Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Eurostadium : chronique d’un hors-jeu démocratique

Petite illustration du modèle entrepreneurial en Région bruxelloise, au travers du projet de stade de football national au Heysel.

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C’est en 2013 que les ministres régionaux bruxellois, réunis à Ostende, décident en conciliabule de construire un nouveau stade de foot. Ce projet implique de démolir le stade Roi Baudouin et, pour installer le nouveau stade, d’occuper le parking C, un terrain de 30 hectares appartenant à la Ville de Bruxelles, situé entre les palais du Heysel et le ring de Bruxelles. Avec pour particularité que le site est situé en Région flamande. Objectif annoncé : participer à la coupe de l’Euro 2020.

Ce choix opéré hors de tout débat démocratique, et sans consultation préalable des autres parties concernées, n’aura de cesse d’être questionné par les acteurs non associés à la prise de décision.

Pourquoi construire un nouveau stade de 60 000 places alors que le stade Roi Baudouin date des années 90, se combine avec une piste d’athlétisme prisée pour le Mémorial Van Damme, offre 50 000 places et a connu une rénovation de 60 millions d’euros il y a 17 ans pour participer à l’Euro 2000 ?

La Belgique compte déjà six stades de foot, qui soutiennent la comparaison au niveau européen.

La Ville de Bruxelles et la Région avancent main dans la main en se gardant bien de fournir des réponses trop précises sur le financement de l’opération. La parade consiste à crier haut et fort que le stade ne coûtera pas un euro aux pouvoirs publics.

Un argument de pure façade quand on sait que le terrain proposé au promoteur désigné, Ghelamco, est propriété de la Ville et qu’elle le met à disposition sous bail emphytéotique de 99 ans au canon symbolique de… un euro !

Au terme des 99 ans, la Ville s’engage à racheter le stade, certes à un prix inférieur de 20% au prix du marché (la norme en la matière est le transfert gratuit à l’échéance). La Ville s’engage en outre envers Ghelamco à verser, durant 60 ans, 5 millions d’euros/an pour quelques avantages cosmétiques, soit un engagement financier total de 300 millions d’euros majoré de l’indexation.

Obnubilés par leur volonté de participer à l’Euro 2020, nos édiles se livrent pieds et poings liés aux appétits du promoteur et lâche du lest sur tous les fronts, dans l’espoir de disposer de l’infrastructure rêvée en temps et en heure.

Aujourd’hui, on sait ce qu’il est advenu de ce caprice : le projet de stade est coulé. Faut-il le regretter ? Tout le monde y va de son refrain sur les conflits communautaires et sur l’incapacité de la Belgique à pouvoir encore monter des projets d’envergure « nationaux ». La N-VA est pointée comme responsable de tous les maux. Sans vouloir dédouaner celle-ci de ses responsabilités dans l’affaire, ni faire l’impasse sur les tractations immobilières qui se sont tenues en coulisses entre Ghelamco et le directeur du FC Brugges, il faut rappeler les responsabilités de ceux qui d’emblée ont pensé un projet qui n’avait rien de national et ne reflétait nullement l’intérêt général.

À la base du projet, on trouve le souhait obsessionnel d’Alain Courtois (MR ), échevin des sports à la Ville de Bruxelles, de participer à la coupe d’Europe de football, combiné au souhait de la Ville de se débarrasser du stade Roi Baudouin. Celui-ci gêne en effet le développement du projet immobilier Neo, porté par le PS (un centre commercial de 72 000 m², plus de 700 logements, un centre de congrès de 3 500 places).

Le deal se réalise par une alliance PS-MR : le MR apporte son soutien au projet Neo et en contrepartie le PS soutient le projet d’un nouveau stade. La cheville ouvrière du projet : Ghelamco, promoteur du stade de Gand.

Combien peut-il y avoir de centres de conférence, de stades, de parcs d’attraction, de ports de plaisances et de centres commerciaux spectaculaires ?

