Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

État des lieux de la planification territoriale en Région bruxelloise et d’un urbanisme opportuniste

La planification du territoire bruxellois est bien antérieure à la création de la Région. C’est la loi du 29 mars 1962 organique de l’aménagement du territoire, adoptée dans le cadre de la structure unitaire de l’Etat belge, qui marque la première tentative de régulation de l’aménagement du territoire, dans un contexte qui laissait une large part aux arrangements circonstanciels entre les acteurs de l’immobilier et les administrations publiques. Depuis, la Région a créé ses propres outils d’aménagement : le CoBAT, le PRAS et le RRU sont les piliers du cadre urbain bruxellois. Cette étude retrace l’historique des ces différents dispositifs de planification tout en en dressant une analyse critique jusqu’à nos jours.

C’est sous la loi du 29 mars 1962 organique de l’aménagement du territoire que le gouvernement fédéral a, en 1979, adopté le premier plan de secteur qui instaure notamment la procédure de publicité-concertation. Mais la logique dominante à l’œuvre restait l’instrumentalisation de l’agglomération bruxelloise comme facteur productif au profit de la nation notamment dans la manière d’affecter nos sols.

À l’origine de l’affectation des sols

Le principe d’« affecter » les sols c’est-à-dire d’octroyer une fonction spécifique à chaque partie d’un territoire renvoie à l’idée du zonage qui provient de la Charte d’Athènes (1933) rédigée par Le Corbusier. Les quatre fonctions clés de l’urbanisme sont : habiter, travailler, se récréer et circuler. On observera que les espaces verts n’ont pas directement voix au chapitre dans cette énumération. Dès l’après-guerre, en 1948, le groupe Alpha est désigné pour réaliser un avant-projet de plan d’aménagement de la région bruxelloise. Ses grandes lignes seront exposées seulement 10 ans plus tard à l’occasion de l’Exposition universelle de 1958 avec une prise de conscience de la difficulté à planifier le territoire de façon prospective : les premières lignes directrices auraient mal anticipé les changements liés à la tertiarisation de l’économie et à l’exode rural : « Le Groupe Alpha veut transformer tout Bruxelles et son hinterland. Il dépeuple le centre urbain, sans air, sans lumière et sans soleil. Il redistribue l’habitat, suivant des normes précises, et limite l’expansion des quartiers périphériques par une ceinture verte. Douze cités-satellites maintiendraient dans une orbite de 25 à 30 kilomètres la main-d’œuvre dont la capitale a besoin. » [1]

Entre 1962 et 1965, le même Groupe Alpha développe un avant-projet de plan de secteur pour l’Agglomération bruxelloise, lequel restera tout aussi officieux que son prédécesseur, sans doute pour les mêmes raisons de radicalité : démolition-reconstruction de quartiers entiers, redistribution hiérarchique des équipements collectifs sans tenir compte des limites communales, etc... Cette incapacité planificatrice conduira à la bruxellisation, chaque commune y allant de son plan d’aménagement en fonction de ses intérêts propres. La ville se développe de manière quasi incontrôlée : destruction des structures sociales et urbaines existantes (quartier Nord, quartier Léopold), des œuvres architecturales (Maison du Peuple), complexe de bureaux mal intégrés au tissu urbain (Cité administrative), grandes autoroutes urbaines défigurant les quartiers. [2]

Suite à la régionalisation progressive du pays à partir des années 70, un ministre des Affaires bruxelloises est nommé : Guy Cudell élabore en 1973, un échantillon de plan de secteur qui vise à maintenir et défendre l’habitat et à discipliner l’implantation des bureaux. En 1974, Paul Vanden Boeynants succède à Guy Cudell et poursuit le travail autour du plan de secteur. La première version du plan sera adoptée dans la confidentialité et suscitera une vive critique de la part des comités et associations : très grande importance accordée à la circulation automobile (grandes voies de circulation pour faciliter l’accès direct au centre de la ville), larges portions de l’espace urbain consacrées au développement de la fonction tertiaire. Le plan minera la confiance de la population dans la politique d’aménagement du territoire vécue comme technocratique et foncièrement non-participative. C’est lors de la signature du projet de plan de secteur en 1976 qu’entrera en vigueur la procédure de publicité-concertation qui permet, encore aujourd’hui, aux citoyens d’intervenir via les enquêtes publiques et la commission de concertation sur la délivrance des permis d’urbanisme. [3]

La première mouture contestée connaîtra de profonds remaniements pour donner lieu à un nouveau plan finalement adopté en 1979. Ce dernier cherche à préserver les quartiers d’habitations, consacre le principe de mixité des quartiers et met fin à certains grands projets routiers prévus par l’administration des routes. Il tente de contenir le développement de la fonction tertiaire dans de larges zones, là où la présence de bureaux était déjà importante en 1970.

L’adoption du Plan de secteur et la mise en place des procédures d’enquête publique et de concertation, sans porter un réel coup d’arrêt à la logique exogène et marchande qui sévit sur le territoire bruxellois, va néanmoins fournir un cadre aux projets urbains et un droit de regard des habitants sur le devenir de leur ville. Néanmoins, la ville restera largement pensée par ses fonctions plus que par ses usages.

Par ailleurs, les communes useront et abuseront des possibilités offertes de déroger au plan de secteur. Elles adopteront des plans particuliers (communaux) dérogatoires répondant bien souvent à des demandes formulées par les agents immobiliers auprès des communes [4]. Ces dérogations se feront au profit du développement tertiaire. Fin 1999, peu avant que le plan de secteur ne soit remplacé, 47% des quelque 10 millions de m² de bureaux sont comptabilisés en dehors des zones administratives que le plan avait définies. [5]

Enfin, le fameux principe de mixité sera toujours appliqué de façon ambiguë, même s’il vise avant tout à rompre avec le fonctionnalisme moderniste : « on affirmait à la fois les qualités de la mixité logement-entreprises dans les quartiers pauvres centraux et la nécessité de protéger de manière presque exclusive la fonction logement dans les quartiers résidentiels plus périphériques » [6]

Au terme de la troisième réforme institutionnelle, en 1989, Bruxelles est enfin reconnue comme une Région à part entière, aux côtés de la Région wallonne et de la Région flamande. Comme les deux autres Régions avant elle, elle reçoit de l’Etat fédéral les compétences en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire [7].

Rapidement, la nouvelle Région entame une profonde réforme de la législation relative à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, en adoptant l’ordonnance du 29 août 1991 organique de la planification et de l’urbanisme, en abrégé l’OPU, entrée en vigueur en juillet 1992. L’OPU se décline en 198 articles pour tenir compte des spécificités urbaines du territoire bruxellois : « l’exode urbain [8], la spéculation foncière aiguë qui sévit dans certains îlots, le développement des bureaux et des hôtels, l’encouragement à la construction et la rénovation de logements ainsi que leurs possibilités d’accès, les difficultés accrues de circulation » [9]. D’autres ordonnances et arrêtés complètent le dispositif, relativement à l’accès à l’information, aux commissions de concertation, à l’évaluation préalable des incidences sur l’environnement, etc.

Aux termes de l’article 2 de l’OPU, « le développement de la Région de Bruxelles-Capitale, en ce compris l’aménagement de son territoire (...) est conçu tant au point de vue économique, social et esthétique que dans le but de préserver et d’améliorer l’environnement de la Région et de gérer son sol avec parcimonie ». L’ordonnance traduit ainsi la volonté du législateur de décloisonner les matières de la planification spatiale et de la planification économique. En d’autres termes, l’aménagement du territoire est intégré dans un objectif plus vaste de planification économique [10].

Quatre types de plans sont mis en place, selon la hiérarchie suivante :

  1. le plan régional de développement (PRD), qui remplace l’ancien plan régional : il s’agit d’un plan stratégique qui définit les grandes orientations politiques pour le développement de la Région, et ce, tant dans les matières strictement régionales que dans les matières culturelles ou sociales. Initialement conçu pour concrétiser les axes de la déclaration gouvernementale, il devait être revu à l’issue de la législature régionale, tous les cinq ans [11] ;
  2. le plan régional d’affectation du sol (PRAS), qui succède au plan de secteur et détermine, dans le cadre fixé par le PRD, les différentes affectations du territoire qui doivent être respectées par les demandeurs de permis ;
  3. les plans communaux de développement (PCD), qui remplacent les anciens plans généraux d’aménagement et fixent les grandes orientations stratégiques à l’échelon communal ;
  4. les plans particuliers d’affectation du sol (PPAS), qui remplacent les anciens plans particuliers d’aménagement et précisent, dans le cadre fixé par le PCD qui lui correspond, les affectations du territoire applicables à une partie du territoire communal.

