés en juin 2021). On attend la publication du RIE (rapport sur les incidences environnementales) pour connaître quels édifices de plus de douze étages vont être diminués de gabarit suite aux promesses faites en juin 2021. Par ailleurs, les travaux de construction des nouveaux sièges de la RTBF (Media Square) et de la VRT battent leur plein depuis plus d’un an. Fin 2022, la VRT a obtenu un permis de la Région pour construire 600 emplacements de parking et ouvrir un deuxième chemin d’accès au chantier… en abattant 243 arbres dont les cavités abritent les nids des lérots. Un écocide largement relayé par les médias et dénoncé par Greenpeace.

Le désastre annoncé relatif à l’écroulement massif d’arbres en « mauvaise santé » n’a pas encore été observé à ce jour.

Quels usages de ce commun ?

Un parc urbain substitué à une « forêt urbaine » est une hérésie du point de vue de la biodiversité. Les arbres sont les dépositaires de l’habitat et de la biodiversité tant dans leur sol que dans leur canopée. Néanmoins, cette lutte occulte un impensé : quels seraient les usages de ce bois s’il était maintenu ? Comment concilier son accès aux Bruxellois·es et la pérennité des habitats de la faune et de la flore qui s’y sont développés ? Peut-on concevoir une partie qui soit réservée à son ensauvagement évolutif ? Une autre à l’observation de cet espace préservé dans un objectif pédagogique et expérimental ? Encore une autre à la promenade ? Le débat est ouvert et devrait rassembler maisons de jeunes, maisons de santé, associations environnementaliste et naturaliste, administrations communale et régionale… autour d’une même table.

Comment concilier son accès aux Bruxellois·es et la pérennité des habitats de la faune et de la flore qui s’y sont développés ?

par Guy Castadot

Comité de quartier Mediapark


[1Arbre pionnier : Ce qui est pionnier se dit des premières espèces végétales ou fongiques qui colonisent un milieu jusqu’alors nu. Une espèce pionnière est celle qui est généralement la première à coloniser un écosystème stérile. Ces espèces végétales et microbiennes robustes sont également les premières à revenir dans des environnements qui ont été perturbés par des événements tels que les incendies de forêt, une coulée de lave et la déforestation.

[2Le Soir, 1992.

[3Sous l’appellation « zone levier », aujourd’hui « Plan d’aménagement directeur » (PAD), quatorze espaces urbains ont été définis par le Plan régional de développement de 2002. La zone 12, aujourd’hui PAD Mediapark (2018), couvre une superficie de 175 hectares, bordée par le boulevard A. Reyers, la chaussée de Louvain et la E40.

[4Étude Aliwen, Plan d’ensemble de repérages des espèces, 2015.

[5J. SAINTENOY-SIMON, « Groupe flore bruxelloise : Rapport des excursions de 2011 », Adoxa 73/74, 2012 , pp. 30 à 32.

[6Considérant 144 de l’avis de la commune de Schaerbeek sur le projet de PAD Mediapark, mars 2019.

[7https://perspective.brussels/fr/actualites/ mediapark-enquete-publique

[8https://www.mediapark.brussels/fr/zones-strategiques/histoire

[9Coupe à blanc ou coupe rase : système de récolte - opération d’exploitation - qui consiste à abattre la totalité des arbres commercialisables d’une parcelle forestière et à ne laisser aucun couvert forestier. Cette gestion industrielle des forêts se pratique généralement pour la production de bois (plantation), parfois également pour des prétextes sanitaires.

[10Parmi lesquelles Montia minor (montie à graines cartilagineuses), l’orchidée Listera ovata (Listère à feuilles ovales), Arum maculatum, Davidia involucrata, Ornithogalum umbellatum, Poa nemoralis et Veronica peregrina.

[11Recensement des arbres existants, étude du Comité de quartier Mediapark, 2018

[12Voir à ce sujet le documentaire d’Archi Urbain sur le projet Mediapark, 14 mars 2021 : https://www.archiurbain.be/?p=9516