Inter-Environnement Bruxelles
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Exarcheia : en lutte contre la gentrification

Exarcheia est un quartier central d’Athènes, connu pour les dynamiques autogestionnaires qui s’y développent mais aussi comme terrain historique de lutte.

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Ancien quartier étudiant, Exarcheia avait été au cœur des combats contre la dictature des colonels (1967-1974). Aujourd’hui, les étudiant·es sont presque tous. tes parti·es ailleurs mais plusieurs maisons d’édition, librairies et imprimeries qui produisent et distribuent encore de nombreux ouvrages, notamment issus des pensées libertaires et antiautoritaires grecques et étrangères, sont restées. Les rues d’Exarcheia restent couvertes d’affiches militantes qui informent des nouvelles, des actions et des discussions publiques, encore très nombreuses à Athènes. La dynamique contestataire du quartier se maintient elle aussi, toutefois à un rythme moins soutenu qu’il y a quelques années. Quelques lieux autogérés importants subsistent mais un certain nombre d’entre eux ont malheureusement disparu. Tout cela montre une profonde transformation du quartier. Alors que la police ne s’aventurait pas à Exarcheia, depuis l’arrivée au pouvoir de Mitsotakis (Nouvelle Démocratie) en 2019, la présence policière se veut la plus visible possible, des agents des forces spéciales de police surveillent le quartier 24 h/24 et se tiennent à des points stratégiques. Mais la pire menace qui pèse sur Exarcheia aujourd’hui est sans doute le processus de gentrification en cours.

Transformation et flambée des prix

Sur la façade du squat autogéré Notara 26, où habitent des personnes sans-papiers, est suspendue une immense banderole sur laquelle on peut lire Burn gentrification (gentrification, brûle !). Exarcheia se gentrifie via deux processus : la touristification et l’embourgeoisement. Le quartier attire les regards extérieurs, ainsi que le tourisme, et est envahi par Airbnb. Déjà après la crise de 2008, on peut affirmer sans trop de doute que la plupart des chambres libres étaient louées tôt ou tard à des vacancièr·es. Cela pouvait aider les locataires à payer leur loyer, les propriétaires-occupants leur crédit ou encore à arrondir des fins de mois difficiles. Aujourd’hui, la hausse des loyers et des prix du logement ont fait qu’un certain nombre d’habitant·es ont été obligé·es de s’installer ailleurs. Airbnb ne les a finalement pas sauvé·es de la précarité. Depuis, leurs logements ont probablement été transformés pour de la location à court terme. Airbnb s’est avéré un business juteux pour les petits investisseurs, de plus en plus nombreux et de moins en moins petits, qui se sont vite rendu compte des profits à tirer de ce tourisme alternatif florissant. Ils ont ainsi racheté des unités de logement à des prix ridiculement bas si on les compare aux bénéfices qu’ils en tirent (entre 50 et 80 euros la nuit pour une chambre, soit un minimum de 1 500 euros par mois de recettes, à peu près trois fois plus qu’un loyer cher). Au-delà du processus de touristification, Exarcheia attire une population étrangère de classe moyenne qui s’achète un petit pied-à-terre à Athènes, ce qui contribue presque autant qu’Airbnb à faire augmenter les prix. Des boulangeries, des bars et des cafés branchés s’installent peu à peu pour servir ces nouveaux arrivants. Tout ça se mêle à ce qui reste des squats, des lieux autogérés, des dynamiques révolutionnaires, mais aussi des cafés et tavernes traditionnelles encore présentes.

Lieux stratégiques menacés par les investisseurs

La gentrification en cours tente en quelque sorte de supprimer le passé et le présent révolutionnaire d’Exarcheia tout en se l’appropriant comme argument commercial. La lutte contre la gentrification s’avère donc être un combat politique autant que (et même peut-être plus que) social.

À l’heure de l’écriture de cet article, la place centrale d’Exarcheia, lieu de référence du quartier, est menacée de disparition par l’implantation très probable d’une bouche de métro – que certain·es espèrent empêcher – dans les semaines à venir. Il faut dire que la place, pourvue d’arbres voués à disparaître, n’est pas grande et constitue l’un des seuls espaces publics du quartier, servant de lieu de rassemblement et d’expression important pour les luttes. Avec l’arrivée du métro, la place d’Exarcheia, la plateia, deviendra un espace de passage plutôt que de rencontre.