L’échéance temporelle visée par les outils réglementaires tels que le PRAS et les PPAS est en général plus longue que celle des outils stratégiques : minimum quinze ans pour un PRAS ; beaucoup de PPAS qui datent des années 60-70 n’ont pas été révisés et sont peu à peu abrogés.

L’ordonnance de 1991 a le mérite de conforter certains acquis du passé, notamment le mécanisme de la publicité-concertation, largement porté par l’ARAU et IEB et qui, comme tel, n’existe encore aujourd’hui qu’en Région de Bruxelles-Capitale [12]. Dès le début, il figure au titre des dispositions générales de l’ordonnance, témoin de son importance. C’est aussi dans le cadre de l’OPU que disparaît la dénomination « permis de bâtir » au profit de la dénomination actuelle « permis d’urbanisme » [13].

La nouvelle ordonnance est bien accueillie par le secteur associatif. IEB titrera un article de sa revue Ville et Habitant : « Nouvelle ordonnance : une avancée démocratique à saisir » [14]. L’OPU sera modifié à seize reprises entre 1991 et 2004 et cèdera la place au CoBAT avec l’ordonnance du 9 avril 2004.

Le PRD et le PRAS : les cadres stratégiques et réglementaires

En 1995, la jeune Région bruxelloise se dote de son premier Plan régional de développement (PRD) lequel indique les objectifs économiques, sociaux et culturels que le gouvernement entend poursuivre. C‘est une première puisque jusque là, l’aménagement du territoire n’était régi que par l’attention portée aux fonctions au travers du Plan de Secteur de 1979. Le PRD, tout en s’appuyant sur le Plan de secteur contient également des dispositions réglementaires relatives à l’affectation des sols. Il prévoit ainsi des superficies maximales de bureaux par immeuble. Un périmètre administratif avalise les plans communaux dérogatoires qui couvrent le quartier Nord et un périmètre avec programme autorise 300.000 m² de bureaux supplémentaires aux abords de la gare du Midi. Le PRD promeut le développement des transports publics et insiste sur la rénovation des quartiers centraux. Il s’agit de faire de Bruxelles une ville accueillante pour y fixer les habitants qui ont tendance à partir vers les périphéries.

La Région planche dans le même temps sur un plan régional d’affectation du sol. Un premier projet est élaboré en 1998, et un deuxième en 1999 qui suit les intentions formulées dans le PRD tout en reprenant la philosophie du plan de secteur. Le PRAS sera finalement définitivement adopté en 2001. C’est le PRAS qui régit toujours à l’heure actuelle notre territoire excepté les modifications majeures apportées par le PRAS dit « démographique » en 2013 (cfr infra).

Dans ses prescriptions générales, le PRAS de 2001 a :

  •  maintenu le principe de la protection des logements existants (inscrit dans le PRD de 1995) en interdisant leur destruction ou leur mutation, à moins de maintenir la même superficie de logement sur le site ou dans la zone ;
  •  élargi fortement la clause dite de sauvegarde en permettant, outre les travaux de transformation ou de rénovation (avec éventuel accroissement de 20 % de la surface plancher), la démolition-reconstruction de bâtiments existants dont la destination n’est pas conforme aux prescriptions du plan ;
  •  prévu des conditions dérogatoires pour la protection du patrimoine et pour la réaffectation d’immeubles économiques désaffectés ou la résorption de chancres urbains.

Par ailleurs, cinq problématiques spécifiques ont été prises en compte de façon détaillée :

  •  la question de la protection des intérieurs d’îlots (lesquels continueront néanmoins à se faire grignoter par de nombreuses constructions) ;
  •  la problématique commerciale : le plan veut protéger les noyaux commerciaux existants, en apportant des restrictions à l’implantation de nouveaux commerces hors des liserés de noyaux commerciaux (ce qui n’empêchera pas la construction du grand centre commercial Docks Bruxsel au Pont Van Praet) ;
  •  en matière d’espaces verts, le PRAS a poursuivi dans la voie ouverte par le PRD en étendant des parcs existants en zones vertes et en créant la zone verte à haute valeur biologique (ce qui n’empêchera pas la Région de perdre des surfaces perméables : le taux d’imperméabilisation en Région bruxelloise était de 26 % en 1950 pour passer à 48 % en 2006 et 53,2% en 2022) ;
  •  le plan a consacré en « zone administrative » les zones de bureaux existantes, y compris les zones d’entreprises à caractère urbain inscrites dans le Plan de secteur qui avaient été de fait occupées par du bureau (Boulevard de la Plaine, rue Colonel Bourg, …) ;
  •  la gestion des petits bureaux au travers de la Carte des superficies admissibles de bureaux (CASBA) : des mailles couvrant le territoire indiquent le « potentiel admissible » de bureaux en zones d’habitation et en zones de mixité, ce potentiel étant adapté à chaque délivrance de permis ;
  •  le plan impose une priorité à la réalisation des bureaux dans les quartiers de gare : Nord, Midi et Quartier Léopold. La zone de Schaerbeek-Formation et les zones de chemin de fer sont maintenues en réserve et ne pourront être affectées qu’après la réalisation des quotas de bureaux prévus dans les zones précitées.

Enfin, le PRAS détermine 14 zones d’intérêt régional (ZIR) qui sont des « zones à programme » : leur affectation n’est pas aussi détaillée que le reste du plan, mais à chacune de ces ZIR est affecté un programme comprenant les affectations autorisées et en général des limitations aux surfaces de bureaux (soit en mètres carrés, soit en pourcentage des superficies plancher à construire) et un minimum de surfaces de logement à réaliser.

Le PRAS, même s’il n’est pas dénué de défaut et de certaines obsolescences, a pour énorme qualité son grand degré de précision qui garantit un cadre juridique clair qui stabilise et oriente le marché de l’immobilier pour autant qu’il soit respecté. On peut lui reprocher par contre de ne pas toujours distinguer certaines fonctions faibles de certaines fonctions fortes au sein d’une catégorie fonctionnelle plus large. Ainsi le PRAS ne permet pas de distinguer le logement social (fonction faible) du logement privé (fonction forte) ou les activités productives matérielles (fonction faible) des activités productives immatérielles (fonction forte). Par ailleurs, il repose sur un principe fort de mixité des fonctions qui ne permet précisément pas toujours de protéger les fonctions les plus faibles : de nombreuses superficies d’activités productives utiles à la ville ont disparu dans les zones dites de forte mixité où étaient présentes une importantes activité de petites industries utiles à la ville. Enfin, les quartiers de gare se sont fortement alourdis en bureaux sans que ne soit développé du logement abordable alors que ces quartiers sont centraux et populaires.

La Région étant désormais dotée d’un PRAS, le volet réglementaire du PRD n’est plus nécessaire. C’est pourquoi un nouveau PRD sera approuvé en 2002, sans volet réglementaire, avec juste une valeur indicative. Il reprend les lignes du PRD de 1995 tout en accentuant la nécessité de produire du logement moyen, d’embellir les espaces publics et annonce la nécessité de prendre en considération l’internationalisation de Bruxelles.