Un projet hors cadre

Pour valoriser le terrain mis à disposition par la Ville de Bruxelles, Ghelamco s’éloigne totalement de l’appel d’offre qui se limite à la construction du stade, rentabilité oblige, pour prévoir un projet de 700 000 m² combinant un mystérieux campus dont personne n’identifie clairement la finalité, 24 000 m² de services et 78 000 m² d’horeca. Ce faisant, le promoteur fait aussi fi des balises posées par le Vlaams Strategisch Gebied rond Brussel (VGSB) qui prévoit pour la zone un maximum 50 000 m² de loisir et 20 000 m² pour le bureau. Ces limites visaient à empêcher l’asphyxie du ring et de l’A12 (voir ci-dessous) et à tenir compte des développements à venir du projet Neo. L’étude d’incidences du VGSB anticipait en effet sur les risques avérés de trafic supplémentaire généré par les multiples projets à proximité du plateau du Heysel (le centre commercial Uplace, recalé plusieurs fois pour des problèmes de mobilité et le projet Neo). Elle concluait que tous les investissements supplémentaires prévus (élargissement du R0, routes parallèles le long du R22, élargissement de l’autoroute A12, développement du RER, ligne Diabolo, mise en œuvre intégrale des lignes interrégionales de bus et du tram tangentiel le long du R22…) seraient insuffisants pour absorber cet accroissement.

Conscient de cette entaille, le promoteur a tenté de faire rentrer son maxi-projet au chausse-pied en camouflant son ampleur à l’aide de calculs complexes qui n’ont convaincu ni les associations attentives à l’évolution du projet ni le fonctionnaire de l’administration de l’aménagement urbain du Brabant flamand. Pour Ghelamco, les surfaces du stade n’étaient comptabilisées dans les fonctions de loisir que les jours de match et disparaissaient des superficies à prendre en compte les autres jours.

Or, compte tenu de son emplacement connecté au Ring et vu le grand nombre de places de stationnement prévues, ce « projet multifonctionnel » allait constituer un aimant à voitures. Avec ses 11 000 places, le projet était catapulté dans le top 5 des plus grands parking du monde. En Europe, les stades de football semblables s’accompagnent d’une capacité de stationnement de 3 000 places comme à Wembley. Des stades historiques tels que le Parc des Princes (Paris) ou Camp Nou (Barcelone) n’ont, eux, aucun parking. À Lille, le stade nouvellement construit Pierre Mauroy est doté de 3 500 places. Par contre, leur accessibilité en transport public est sérieusement pensée.

L’étude d’incidences de l’Eurostadium aurait dû analyser un scénario de mobilité en examinant deux choses. D’une part, l’effet cumulatif du futur stade sur les flux du RO et de l’A12, en cas de match de dimension internationale, avec les trois projets de centres commerciaux Neo, Uplace et Docks (ouvert il y a un an) ; d’autre part, l’effet cumulatif des événements susceptibles de s’organiser simultanément : un grand match, un concert dans le Palais 12 et une foire internationale de réputation mondiale. S’y ajoute le scénario possible d’un grand congrès, vu que la phase 2 du projet Neo englobe la création d’une salle de congrès de 3 500 places. Chacune de ces infrastructures diminuerait en rentabilité si son agenda était bloqué en raison de combinaisons jugées impossibles pour parer aux problèmes de mobilité. Les promoteurs tablaient sur une gestion rationnelle des agendas mais celle-ci n’existe pas à l’heure actuelle et la multiplication des événements sur le site ne fera que complexifier ce défi. 50 événements annuels, soit un par semaine, devraient au minimum être prévus sur le site du stade pour assurer sa rentabilité. Ils se télescoperaient inévitablement avec d’autres grands événements sur le plateau du Heysel.

