Dans son avis rendu le 29 septembre, la commission de concertation, réunie autour du dossier toujours controversé de la Galerie Bortier, recale le « Café littéraire » où l’Horeca est contraire au PRAS, et tacle l’encombrement hétérogène de la galerie. Pour des questions évidentes de sécurité en cas de sinistre, d’une part, et de l’autre, pour rétablir la nature architecturale et la lisibilité propres à cette galerie du XIXe siècle qui doit rester un lieu de passage et de flânerie. Mais tout en reprenant la plupart des arguments des 135 réclamant.e.s à l’enquête publique et moyennant conditions, l’avis rendu est, sans surprise, favorable. Un dossier sur lequel plane l’ombre d’une Régie foncière de plus en plus abonnée au détournement du patrimoine, matériel et immatériel, de Bruxelles au profit de l’Horeca.
C’est donc un avis en demi-teinte que la commission a rendu, ce lundi, mais dont certaines conditions remettent malgré tout quelques points sur les « i ». Ainsi, la Salle d’exposition, reprise au PRAS comme espace culturel, où le commerce est interdit et devra le rester, car on ne déroge pas au PRAS. Exit donc le salon de thé baptisé « Café littéraire » dont le nouvel exploitant avait fait son alibi culturel.
Détail piquant, dans la note explicative jointe à la demande de permis, on lit que « jusqu’au 13/11/24, la Régie des bâtiments (sic) et l’exploitant ignoraient que cet espace n’était pas affecté à du commerce ». Pourtant, lors d’événements organisés par les libraires dans cette salle, la convention d’occupation signée avec la Régie foncière stipulait noir sur blanc : « L’Emprunteur s’engage à ne l’exploiter qu’en vue d’y exposer des livres, images et affiches pour en faire un point lumineux culturel et non commercial ». Le directeur de la Régie, présent à la commission de concertation, n’a pas réagi à la lecture de ce passage.
C’est là une critique relevée dans l’avis défavorable qu’avait rendu la CRMS, en juillet, appuyée par la commission de concertation, qui préconise « un mobilier très limité, coordonné et discret, dont le placement ne gêne pas la circulation et respecte la lisibilité du concept de la galerie/passage ».
Dans le même ordre d’idées et s’appuyant sur l’avis du SIAMU, la commission de concertation pointe le danger que représente cet encombrement du passage qui, en soirée, sert d’issue de secours de la salle Madeleine. De belles et bonnes recommandations, mais dans ces cellules – appelées loges à l’origine - particulièrement exiguës, qui suffisent tout juste à héberger les cuisines industrielles et quelques rares tables et chaises, l’encombrement du passage est inévitable, y compris en dehors des heures d’ouverture. Un constat, une évidence, qui pose une fois de plus la question de la pertinence du concept dans cette petite galerie à l’ambiance intimiste.
Non mentionnée dans la demande de permis, l’organisation d’événements privés dans la galerie, pouvant accueillir jusqu’à 300 personnes, soulève également des préoccupations majeures, toujours liées à l’exiguïté des lieux, que la commission de concertation n’a pas manqué de relever, soulignant également le risque pour l’intégrité des éléments patrimoniaux de la galerie. En outre, s’agissant d’une superficie de plus de 200m², le demandeur, s’il poursuit dans cette voie en dépit du retrait de l’offre sur son site internet, devra également en passer par une demande de permis, d’Environnement cette fois.
Si l’avis précise bien, dans ses conditions, de « prendre toute mesure nécessaire pour remédier aux nuisances olfactives en intérieur d’îlot », il passe sous silence ces mêmes nuisances pour les 3 libraires qui survivent dans la galerie où ils accueillent désormais leurs clients dans une ambiance de taverne et de centre commercial « agrémenté » d’un fond musical ininterrompu. Autant de modifications, imposées unilatéralement par le nouvel exploitant à tous les occupants de la galerie, qui dégradent leur environnement de travail.
En parcourant la cinquantaine de « considérant » repris dans l’avis de la commission, on sent bien que les critiques soulevées par ce dossier ne sont pas le seul fait des opposant.e.s et percolent au sein même des administrations chargées d’examiner le dossier. On pourrait dès lors s’étonner, même si certaines conditions sont de nature à perturber les prévisions de rentabilité au m² du nouvel exploitant, que l’avis rendu soit favorable. Mais on sait aussi que le fond de ce dossier est d’ordre politique et non administratif ou juridique. Le pire, c’est qu’il n’est même pas guidé par le sens des affaires, puisqu’on le sait, trois restaurateurs ont déjà quitté la galerie et aucune nouvelle enseigne n’est venue les remplacer, tandis qu’interpellé au conseil communal, le bourgmestre a réitéré son soutien au projet.. tout comme il croit toujours à son Beer Temple.
Dans son avis, la commission de concertation a tenu à acter la remarque suivante :
« Considérant que les observations quant au respect des baux, procédure d’attribution de marché et implication et obligations du propriétaire sur la bonne gestion du bien ne relèvent pas des réglementations urbanistiques et ne feront donc l’objet d’aucun commentaire dans la présente demande et qu’il y aura lieu pour les réclamants, le cas échéant, de porter ces observations vers les administrations compétentes en la matière ».
Selon la Note explicative jointe au dossier de demande de permis, le demandeur explique qu’en 2023, « la Ville de Bruxelles, via la régie des bâtiments (re-sic) lance un appel à projet concernant la galerie Bortier dont elle est propriétaire. La société FMI (NDLR : Food Market Invest, srl satellite de la SA Choux de Bruxelles) présente leur projet pour la première fois le 3 octobre 2023, avec les mêmes contours que celui existant ».
Interrogé par mail au sujet de cet appel à projet, le Service juridique de la Ville de Bruxelles indique « qu’il n’y a pas eu d’autre appel à manifestation que celui lancé le 18/01/2022 sur deux cellules vides (n°7 & 12) de la galerie Bortier, qu’il ne connaissait pas la srl FMI ».
Du reste, en juillet 2023, soit trois mois avant la date supposée de ce projet fantôme, le nouvel exploitant rencontrait les libraires pour leur expliquer son nouveau concept. Des contradictions soulevées lors de la commission de concertation et sur lesquelles nous n’avons pas obtenu de réponse, ni du demandeur ni du directeur de la Régie foncière.
Il va de soi qu’Inter-Environnement continuera de défendre la galerie Bortier, livrée en ce moment à un sort qui ne lui convient pas, et de plaider pour un vrai projet, respectueux de son patrimoine, matériel et immatériel. Mais il s’agira aussi d’investiguer sur la genèse de ce dossier. D’autant que d’autres projets sont annoncés, regroupant les mêmes protagonistes et portant également sur des propriétés de la Régie foncière, promises aux appétits grandissants d’acteurs privés de l’Horeca, pourtant déjà surreprésenté dans le centre-ville. Une affaire, ou plutôt des affaires à suivre, donc, avec la plus grande attention !