Le RRU : la quête de la qualité de l’aménagement

Le plan régional d’affectation du sol (PRAS) fixe de façon détaillée les usages autorisés selon les zones du territoire considérées. En revanche, il ne prévoit aucune règle sur les densités constructibles, qui constituent pourtant un élément déterminant de la forme urbaine, mais aussi des valeurs foncières. C’est pourquoi, dès 1999, le gouvernement bruxellois adopte un arrêté formant règlement d’urbanisme, qui définit les règles urbanistiques devant être respectées lors de tous les travaux soumis à permis d’urbanisme et détermine ainsi la forme urbaine de notre territoire. Cet arrêté a toutefois été partiellement annulé par le Conseil d’État. En effet, la société Rossel Outdoor avait introduit un recours en annulation contre l’un des articles du Titre VI « Publicités et enseignes » du règlement et obtenu gain de cause [15]. Le motif d’annulation, à savoir l’absence de consultation de la section de législation du Conseil d’Etat, formalité préalable obligatoire, valait pour l’ensemble du règlement. L’illégalité était donc susceptible de rejaillir sur tous les permis d’urbanisme délivrés sur cette base. Mieux valait donc ne pas l’appliquer, à tout le moins pas comme un instrument obligatoire. Les administrations durent se contenter durant plusieurs années d’une circulaire officieuse recommandant d’appliquer les normes du règlement en tant que ligne de conduite. [16]

L’actuel Règelement régional d’urbanisme (RRU) sera finalement adopté par le Gouvernement bruxellois le 21 novembre 2006. Le RRU de 2006 est divisé en sept titres, portant respectivement sur :

  • les caractéristiques des constructions et de leurs abords (Titre I) ;
  • les normes d’habitabilité des logements (Titre II) ;
  • les chantiers (Titre III) ;
  • l’accessibilité des bâtiments par les personnes à mobilité réduite (Titre IV) ;
  • l’isolation thermique des bâtiments (Titre V) ;
  • les publicités et enseignes (Titre VI) ;
  • la voirie, ses accès et ses abords (Titre VII) ;
  • les normes de stationnement en dehors de la voie publique (Titre VIII).

Le RRU prône « la préservation d’une certaine harmonie et la création densembles urbains cohérents ». Sa nature réglementaire est une caractéristique essentielle qui en fait un outil puissant, mais qui implique aussi une certaine rigidité de la règle. À la différence d’un guide ou d’un plan d’orientation, il ne s’agit pas d’édicter des lignes directrices ou des orientations générales mais bien des règles qui doivent ensuite pouvoir être comprises et appliquées par les architectes et les administrations.

Cela étant dit, le CoBAT permet d’obtenir un permis d’urbanisme en dérogation « aux prescriptions des règlements d’urbanisme  » [17]. Le nombre de dérogations au RRU qu’un promoteur peut demander, et le cas échéant obtenir, n’est pas limité. La seule condition, outre une motivation spéciale dans le permis, est l’organisation d’une enquête publique lorsque la dérogation porte sur le volume, l’implantation ou l’esthétique de la construction projetée.

En route vers l’internationalisation et la densification spéculative

L’accord du Gouvernement 2004-2009 prévoira la nécessité de modifier partiellement le PRAS de manière à traiter en priorité les grands équipements nécessaires au développement international de Bruxelles. L’économie mondialisée « par le haut » est ressentie comme essentielle à la prospérité urbaine. Il faut rendre Bruxelles compétitive par rapport aux autres grandes villes d’Europe. [18] Dans la foulée, le gouvernement bruxellois se dotera d’un Plan de développement international (PDI) en 2007, en dehors de toute procédure de consultation démocratique, à partir d’un ’schéma de base’ commandé au cabinet d’audit financier et de consultance PriceWaterhouse Coopers. Le PDI fixe les grandes infrastructures dont la Région doit se doter pour rayonner internationalement : une grande salle de spectacle, un grand stade de football, un méga centre commercial, un nouveau centre de congrès,… La plupart de ces infrastructures doivent prendre place sur le site du Heysel. IEB consacrera un numéro entier de son journal à ce plan anti-démocratique. [19]

La déclaration gouvernementale de la nouvelle législature 2009-2014 évoquera l’adoption d’un nouveau PRD adjoint d’un « D » supplémentaire pour devenir « durable ». Mais le PRDD mettra 7 ans à accoucher. Dans le même temps, les analystes annoncent une mutation profonde de la Région : elle dont la démographie est en baisse depuis les années 60 voit sa population sérieusement augmentée depuis le début des années 2000. Les projections démographiques évaluent à l’époque la croissance de la population à 14 000 habitants supplémentaires par an, pour les 10 années à venir, soit 140 000 habitants supplémentaires d’ici 2020.

Charles Picqué, alors Ministre-Président, décide face à cette urgence d’inverser la hiérarchie planologique régionale et de modifier en profondeur le PRAS avant d’adopter le nouveau PRDD avec un risque d’affaiblir la capacité régionale à maîtriser à plus longue échéance l’ensemble des problématiques sur l’ensemble du territoire, par une démarche circonstancielle et fragmentaire. Le CoBAT prévoit clairement que le PRAS doit s’inscrire dans les orientations du PRD en vigueur. Tant une bonne gouvernance que le cadre légal exigeaient que le PRDD, projet de ville, précède la modification du PRAS, outil réglementaire visant à mettre en œuvre ce projet de ville. Dans son avis, la CRD rappellera, elle aussi, la nécessité d’élaborer le PRDD avant de modifier le PRAS. [20]

En réalité, le PRAS démographique poursuivra non seulement comme objectif de répondre à l’essor démographique en favorisant la création de logements (principalement dans les quartiers centraux et la zone du Canal) mais aussi de renforcer la fonction de capitale belge et européenne de Bruxelles dans la droite ligne du PDI.

Pour répondre à l’objectif précité de création de logements, le nouveau PRAS prévoira principalement :

  •  la création d’un nouveau type de zone de mixité, entre logements et activités économiques urbaines, intitulée « zone d’entreprise en milieu urbain » (ZEMU). Le gouvernement a ainsi décidé de convertir 858 000 m² de zone d’industrie urbaine (ZIU) en ZEMU pour y faciliter la construction de logements, qui y étaient jusque là interdits – seul le logement de fonction était autorisé. La moitié sont des terrains industriels et portuaires situés le long du canal (Biestebroeck, Birmingham, Quai des Usines) ;
  •  l’augmentation de la surface consacrée aux logements dans plusieurs zones d’intérêt régional (ZIR), dont certaines le long du canal (Gare de l’Ouest, Tour et Taxis) ;
  •  l’augmentation du pourcentage de logements (de 35 % à 50%) dans les programmes relatifs aux terrains et immeubles en attente de reconversion (prescription 4.4 du PRAS) ;
  •  la limitation de la suppression de logements aux étages au profit des commerces dans certaines zones (prescription 0.12 du PRAS).

Dans le cadre de la procédure d’adoption du PRAS démographique, de nombreuses associations, dont IEB, n’ont eu de cesse de souligner les effets pervers des changements d’affectation du sol proposés par le projet de PRAS [21]. L’une des principales critiques à ce sujet portait sur le relèvement des valeurs foncières lié au remplacement de la fonction industrielle par la fonction logement – beaucoup plus rentable et donc prisée – dans les nouvelles ZEMU (essentiellement inscrites dans la zone du canal). En effet, le changement d’affectation concernait des terrains appartenant en grande partie au secteur privé. Or aucun levier n’était mis en place pour imposer la construction de logements financièrement accessibles. La modification du PRAS favorisait de facto la construction de logements privés et donc peu abordables financièrement pour la toute grande majorité des habitants. D’autant qu’une analyse fine de la composition de la montée démographique mettait en évidence qu’elle concernait majoritairement un public populaire s’installant dans les quartiers centraux. L’investissement massif de l’immobilier privé dans les territoires bordant le canal risquait en outre, par effet de contagion, d’accroître les valeurs foncières dans ces territoires.

De surcroît, en visant l’augmentation de l’offre en logements dans des zones accueillant jusque là des industries, le projet de PRAS mettait en péril la fonction économique. Selon la Société régionale de développement de la Région de Bruxelles-Capitale (SDRB devenue Citydev), la moitié des entreprises qui cherchaient à s’implanter ou à se maintenir sur le territoire bruxellois avaient des activités incompatibles avec une proximité forte de logements. Par ailleurs, l’option « logements au bord du canal » condamnait de facto l’accès à la voie d’eau en tant que mode de transport de marchandises, pourtant bien utile pour acheminer à moindre coût environnemental les biens et les matières premières nécessaires aux activités de production urbaine. En un mot, les nouvelles mesures favorisaient un aménagement du territoire largement spéculatif et provoquant des mécanismes de gentrification, tant d’habitants que d’entreprises. De l’avis IEB, partagé par la Commission régionale de développement (CRD) [22], cette logique devait a minima s’accompagner d’un mécanisme de captation des plus-values générées par le changement d’affectation, lesquelles auraient été affectées à la construction de logements sociaux. Pour être efficient, ce mécanisme aurait dû être mis en place préalablement à la modification du PRAS. Plus de dix après l’entrée en vigueur de celle-ci, il n’en est toujours rien.