L’option de la rénovation : l’alternative qui gêne

Alors que le projet d’Eurostadium est aujourd’hui mort et enterré, l’idée de rénover le bon vieux stade Roi Baudouin refait surface. [1] Quelques semaines plus tôt ce scénario était pourtant inaudible au point que les pouvoirs publics n’avaient jamais commandé d’étude permettant de l’étudier sérieusement en vue de réaliser un arbitrage en connaissance de cause. Seule une étude du bureau d’architecture Goedefroo, cataloguée N-VA, et dès lors décrédibilisée, a circulé, laquelle estimait le montant d’une rénovation conforme aux normes de l’UEFA avec 60 000 places à 120 millions d’euros.

Soucieuse qu’elle était de se débarrasser d’un stade difficilement compatible avec l’épanouissement du projet Neo, la Ville préférait passer le stade Roi Baudouin au bulldozer afin de valoriser le foncier ainsi libéré. Et de taxer dans la foulée ceux qui critiquaient le nouveau stade d’être en cheville avec la N-VA, communautarisant ainsi systématiquement le dossier, ce qui lui permettait de ne pas répondre aux critiques de fond et arguments soulevés.

Derrière le nouveau stade se cache un autre projet, le rêve immobilier de Neo avec son centre commercial de 72 000 m².

Les motifs pour ne pas approfondir ce scénario se sont donc amoncelés avant même que toute étude susceptible d’objectiver la question soit réalisée. L’étude d’incidences de l’Eurostadium écartait du revers de la main l’hypothèse mal-aimée : une rénovation du Roi Baudouin dans les délais, pour être conforme aux normes UEFA , serait trop coûteuse. À y regarder de plus près, cette affirmation est loin d’être démontrée dès lors que l’on sait que les charges publiques de l’Eurostadium s’élevaient au final à plusieurs centaines de millions d’euros [2], qu’il faut en outre y intégrer les coûts liés à la perte de la piste d’athlétisme qui accueille le Van Damme et, pour être exact, le coût du terrain mis à disposition gratuitement par la Ville au promoteur.

L’autre argument opposé était que la rénovation serait à charge des pouvoirs publics et ne pourrait pas être confiée au privé. Pourtant, depuis le fiasco de l’Eurostadium, le développeur Besix a fait savoir qu’il pourrait rénover le stade Roi Baudouin, créer 45 000 places avec des loges tout en gardant la piste d’athlétisme pour 200 millions d’euros. [3]

Rénover le stade est d’évidence la meilleure solution. Elle permet de maintenir le stade en Région bruxelloise, de garder sa proximité avec la station de métro, de préserver la piste d’athlétisme, de faire d’importantes économies et de réduire sérieusement les nuisances à l’égard des riverains.

L’échec de l’Eurostadium est une histoire de conflit communautaire, certes, mais faut-il au final regretter que ce dernier ait coulé un projet démesuré et coûteux mené sans respect des règles du jeu démocratique ? Un projet dont le seul but initial était de servir des intérêts singuliers d’édiles politiques réduisant l’aménagement du territoire à un terrain de jeu immobilier, et s’entêtant au lieu d’écouter la multitude des signaux d’alerte. Car derrière le nouveau stade se cache un autre projet, le rêve immobilier de Neo avec son centre commercial de 72 000 m² et dont la phase première est à l’enquête publique. [4]

Claire Scohier
Inter-Environnement Bruxelles


[1Début février 2018, le gouvernement bruxellois a commandé une étude juridique pour savoir si la convention passée entre la Ville de Bruxelles et le promoteur flamand peut être dénoncée en vue de chercher des pistes alternatives, notamment en rénovant le stade Roi Baudouin. Jusqu’ici, les frais d’avocat à charge de la Ville dans ce dossier s’élève à 1 million d’euros.

[2Voir C. Scohier, « Eurostadium : des millions pour un donut ! » in Bruxelles en mouvements n°277, juillet-août 2015.

[3Rappelons que Besix fait partie du consortium ayant raflé la mise pour la phase première du projet Neo. Le promoteur est en charge de la construction de 590 logements sur le site.

[4Pour plus d’informations sur le projet Neo, consultez : « rubrique 228 ».