Le métro est une arme puissante de transformation des quartiers, dont les conséquences désastreuses sont l’exclusion des pauvres et l’apparition d’une nouvelle classe d’habitant·es. C’est ce que les personnes qui s’opposent au métro veulent éviter à tout prix. Cette nouvelle ligne de métro servira principalement à relier les sites touristiques du centre, tandis que de nombreux quartiers densément peuplés et certaines banlieues de la ville resteront déconnectées du réseau de transport public. Un des bâtiments situés sur la place d’Exarcheia est le fameux K*Vox, ancien cinéma aujourd’hui occupé notamment par Rouvikonas, un groupe anarchiste d’action directe, une des cibles du gouvernement Mitsotakis. K*Vox accueille aussi ΑΔΥΕ (ADYE), un dispensaire social autogéré où toutes les personnes, avec ou sans papiers, ont la possibilité de bénéficier d’une consultation médicale gratuite.

La gentrification en cours tente en quelque sorte de supprimer le passé et le présent révolutionnaire d’Exarcheia tout en se l’appropriant comme argument commercial.

Un peu plus loin, la colline Strefi, un des seuls espaces verts du quartier, dont l’aménagement est resté identique depuis quelques décennies et dont l’entretien est assuré en autogestion puisque les pouvoirs publics l’ont abandonné, est devenue la cible d’investisseurs qui veulent y développer des petits commerces, des aires de jeux, des barrières et des systèmes de surveillance. Du haut de la colline de Strefi, on peut encore apercevoir l’Acropole, que l’on soit riche ou pauvre. Les investisseurs, eux, espèrent exploiter cette belle colline pour donner de la valeur aux biens immobiliers qui l’entourent. Le développement de Strefi est donc une pierre de plus à la gentrification générale du quartier. Les populations visées par le développement de la colline sont celles qui sont moins enclines à apprécier les espaces verts entretenus en autogestion. Une militante de l’assemblée pour la préservation de la colline de Strefi expliquait la transformation voulue de la colline à peu près en ces termes : « Ils veulent remplacer les arbres existants par de beaux arbres qui plaisent aux bourgeois. »

Plus bas, aux frontières du quartier d’Exarcheia, l’école polytechnique, lieu historique de résistance, haut symbole de la lutte contre la dictature, fait également l’objet d’un projet de transformation, tout aussi gentrificateur que les autres. Quasiment entièrement vidée d’une vie étudiante pourtant très engagée historiquement, l’école polytechnique est désormais destinée à devenir un musée. Pour comprendre l’importance de ce geste, il faut sans doute connaître un peu mieux l’histoire de la Grèce, je ne m’y attarderai pas ici. J’aimerais seulement souligner qu’il fallait un gouvernement de droite pour avancer sur un tel projet.

Le squat Notara 26, quant à lui, résiste toujours à l’expulsion. Il fut le premier d’un mouvement de squats de personnes migrantes qui ont été ouverts à partir de 2015 à Exarcheia et désormais le dernier rescapé. Il a été ouvert en réaction à une situation où des dizaines de milliers de personnes catégorisées « réfugiées » étaient bloquées dans la capitale grecque. En tant que lieu de résistance aux camps inhumains « d’accueil » des migrant·es, il est la cible du gouvernement grec. Notara 26 a subi, il y a quelques jours, des coupures d’électricité qui n’annoncent rien de bon pour les personnes sans papiers qui l’occupent. Ces coupures sont des menaces claires et participent elles aussi au processus de gentrification et de répression du quartier.

Assemblées, autogestion et actions contre la gentrification

La gentrification à Exarcheia, comme partout ailleurs, a pour but de remplacer une population par une autre, mais à Exarcheia il y a un élément en plus : elle vient écraser la résistance, celle qui s’oppose aux valeurs de droite conservatrice du gouvernement, celle de Notara 26, celle qui s’exprime sur la place, celle qui s’organise à K*Vox, celle des lieux autogérés, etc. La gentrification est très clairement au service des valeurs du gouvernement actuel et constitue une stratégie politique ciblée. La droite conservatrice ne s’en cache pas. Pour se faire élire, le parti de Mitsotakis a souvent pointé du doigt Exarcheia et a promis à ses électeurs qu’il se chargerait de sa transformation. La dimension politique de cette gentrification est on ne peut plus claire.