Malgré le chapelet de critiques énoncées à son encontre par la société civile (plus de 400 réclamations ont été introduites pendant l’enquête publique !) et, à sa suite, la CRD, le gouvernement régional n’a pas dévié de la ligne qu’il s’était tracée. Las de ce déni démocratique, IEB a décidé d’introduire un recours devant le Conseil d’État contre le PRAS démographique [23]

Le plus ironique dans tout ceci est que le boom démographique qui a justifié l’adoption du PRAS du même nom n’aura vraisemblablement pas lieu. Selon les dernières projections du bureau fédéral du Plan, la population de la Région de Bruxelles-Capitale connaîtra une croissance très faible jusqu’en 2040 pour devenir négative par la suite. Seule la Région flamande verra encore sa population augmenter [24]. Déjà au moment de l’adoption du PRAS démographique, IEB s’interrogeait sur la pertinence des projections démographiques et invitait les mandataires à ne pas reproduire certaines erreurs du passé, par référence aux travaux inutiles entrepris dans les années 60 [25].

Une réforme managériale

Dès son intronisation en 2014, le nouveau Gouvernement bruxellois annonce son intention de modifier profondément la règlementation urbanistique. Le PRAS démographique avait ouvert le bal en 2013. En l’espace de cinq ans, c’est l’ensemble des repères urbanistiques des Bruxellois.es qui vont être bouleversés. Ce remaniement a lieu au nom de l’efficacité, de la simplification et toujours du besoin de répondre au boom annoncé de la démographie bruxelloise, brandie comme une menace justifiant toutes les urgences : refonte de la politique de la rénovation urbaine au travers de la création des contrats de rénovation urbaine (CRU), réforme du Code de l’aménagement du territoire (CoBAT), refonte de la gouvernance urbaine à travers la structuration de nouveaux organismes d’intérêt public (OIP). [26] L’accord de majorité 2014-2019 consacre deux chapitres à ce sujet, sous des titres peu équivoques : « Une politique urbanistique régionale simplifiée et de qualité » et « Révolutionner la gouvernance ». L’intention du gouvernement est exprimée encore plus clairement par Rudi Vervoort dans le Soir du 26 mars 2016 : il s’agit de répondre « aux attentes du secteur immobilier qui éprouve de grandes difficultés à développer des projets importants vu la longueur et la complexité des procédures urbanistiques et environnementales ».

En l’espace de cinq ans, c’est l’ensemble des repères urbanistiques des Bruxellois.es qui vont être profondément bouleversés : réforme du CoBAT, réforme de la politique de la rénovation urbaine au travers de la création des contrats de rénovation urbaine (CRU), réforme de la gouvernance urbaine à travers la structuration de nouveaux organismes d’intérêt public (OIP). La règlementation est ainsi remaniée de fond en comble au nom de l’efficacité, de la simplification et du besoin de répondre au boom annoncé de la démographie bruxelloise, brandie comme une menace justifiant toutes les urgences. Ces réformes, qui s’opèrent avec peu ou pas de débat public, vont vider peu à peu de son sens l’adoption d’un PRDD dont l’essentiel de la substance se trouvera déjà tranché par le gouvernement bruxellois. Alors que le PRAS démographique fut adopté à une vitesse VV’ en deux ans, le PRDD ne sera finalement adopté qu’en 2018, rendant inévitable un nouveau processu s de révision du PRAS dès lors que c’est bien ce dernier qui assure la mise en carte des orientations décidées dans le PRDD.

En attendant, la réforme du CoBAT sera votée le 13 octobre 2017 à une courte majorité (44 oui, 32 non et 3 abstentions). Il est indéniable que les modifications apportées au CoBAT répondent aux objectifs annoncés : simplifier les procédures urbanistiques et accélérer le travail des administrations afin de faciliter les projets de développement urbain. De nombreux observateurs y voient un affaiblissement de la norme, une diminution des garanties de protection accordées à l’environnement et, par voie de conséquence, une diminution des garanties de protection accordées aux citoyens [27].

Cinq points de la réforme ont tout particulièrement retenu notre attention.

Premièrement, à contre-courant de notre demande, le nouveau CoBAT cantonne pour l’essentiel la participation citoyenne à l’enquête publique. La Commission régionale de développement (CRD) [28] n’est plus composée que d’« experts indépendants » au lieu de la représentation transversale des différentes commissions de la Région (Conseil de l’environnement, Conseil consultatif du logement, CRMS, etc.) qui prévalait jusque-là et qui permettait une représentation de la société civile au sein de la CRD. La réforme supprime par ailleurs l’enquête publique sur le cahier des charges de l’étude d’incidences sur l’environnement, laquelle permettait dès l’amont de définir ce qui doit être utilement étudié par le bureau d’étude pour assurer la qualité du projet.

Deuxièmement, la réforme du CoBAT constitue une occasion manquée de soumettre les deux procédures de l’étude d’incidences et du rapport d’incidences aux mêmes garanties procédurales : contrairement à ce qui est prévu pour les projets soumis à études d’incidences sur l’environnement (EIE), l’auteur du rapport sur les incidences environnementales (RIE) ne doit pas être un bureau d’étude agréé et son travail n’est pas supervisé par un comité d’accompagnement. Pis, la réforme affaiblit le système d’évaluation des incidences sur l’environnement qui existait jusqu’alors. Outre la suppression de l’enquête publique sur le cahier des charges, le législateur décide, en pleine crise climatique, de doubler le seuil à partir duquel un projet de parking doit être soumis à étude d’incidences sur l’environnement (EIE), passant de 200 à 400 emplacements ! C’est la vigilance d’un citoyen, soutenu par IEB, qui permettra d’obtenir l’annulation par la Cour constitutionnelle de cette disposition environnementalement suicidaire.

Troisièmement, le nouveau CoBAT met également sur pied, dans le cadre de la procédure de délivrance des permis, des réunions de projet, sorte de pré-concertation entre les autorités administratives et les porteurs de projets, à huis clos et sans aucune publicité. Ces négociations derrière portes closes rendent souvent caduc le processus de concertation, les riverains se voyant régulièrement opposer que le projet qui leur est soumis est le fruit d’un subtil équilibre longuement négocié auquel il serait risqué de toucher. De surcroît, les procès-verbaux des réunions de projet, lorsqu’ils existent [29], ne sont pas librement accessibles, renforçant le sentiment de mystification des habitant.es [30]. La réforme du CoBAT à venir (v. ci-dessous) devrait prévoir, a minima, que les procès-verbaux des réunions de projet, d’une part, soient obligatoires et, d’autre part, soient joints aux dossiers de demande de permis [31].

Quatrièmement, le nouveau CoBAT comprime de nombreux délais de procédure et les transforme en délais de rigueur. Imposés dans le but d’accélérer la délivrance des permis, ces nouveaux délais de rigueur mettent à mal l’organisation de bon nombre de communes et conduisent à des pratiques de contournement peu productives, comme le fait de systématiquement déclarer le dossier incomplet pour éviter de faire courir les délais ou une augmentation des saisines automatiques par la Région de la part des communes avec un risque d’engorgement au niveau régional. Pascal Smet, alors encore secrétaire d’Etat à l’urbanisme, reconnait que le système actuel ne fonctionne pas et propose comme solutions d’allonger les délais de rigueur d’un mois, d’accélérer la digitalisation de la procédure de demande de permis et de mieux distinguer les demandes qui relèvent de la compétence régionale et celles qui relèvent de la compétence communale, en supprimant ou en tout cas en réduisant à l’essentiel les possibilités de saisine automatique du fonctionnaire délégué [32].

Enfin, et peut-être même surtout, le CoBAT crée un nouveau plan venant profondément perturber l’architecture hiérarchique et démocratique : le plan d’aménagement directeur (PAD). Le PAD peut être qualifié d’outil de planification sur mesure de projets immobiliers dérogatoires . En effet, son volet réglementaire, lorsqu’il en contient un, abroge l’ensemble des dispositions réglementaires qui lui sont contraires et permet ainsi de « libérer » les projets dérogatoires destinés à s’implanter dans son périmètre « de la plupart des contraintes réglementaires » qui leur seraient normalement applicables, en faisant « l’économie des procédures de révision propres [aux outils concernés] » [33]. Si les PAD font bien l’objet d’une enquête publique, ils ne sont pas soumis à l’avis de la commission de concertation. L’habitant, le comité de quartier, l’association, se retrouve seul avec ses propres constats, questions et analyses, privé d’un moment singulier où l’avis des autres tiers au projet pouvait nourrir sa réflexion sur le projet.

Pour couronner le tout, les projets de PAD font l’objet d’une campagne marathon orchestrée par Perspective.brussels en 2018 : en vingt réunions étalées sur six jours ouvrables, l’instance a organisé des débats relatifs à dix PAD concernant les territoires prioritaires de la Région. Dynamique de choc que de nombreuses associations et citoyens n’ont pas manqué d’épingler comme un déni démocratique
 [34] : comment imaginer que l’habitant, et même l’association, puisse, sur une période de temps restreinte, digérer une telle masse d’informations et y réagir de manière utile ? C’est ainsi que naîtra en février 2020 la plate-forme Bas les PAD [35] demandant de toute urgence un moratoire sur les PAD en vue de stopper le double processus de dérégulation du cadre réglementaire et d’affaiblissement du débat public [36].

Tant et si bien que le feu d’artifice des PAD n’aura pas lieu. Six ans plus tard, plusieurs d’entre eux ont connu de profonds réaménagements et deux d’entre eux – le PAD Loi et le PAD Midi – ont été mis au frigo pour être remplacés par des processus de « visions partagées ».

Dérégulation et urbanisme d’opportunité

Alors que le big bang urbanistique s’enclanche, le gouvernement souhaite également adapter le RRU qui n’a plus été modifié depuis 2006 et a besoin d’une sacré cure de jouvence. La Déclaration gouvernementale de 2014 annonçait vouloir modifier le RRU pour y intégrer les principes d’une densification maîtrisée, y insérer des normes réglementaires pour fixer les lieux d’implantation privilégiés pour des immeubles élevés, faciliter la création de logements étudiants, lutter contre les logements vides et insalubres, anticiper la possibilité de reconversion de bureaux vides en d’autres fonctions et permettre d’intégrer des principes de développement durable.

Des consultations préalables sur le projet de RRU démarrent en 2015 mais de nombreux acteurs, dont le BRAL et IEB, ne sont pas consultés et aucun moment d’information n’est organisé vers les citoyens et citoyennes. En avril 2016, la Commission régionale de développement (CRD), consultée sur le projet de cahier des charges pour le rapport d’incidences environnementales, demande à être informée à mi-parcours afin de pouvoir juger sur le fond un projet partiellement élaboré. Le gouvernement fera l’impasse. La CRD ne recevra d’ailleurs jamais les avis issus de la consultation de 2015. Ils ne seront pas non plus repris dans le dossier mis à l’enquête publique.

Les citoyens et citoyennes ne disposeront que d’un mois, de mars à avril 2019, pour faire valoir leurs observations sur un document très technique et qui, pourtant, aurait inévitablement un impact important sur leur cadre de vie. Entre deux enquêtes publiques liées à des plans d’aménagement directeur (PAD), IEB tentera vaille que vaille de se pencher sur le projet de règlement et organisera une assemblée associative avec ses membres au début du délai d’enquête publique tout en signalant le rythme infernal des réformes.

Toutefois, cette première tentative de réforme gardera la structure générale du RRU. En effet, les architectes, les administrations et les juristes avaient fait savoir qu’ils ne souhaitaient pas que la réforme chamboule tout alors qu’ils commençaient seulement à intégrer le texte de 2006. Ils demandèrent « de faire évoluer le texte sans réformer trop radicalement sa structure et son mode de fonctionnement pour permettre aux opérateurs de garder leurs repères ». [37]

IEB craignait alors une ouverture des vannes au profit d’immeubles-tours pour répondre au fameux boom démographique. Il n’en fut rien, même si le projet autorisait des étages supplémentaires. IEB s’inquiétera néanmoins de la valorisation foncière ainsi créée sans que le rapport sur les incidences environnementales ne mesure l’impact de celle-ci sur le prix du foncier. Les modifications apportées au PRAS en 2013 avaient déjà produit cet effet en modifiant les affectations du sol vers des fonctions urbaines plus fortes. Or le gouvernement ne semblait pas tirer les leçons de cette expérience puisqu’il n’avait toujours pas adopté de système de captation des plus-values, ni d’ailleurs de mécanisme de grille des loyers contraignant. IEB demandera qu’un système de captation des plus-values générées par les projets facilités par la modification du RRU soit mis en place avant la modification de celui-ci et que ces plus-values soient affectées à l’augmentation substantielle du nombre de logements à caractère social.

Mais nous sommes alors en fin de législature et le gouvernement n’arrivera pas au bout de son chantier censé être repris par le gouvernement suivant. Dans sa déclaration de politique régionale 2019-2024, le nouveau gouvernement s’engagera à finaliser la révision du RRU à partir des mêmes objectifs, même si les aspects liés à la mobilité y seront nettement renforcés : amélioration du confort piéton et cycliste, nouvelle définition des zones d’accessibilité A, B et C, variation du nombre d’emplacements de parking autorisés selon la zone d’implantation d’un projet et nouvelles dispositions volontaristes relatives aux emplacements vélos et aux zones de livraisons.

Mais le nouveau gouvernement 2019-2024 est rapidement confronté à quelque chose qu’il n’avait pas pu anticiper : la pandémie covid. Dès le mois de juin 2020, il désigne un groupe de sept experts académiques belges et internationaux [38] pour se pencher sur la problématique du logement post-crise sanitaire. Les défaillances majeures de la politique bruxelloise pour créer du logement décent accessible précèdent cette crise mais cette dernière a, de fait, amplifié la visibilité d’une situation intolérable. Le comité d’experts déposera peu après son rapport sur la table du gouvernement avec un ensemble de recommandations, dont certaines non dénuées d’intérêt tel le fait de sortir de la culture de la dérogation, jugée trop fréquente à Bruxelles : « Alors que le foncier se fait de plus en plus rare et cher en Région bruxelloise, les acteurs privés anticipent la réalisation d’une part augmentée de logements […]. Cette situation de surenchère conduit à un urbanisme basé sur la dérogation au règlement régional d’urbanisme (RRU) en matière de gabarits et d’implantations  » [39].

Quelques mois plus tard, le nouveau secrétaire d’État à l’urbanisme, Pascal Smet, annonce la mise sur pied d’un nouveau comité composé d’experts académiques et de la société civile pour plancher sur la révision du RRU. Sa composition : cinq architectes, le maître architecte (BMa), deux urbanistes et le directeur de l’Union Professionnelle du Secteur Immobilier (UPSI). Il est par ailleurs prévu de baptiser le nouveau RRU « Good living », le label « good » faisant désormais partie de la culture de communication du gouvernement bruxellois (Good food, Good move, Good soil, etc.).

Ce comité d’experts optera pour une approche très divergente de celle suivie lors de la première tentative de révision, en considérant que la réglementation urbanistique existante serait trop tatillonne et trop complexe et qu’elle nécessiterait une simplification. Il s’agirait de procéder à une évolution du RRU focalisée sur une « approche défensive visant à rendre impossible ce qui n’est pas souhaitable » vers une approche proactive « rendant possible tout ce qui est et tout ce qui sera souhaitable ».

Le risque qu’une telle approche fasse le jeu des promoteurs sera clairement pointé, notamment par Tristan Roberti interpellant le secrétaire d’État le 20 décembre 2021 : « Il faut trouver un équilibre entre, d’une part, un cadre trop précis qui met à mal la créativité et peut aboutir à des projets mal adaptés et, d’autre part, un cadre trop permissif qui pourrait apparaître comme une dérégulation profitable aux promoteurs » [40].