Notara 26 a subi, il y a quelques jours, des coupures d’électricité qui n’annoncent rien de bon pour les personnes sans papiers qui l’occupent.

Dans leur communiqué, les membres de la Coordination des actions menées à Exarcheia l’ont très bien exprimé. Elles et ils appelaient à la défense « d’un quartier du monde où s’inscrivent plusieurs mondes. Où des personnes de tout genre, âge et origine peuvent vivre ensemble. Où l’histoire des luttes d’hier rencontre les souffrances et les résistances d’aujourd’hui. Face à la gentrification, les expulsions, la dissolution des forces politiques (de résistance), la menace policière, il nous faut nous battre pour l’Exarcheia de l’autogestion sociale, de la solidarité de classe, de la révolte ».

Le 25 juin dernier, une journée internationale de mobilisation pour la défense d’Exarcheia a été organisée par la Coordination des actions menées à Exarcheia et par l’Assemblée pour la préservation de la colline Strefi. Si un appel international de soutien a été lancé, c’est que la situation est grave et que les habitant·es et militant·es du quartier ont besoin de soutien. Dans le quartier même, les affrontements avec la police ont été intenses cette nuit-là. Depuis la Belgique, plus précisément depuis Liège, la Chartreuse occupée a envoyé un message de solidarité aux camarades grec·ques : « Pas de profit sur nos vies, de Liège à Exarcheia. »

Il serait injuste de parler de cette journée de mobilisation sans évoquer les combats quotidiens qui sont menés sur place. Des assemblées sont organisées presque tous les jours de la semaine : l’assemblée contre l’implantation du métro de la place d’Exarcheia, celle pour la préservation de la colline Strefi, du parc Navarinou (un parc autogéré un peu plus bas dans le quartier), du squat Notara 26, celle de Vox, de l’Intiative contre les expulsions liées aux dettes impayées, etc. Il y en a tellement qu’il est difficile de toutes les nommer, d’autant plus qu’à ces assemblées s’ajoutent celles de tous les sous-groupes de ces groupes auto-organisés. Tous les vendredis, une assemblée ouverte se tient sur la place d’Exarcheia pour coordonner toutes les assemblées pour la défense du quartier, de là est issue la Coordination des actions menées à Exarcheia. Lors de ces assemblées sont discutés les textes, les actions à mener, l’organisation du travail en vue de les réaliser. Des idées sont échangées, des informations aussi, et beaucoup de colère.

La lutte contre la gentrification du quartier d’Exarcheia et donc une lutte contre l’imposition d’un mode de vie exclusif plutôt qu’inclusif, élitiste plutôt que populaire, hiérarchisé plutôt qu’horizontal, mais elle constitue surtout un combat contre la répression étatique. C’est pourquoi, la résistance contre la gentrification d’Exarcheia concerne tous·tes les habitant·es du quartier mais aussi directement le mouvement anarchiste grec (et international) qui y est présent historiquement. Les combats contre la police grecque ont été fréquents et violents dans les rues de ce quartier. Le 6 décembre 2008, la mort du jeune Alexandros Grigoropoulos, tué par balle par l’agent de police Korkoneas, avait provoqué les fameuses émeutes de 2008 avec des affrontements violents. Le mémorial d’Alexandros Grigoropoulos, menacé lui aussi par la gentrification de la rue Mesologgiou (toujours à Exarcheia), a été reconstruit et célébré il y a quelques jours à peine et une gigantesque fresque a été également inaugurée dans le quartier malgré les tentatives de la police de l’empêcher. Les investisseurs n’effaceront pas l’histoire et la mémoire des luttes qui ont parcouru les rues d’Exarcheia car la résistance s’organise de tous les côtés et elle reste aujourd’hui profondément ancrée.

Des idées sont échangées, des informations aussi, et beaucoup de colère.