Le 7 juillet 2022, le Gouvernement bruxellois approuve, en première lecture, le projet de RRU, qui doit ensuite être soumis à enquête publique. Cette mouture sera mise en ligne durant l’été 2022 avant le démarrage de l’enquête publique, ce qui permettra aux associations telles l’ARAU, le BRAL et IEB d’en prendre connaissance et de préparer le terrain pour la rentrée 2022. Ces dernières sont en effet conscientes de la nécessité de prendre les devants dès lors que ce texte d’envergure pour l’urbanisme bruxellois n’ouvre le droit à une enquête publique que de trente jours. Une cadence invivable pour permettre un débat démocratique et une véritable consultation citoyenne.

Avant même le début de l’enquête publique, de nombreux acteurs du milieu de l’immobilier, l’ordre des architectes et des fonctionnaires communaux vont émettre de sérieuses réserves sur les orientations de la réforme. L’ARAU, le BRAL, IEB et Natagora vont mettre sur pied un atelier au mois de novembre 2022 à l’attention de leurs membres avant le début de l’enquête publique. À l’issue de celui-ci, une volonté commune de communiquer vers l’extérieur sur un point partagé par l’ensemble des participant.es s’est fait jour : le projet amène surtout de la dérégulation, porte ouverte à l’arbitraire.

Début 2023, c’est un texte signé par une cinquantaine de comités et d’associations qui est communiqué à la presse [41]. Selon les signataires, le « Good Living » fait un recours trop abondant à des termes imprécis, non définis et subjectifs (« harmonie », « équilibre », « qualité architecturale », etc.) et le manque de règles précises introduit un flou dommageable. Or, le RRU est justement censé traduire les « grandes orientations stratégiques » en des règles claires et contraignantes, tant pour les demandeurs de permis (particuliers, promoteurs, responsables de voiries, etc.), qui doivent savoir ce qui est autorisé ou non, que pour les administrations qui instruisent les demandes de permis et les autorités qui délivrent les permis, qui doivent garantir l’égalité de traitement [42].

En résumé, l’adoption de ce projet de RRU provoquerait un basculement fondamental : il ne s’agirait plus de juger les projets urbanistiques en fonction de leur conformité à des règles bien établies mais en fonction de l’appréciation, subjective, des autorités… « On va vers plus d’urbanisme et moins de juridisme ! » [43]. Pour les associations et comités signataires, le texte doit être révisé et rester un règlement fixant précisément le cadre légal des projets urbains. Si le RRU existe, c’est précisément pour fournir un cadre normatif assurant la poursuite d’objectifs d’aménagement du territoire définis par ailleurs dans les plans, programmes et stratégies de la Région.

Le manque de règles précises dans le projet de RRU crée en outre un appel à la spéculation foncière. Le gabarit des constructions (hauteur, emprise au sol) est « cadenassé » par l’actuel RRU, ce qui limite la spéculation : le propriétaire d’un terrain connaît le nombre maximum de mètres carrés qui peut y être construit et donc la valeur marchande de ce foncier, qui dépend aussi, bien sûr, de sa localisation et des fonctions qui y sont autorisées (des bureaux ou des logements seront plus rentables qu’un entrepôt). Dans toute une série de cas de figure, le projet de RRU ne fixe aucune limite à la hauteur des bâtiments : les propriétaires et les promoteurs seraient donc encouragés à spéculer sur la possibilité d’une très forte augmentation du nombre de mètres carrés constructibles sur certains terrains, et donc de leur valeur.

Les associations et comités signataires vont demander que des mécanismes de contrôle et régulation performants (système de captation des plus-values, mécanisme de grille des loyers contraignant) soient mis en place avant la modification du RRU et, en parallèle, que les plus-values captées sur les projets spéculatifs soient affectées à l’augmentation substantielle du nombre de logements sociaux et à des aménagements accueillant et préservant la nature urbaine de la biodiversité.

Le gouvernement des réformes avortées

Outre la réforme du RRU et sans doute conscient des divers travers de la réforme du CoBAT de 2018, le gouvernement 2019-2024 annonce également dans sa déclaration de politique générale « une évaluation de la mise en œuvre de la réforme du CoBAT sera réalisée après un an d’entrée en vigueur du texte. Le cas échéant, le Gouvernement proposera des adaptations réglementaires visant à simplifier les procédures  ». Le processus mettra un peu de temps à se mettre en place. Le bureau d’étude City Tools sera désigné en 2022 pour organiser des ateliers en vue de procéder à l’évaluation, qui sera scindée en deux phases :

1° la première se focalisera sur la procédure des permis : deux séries d’ateliers se tiendront fin 2022 en présence des administrations régionales et communales, des représentants des cabinets compétents en matière d’urbanisme ainsi que de divers acteurs de la société civile (architectes, urbanistes, promoteurs, IEB, le Bral,… ). Suite à ces ateliers, City Tools sortira un rapport rendu public et qui proposera des mesures visant à répondre aux diverses critiques émanant des participants [44]. Le rapport insistera sur la nécessité d’instaurer un meilleur suivi, de donner des formations approfondies continues pour les agents de l’administration en charge de ces matières et de réserver un temps suffisant à une analyse de fond qualitative des demandes de permis, tout en synchronisant les délais entre les permis d’urbanisme et les permis d’environnement. Il proposera également la mise en place d’un « urban ruling » et de « project lines » pour limiter la spéculation sur les grands projets, lesquels viendraient remplacer le certificat d’urbanisme [45], et de clarifier le rôle des réunions de projet et la publicité de leurs procès-verbaux. L’enquête publique se résumerait à une procédure écrite avec possibilité de demander une audition citoyenne mais la possibilité d’organiser dès l’amont du projet une réunion de dialogue préalable serait développée avec une réunion d’information obligatoire au lancement de l’enquête publique pour les gros projets. On le voit, il y a à boire et à manger dans ces propositions dont certaines exigeront toute la vigilance de l’ARAU, du BRAL et d’IEB pour s’assurer que la démocratie urbaine ne soit pas mise à mal au nom des principes d’efficience ;

2° la seconde phase portera sur la planification urbaine, les règlements d’urbanisme et la protection du patrimoine. Le même déroulé en ateliers sera utilisé en mars 2023 mais à l’issue de ceux-ci aucun rapport ne sera communiqué. Au final, la législature se clôturera avec un demi-rapport d’évaluation public et un rapport resté dans les limbes de l’administration.

Il en sera de même pour le projet Good living (RRU) qui ne survivra pas à la salve des critiques, malgré une tentative de forcing de la part du gouvernement bruxellois en fin de législature. Bloqué lors de plusieurs réunions du gouvernement, le texte sera envoyé Sophie Charlier2024-12-16T15:30:00SCModifier ceci en ajoutant le contenu de l’avis de la SLCE. Je peux le faire semaine prochaine.

à la section de législation du Conseil d’État, qui dira ne pas avoir le temps de l’analyser dans le délai demandé. Ans Persoons, succédant au poste de Pascal Smet, se dira prête à se passer de cet avis, quitte à ce que cela débouche sur des recours en justice, mais certains de ses partenaires de majorité ne partageront pas cet avis [46].

Rappelons que selon IEB, si le RRU existe, c’est pour fournir un cadre normatif assurant la poursuite d’objectifs d’aménagement du territoire définis par ailleurs dans le PRDD. La clarté, la lisibilité de ces règles est fondamentale tant pour l’habitant et le promoteur que pour les administrations qui en vérifient l’application. Certes, le RRU actuel est obsolète à bien des niveaux et nécessite une réactualisation, notamment pour favoriser la rénovation plutôt que la démolition-reconstruction, améliorer l’espace public, protéger les intérieurs d’îlot et participer au déploiement de la biodiversité, faciliter la reconversion des bureaux vides en d’autres fonctions nécessaires, végétaliser l’espace public et le réallouer aux usages sociaux, etc. Mais la Région a besoin d’un règlement clair faisant sortir Bruxelles de la culture de la dérogation, un règlement qui lutte contre les projets spéculatifs et qui renforce le contrôle démocratique, un règlement garantissant une ville vivable pour tout le vivant.

La troisième réforme à laquelle devait s’atteler le gouvernement 2019-2024 est celle du PRAS. En effet, suite à l’adoption tardive du PRDD en 2018, un nouveau processus de révision s’avérait inévitable. Au début de l’année 2020, le Ministre-Président Rudi Vervoort annonce la mise en chantier d’un processus de révision, conformément à la déclaration de politique régionale. Il s’agit : 1° de clarifier les équilibres de fonctions dans les zones mixtes ; 2° de traduire les objectifs du Plan régional de Mobilité (PRM), dénommé Good Move ; 3° de préserver des sites de haute valeur biologique qui concourent spécifiquement au maillage vert ; 4° d’offrir un cadre à l’agriculture urbaine ; et 5° d’insérer (si faisable) des zones à densifier ou à dé-densifier.

La CRD rendra un avis d’initiative en novembre 2020. Elle identifiera des objectifs formulés autrement, dans une tonalité moins technocratique, dont le souhait de protéger les fonctions « faibles » : « L’évolution de la démographie, de l’économie urbaine et du marché immobilier impose de revoir la hiérarchie entre les fonctions de la ville ‘à protéger’ : le logement est devenu aussi voire plus rentable que le bureau dans certains quartiers, les fonctions de production et de logistique (ateliers et entrepôts) sont progressivement reléguées en dehors de l’agglomération au profit notamment du logement, les équipements d’intérêt collectif sont aussi en concurrence avec le logement, alors qu’ils sont indispensables à une population en croissance importante de même que les parcs et espaces verts inégalement répartis sur le territoire » [47]. Elle plaide notamment pour l’intégration de règles relatives à un quota de logements sociaux (à l’instar de ce qu’on peut trouver dans les PLU français) et demande une meilleure prise en compte des effets du changement climatique par une densité raisonnée, l’utilisation parcimonieuse des ressources et en particulier du sol rare. Elle demande également que soient pris en compte des besoins nouveaux, en termes notamment d’équipements et d’infrastructures. Enfin, elle pointe l’importance de préserver des espaces non-construits pour le rôle fondamental qu’ils remplissent dans l’écosystème urbain.

En 2021, alors que nous sommes encore en plein confinement, la Région lance une consultation publique en ligne en vue de démarrer le processus d’élaboration du nouveau PRAS. 1609 personnes répondront au questionnaire en ligne dont 444 domiciliés à Watermael-Boitsfort. En gros, un fiasco, vu que cette forte sur-représentation biaisera complètement les résultats de la consultation en faisant du développement de l’agriculture urbaine l’enjeu majeur de la modification du PRAS, tandis que la création de logements abordables ne sera même pas citée dans les priorités.

Quelques mois plus tard, en décembre 2021, le gouvernement adoptera l’arrêté ouvrant la procédure de modification du PRAS. Cinq axes seront pointés : mixité, mobilité, maillage vert et agriculture urbaine, potentielle densification ou dé-densification.

Au cours des années 2023 et 2024, la Région organisera, sous le nom « Share the City », vingt-cinq ateliers avec les acteurs publics, régionaux, communautaires et communaux, suivis de trois workshops avec la société civile, de trois expos grand public et de trois moments d’échange avec des experts scientifiques. L’objectif sera la réalisation d’un diagnostic partagé combiné à la fixation des futures priorités. En parallèle, la Région s’attellera à la réactualisation des données géographiques de situation existante de fait (SitEx). Celle-ci prendra du retard dès lors qu’un aucun bureau d’étude ne répondra aux trois marchés publics lancés par la Région. Tant et si bien qu’elle décidera de procéder elle-même à une forme de bricolage via différents échantillonnages territoriaux.

Le diagnostic réalisé suite aux différents ateliers identifiera les conditions de réussite du nouveau PRAS, dont plusieurs largement partagées par IEB, telle la mise en place de mécanismes de gestion de plus-values, la mise en place d’une politique régionale volontariste de maîtrise foncière pour préserver les fonctions critiques, des mécanismes de soutien pour le développement de ces fonctions (par exemple, l’augmentation de la production de logement social, la création d’équipements publics prioritaires, la création d’espaces verts, le soutien et la transition des activités productives, etc.) [48]. Il identifiera également la nécessité d’avoir égard aux fonctions faibles de la ville et notamment de préserver des espaces non bâtis et des espaces pour accueillir de petits ateliers de production ainsi que les activités logistiques et portuaires. Par contre, concernant la fonction faible qu’est le logement accessible financièrement, l’état des lieux tombera dans l’écueil du logement « à finalité sociale », catégorie fourre-tout qui englobe tant les logements sociaux que les logements acquisitifs Citydev, lesquels poussent comme des champignons sans résoudre, loin s’en faut, la question du logement abordable [49]. Il est piquant de constater que le concept d’agriculture urbaine est mentionné quarante cinq fois dans le diagnostic alors que celui de logement social apparaît seulement dix sept fois.

Le 20 juin 2024, en pleine affaire courante, le gouvernement bruxellois approuvera les quatorze orientations stratégiques du futur PRAS regroupées en trois priorités :

  • le climat et la biodiversité : 1° limiter l’emprise au sol de l’urbanisation ; 2° rétablir le cycle de l’eau dans l’aménagement urbain ; 3° spatialiser le maillage écologique ; 4° organiser la densité et optimiser le bâti existant ; 5° anticiper les besoins énergétiques via l’affectation des sols ;
  • la justice sociale : 6° augmenter et répartir l’offre de logement abordable ; 7° assurer la diversité des parcours résidentiels ; 8° structurer le territoire en noyaux de proximité ; 9° améliorer et rendre accessible un maillage d’espaces ouverts ; 10° conserver des zones spécialisées pour les grands services urbains ; 11° répondre à des besoins collectifs évolutifs par l’affectation du sol ;
  • les économies urbaines : 12° assurer la place de l’économie dans le tissu urbain mixte ; 13° préserver des zones spécialisées productives, logistiques et agricoles ; 14° combiner rayonnement international et qualité du cadre de vie.

Conclusion : le miroir aux alouettes de la simplification

Les nouvelles majoriés en place évoquent de toute pat la nécessité de simplifier mais à force de vouloir simplifier, on a surtout l’impression d’assister à des réformes qui se succèdent sans jamais parvenir à rendre lisible ni pleinement démocratique la machine urbanistique. Aujourd’hui, tant les administrations que les associations et habitant.es peinent à y voir clair face à l’inflation des instruments d’aménagement du territoire et à un cadre urbanistique qui se construit tout en s’autodétruisant. Ce sont non seulement les logiques de la hiérarchie planologique régionale qui se sont affaiblies mais aussi la capacité de la Région à articuler entre elles l’ensemble des problématiques territoriales. Souplesse et efficacité sont devenus les maîtres mots qui justifient en réalité la mise au banc du Parlement, réduit à décider d’un cadre souple auquel le Gouvernement peut systématiquement déroger. Là où le Gouvernement parle de simplification, de nombreux observateurs voient un affaiblissement de la norme, une diminution des garanties de protection accordées à l’environnement et au patrimoine et, par voie de conséquence, une diminution des garanties de protection accordées aux citoyens. La politique de développement territorial n’est plus discutée dans les quartiers mais dans les bureaux des OIP et les salons de la promotion immobilière. Le débat sur l’avenir de notre territoire urbain s’est enfermé dans les cénacles des experts et des élites guidées par l’approche managériale, laissant sur les quais habitant.es, usagers et usagères de la ville.

Un nouveau PRAS est un document planologique au long cours qui nous embarque, en principe, sur plusieurs législatures. Une planification prospective nous paraît indispensable pour éviter une politique apportant des réponses au coup par coup, à l’instar de ce que nous avons connu lors de l’adoption du PRAS démographique qui a créé nombre de dégâts sur ses 10 années d’existence, notamment en livrant à la spéculation immobilière privée 30 ha de territoire à Anderlecht (le bassin de Biestebroeck). L’histoire nous a montré qu’en absence de planification, les alliances entre les pouvoirs publics et certains promoteurs pouvaient avoir des effets destructeurs sur les fonctions « faibles » du territoire, encore faut-il que cette planification n’épouse pas les contours du marché privé et soit assortie de mécanisme qui régule les valeurs foncières.

Nous demandons au gouvernement de reprendre le fil de la démocratie urbaine en remettant à l’avant-plan la dimension politique du projet urbain, sans passer son temps à colmater des brèches par crainte des critiques citoyennes et à détricoter un cadre dans l’espoir illusoire qu’il plaise tant aux promoteurs qu’aux habitant.es. Nous voulons en revenir à des procédures qui permettent de construire des décisions plutôt que de les imposer, à des dispositifs qui nous permettent de mieux affronter les enjeux environnementaux et sociaux qui commencent ici et maintenant et ont le long terme pour horizon. Nous souhaitons des mécanismes de contrôle et de régulation performants (système de captation des plus values, mécanisme de grille des loyers contraignant, affectation des plus-values captées à l’augmentation substantielle du nombre de logements sociaux et au redéploiement de la biodiversité). C’est alors que nous exercerons collectivement le droit à la ville.

par Claire Scohier

Inter-Environnement Bruxelles

, Sophie Charlier

Juriste


[1M. De Beule, « Bureaux et planification. Bruxelles, 50 ans d’occasions manquées », Brussels Studies, n° 36, 2 mars 2010.

[2Ch. Dessouroux, Espaces partagés, espaces disputés, 2008, p. 114.

[4M. de Beule, B. Perilleux, M. Silvestre, Bruxelles, histoire de planifier. Urbanisme aux 19e et 20e siècle, 2017, p. 408. Cette pratique, considérée comme illégale, ne trouvera son épilogue qu’en 1998 avec un arrêt du Conseil d’État suite à un recours introduit par Front commun des groupements de défense de la nature. La juridiction administrative a confirmé la hiérarchie des normes (et donc des plans).

[5M. de Beule, op. cit., p. 10.

[6Ch. Vandermotten, Bruxelles, une lecture de la ville, 2014, p. 187.

[7Article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.

[880.000 habitants ont quitté Bruxelles pour le Brabant dans les années 70 et 40.000 dans les années 80 (Bruxelles Urbanisme et patrimoine, Urbanisme aux XIXe et XXe siècles. Bruxelles – Histoire de planifier, Bruxelles, Mardaga, 2017, p. 427).

[9F. Maussion, « Introduction générale », L’urbanisme à Bruxelles (F. Haumont, F. Maussion et M. Uyttendaele), Editions du jeune barreau de Bruxelles, Bruxelles, 1992, p. II.

[10J.-F. Neuray, « Les innovations en matière d’urbanisme à Bruxelles. Réflexions sur l’ordonnance du 29 août 1991 organique de la planification et de l’urbanisme », L’urbanisme à Bruxelles (F. Haumont, F. Maussion et M. Uyttendaele), Editions du jeune barreau de Bruxelles, Bruxelles, 1992, pp. 16-17.

[11L’exigence selon laquelle le PRD doit être revu lors de chaque nouvelle installation du parlement régional a ensuite été jugée excessive et supprimée par l’ordonnance du 19 février 2004. Actuellement, l’article 1, alinéa 2, du CoBAT prévoit que : « Dans les six mois qui suivent celui de l’installation du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, le Gouvernement transmet, pour information au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, un rapport sur son intention de procéder à une éventuelle modification totale ou partielle du plan régional de développement ».

[12Sur la naissance de la publicité-concertation, v. « 1976 : naissance de la publicité-concertation à Bruxelles », 1976 : Naissance de la publicité-concertation à Bruxelles.

[13« La Région prend les arrêtés d’application de son ordonnance d’urbanisme. Pour ne pas bâtir n’importe comment », Le Soir, 4 septembre 1992.

[14Ville et Habitant, n° 219, octobre 1992, p. 16.

[15C.E., 6 décembre 2001, n° 101.557, S.A. Rossel Outdoor.

[17Articles 126, § 11, 2°, 188 et 188/5 du CoBAT.

[18Ch. Vandermotten, op. cit ., p. 206.

[19« Plan de développement international Bingo ? », n° 195-196, novembre 2007. Lire aussi : C. Scohier et M. Van Criekkingen : Le Plan de Développement International (PDI) ou comment (essayer de) mieux vendre Bruxelles : 2007 : Le Plan de Développement International (PDI) ou comment (essayer de) mieux vendre Bruxelles

[20Avis de la CRD du 29 octobre 2012 sur le projet de PRAS démographique, pp. 15-16.

[21Lire l’avis d’IEB du 11 juillet 2012 déposé dans le cadre de l’enquête publique sur le PRAS démographique, PRAS démographique : les réclamations officielles d’IEB

[22Avis de la CRD du 29 octobre 2012 sur le projet de PRAS démographique, p. 141. La CRD est une commission qui rend des avis au Gouvernement régional sur les avant-projets d’ordonnance, les projets d’arrêtés, les projets de plans et règlements régionaux et communaux, dans les matières de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, dans la mesure où ceux-ci ont une incidence notable sur le développement de la Région.

[24Bureau fédéral du Plan, Perspectives démographiques 2023-2070, février 2024.

[27V. l’avis commun rendu par IEB, le BRAL et l’ARAU sur le projet d’ordonnance modifiant le CoBAT, 6 mars 2017, Réforme du Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire : l’avis coordonné des associations

[28La CRD est une commission qui rend des avis au Gouvernement régional sur les avant-projets d’ordonnance, les projets d’arrêtés, les projets de plans et règlements régionaux et communaux, dans les matières de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, dans la mesure où ceux-ci ont une incidence notable sur le développement de la Région.

[29L’arrêté ministériel balisant la réunion utilise en effet une formulation des plus floues : « Si un procès-verbal de la réunion de projet est rédigé… ».

[30IEB a, en mai 2022, officiellement sollicité de l’administration de l’urbanisme (Urban.brussels) qu’elle lui communique la copie des procès-verbaux des réunions de projet du premier trimestre 2022. Face au silence persistant de l’administration, IEB s’est résolue à saisir la Commission d’accès aux documents administratifs de la Région bruxelloise (CADA), laquelle a donné raison à IEB et enjoint à Urban de lui communiquer les documents demandés.

[31Citytools, « Evaluation du CoBAT, Séquence 1 : Comment améliorer la procédure de permis », décembre 2022, p. 60.

[33J. Van Ypersele, P. Levert et Y. Feng, « La réforme du 30 novembre 2017 du Code bruxellois de l’aménagement du territoire : quelques bouleversements en perspective », Amén., 2018/2, p. 104.

[34Voir la carte blanche parue dans Le Soir

[37RIE du RRU, 2018, p. 27.

[38Présidé par Benoît Moritz, le panel comprenait cinq architectes, une urbaniste et une sociologue.

[40Interpellation de Pascal Smet au Parlement bruxellois, Commission de développement territorial du 20/12/2021, p. 2.

[42Sur la légalité du recours à des normes qui offrent une grande latitude à l’autorité, v. S. Charlier, “L’introduction de normes appréciatives dans un règlement. Le cas du projet de règlement régional d’urbanisme bruxellois”, Liber amicorum Michel Pâques, Bruxelles, Larcier, 2024.

[43Déclaration de la secrétaire d’État à l’urbanisme, in L’Écho, « Ans Persoons : “Avec Good Living, nous allons vers plus d’urbanisme et moins de juridisme” », 20 décembre 2023.

[45Lire à ce sujet l’analyse critique d’IEB et du BRAL : B. Delori, C. Scohier et M. Rosenfeld, « L’Urban Ruling, une autre manière de se faire rouler ? ».

[46On se rappellera que c’est le non-respect de la même formalité qui avait entaché la légalité du RRU de 1999 – à ceci près qu’en 2024, l’avis de la section de législation du Conseil d’Etat a au moins été demandé.

[47Avis d’initiative de la CRD du 26 novembre 2020, p. 11.

[48Share the City. Etat des lieux à l’intention du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, décembre 2023, p. 18.

[49Lire à ce sujet Ch. Dessouroux et S. De Laet, Comment noyer le poisson ? Une politique très modérée du logement social in Bruxelles en Mouvements, n° 327, décembre 2023.