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« Eh bien venez une fois chez chez moi, venez voir en hiver… »

Nous sommes partis à la rencontre de deux habitantes de logements sociaux. Elles nous expliquent l’inconfort vécu dans leur logement, le poids économique d’en supporter les frais.

I. a connu un parcours de vie difficile dans des logements privés souvent précaires. Le fait d’obtenir un logement lui a permis de redéfinir la perception qu’elle a d’elle-même. Son logement lui assure stabilité familiale et lien social. Très impliquée dans la vie de son quartier, elle assure au quotidien un trait d’union entre ses voisins qui souffrent d’isolement.

S. a septante ans, elle vit dans le Foyer Ixellois depuis 1971. Elle nous reçoit dans un appartement qui n’a visiblement jamais été remanié depuis son origine : cette barre de logement du début du siècle appartient au Foyer Ixellois. Elle désespère d’obtenir enfin sa mutation vers un logement salubre.

— I. : Fin des années nonante, je me suis retrouvée sans logis, expulsée à la rue, surendettée. (…) Je vivais dans un entresol avec mes enfants, j’ai eu de la chance d’obtenir un logement [que j’occupe toujours].
Elle a réussi à s’adresser directement à des responsables communaux, en faisant le pied de grue elle a finalement été reçue par un des responsables du foyer qui a appuyé sa demande.

— S. : En 1971, étant seule avec un enfant en bas âge, j’ai obtenu une place en deux ou trois mois ; Il n’y avait pas beaucoup de demandes à cette époque (…) J’entends (mes voisins) dire « c’est plus du social ». Quand ma pension augmente de 20 € par mois, alors mon loyer augmente aussi. Je paie 287 € pour l’appart que j’ai. Bien sûr c’est peu par rapport au privé, mais il n’y a aucun confort.

— I. : Au chômage, cheffe de famille, je paye 379 € dans un logement social. Dans le privé, les prix explosent, 450 € pour une chambre garnie.
Si le loyer correspond au tiers de son revenu, conformément au tarif social, avec les charges elle atteint la moitié de ses moyens de subsistance. Une amie qui fait des petits boulots lui a dit : « Le prix de mon loyer en logement social a presque doublé en 4 ans. Je travaille et je reste pauvre ».

— S. : Y’a quelques années j’étais suivie par une psychothérapeute, qui m’a aidée. Elle a insisté pour qu’on m’installe une douche dans la cuisine (qui est désormais hors service). Parce qu’au départ il n’y en avait pas, hein. C’est dans les années nonante qu’on l’a installée, pour vous dire ! (La psy m’a aidé) parce que je n’étais pas bien. J’avais un complexe d’infériorité. Ça me mettait mal à l’aise. (…) Maintenant par bonheur je vais régulièrement à la piscine [pour me laver] mais mon fils, en été il prend sa douche à son travail, mais alors [ici, dans la cuisine] il doit se laver dans un petit bassin, et… c’est pas l’idéal.

— I. : Les espaces des pièces en logement social sont très petits, étroits.
Vivant avec son fils dans un logement tout juste adapté à sa composition de ménage, elle regrette souvent de ne pas pouvoir héberger des visiteurs ou sa famille.
— Quand mon fils est là, que je veux recevoir mon ami, je dois parfois lui faire comprendre que c’est pas le moment.

— S. : Il manque du mastic, ils sont pourris les châssis. Je n’ose pas laver les carreaux parce que si je pousse un peu trop fort le carreau va foutre le camp.
S. montre une note du 4 juillet 2008.
— Suite à un coup téléphone, je prends note « attendre un jour un autre appartement car j’ai peur des changements climatiques, fortes pluies, orages et temps très froid l’hiver. Je dois garder confiance. » (…) Depuis j’ai pas continué (à me plaindre), je me dis ça sert quand même à rien, ça sert à rien du tout. « Ne vous plaignez-pas, vous êtes dans un appartement première classe », on m’a répondu une fois par téléphone.

— I. : J’ai dû me faire opérer du genou et j’habite au 10e étage et les ascenseurs sont parfois en panne.

Elle pense aux gens qui vivent en chaise roulante :
— I. : On doit aller voir les pouvoirs communaux pour adapter les trottoirs et accès au logement. On devrait systématiquement adapter les rez-de-chaussée aux PMR. (…) On cloisonne les personnes à mobilité de réduite.

Cette grande dame passe à l’action dès que possible car
— I. : beaucoup de gens vivent isolés.

— S. : Ce que je redoute le plus, c’est l’hiver. C’est la chose la pire pour moi, l’hiver. Quand on se lève le matin, le givre sur les carreaux. La soirée quand on est assis à regarder la télé, qu’il faut mettre un polar, une couverture sur ses genoux, un pantalon de training, des sous-vêtements Damart, c’est vraiment pas agréable. C’est surtout parce que j’ai 70 ans.

Vous avez une souffrance médicale ?
— S. : Je suis très active, ça me maintient en bonne forme (…) En 2008, mon médecin traitant a écrit : « (…) son état de santé ne permet pas de loger dans l’appartement où elle est actuellement, je souhaite qu’elle soit transférée (…) »

Vous avez reçu une réponse du Foyer Ixellois ?
— S. : C’est ça : « (…) votre demande de transfert n’a pas été acceptée, en effet selon la législation en vigueur votre logement est considéré comme adapté à votre situation. » Moi c’est le temps qui passe, je vieillis. [En hiver] j’ai peur, c’est fatiguant, on a les mains bleues, on a le visage rouge, c’est pas chouette. Pour me chauffer je vais une fois chez Exki prendre un café, ou dans une grande surface, un magasin de vêtements, en général il fait bon. Eh bien je me chauffe un petit peu et puis je ressors. Ils nous disent « il faut chauffer » d’accord, mais c’est pour rien. J’ai un convecteur au gaz. Une fois que je coupe le chauffage, ça se refroidit tout de suite, parce que… c’est pas isolé hein.
Quelle température maintenez-vous en hiver ?
— S. : Ici ? … seize.

Pour comprendre les raisons de l’inconfort permanent de S., nous avons donné la parole à Claire Bonnaventure, la responsable technique du Foyer Ixellois :
— C.B. : Améliorer l’isolation ? En gros, ça a été la politique dans le passé : ils ont changé plic-ploc des châssis. Moi je pense que c’est une politique de gestion catastrophique. Parce que untel est bien entouré politiquement, il aura son châssis. Quelqu’un qui est capable de prendre son téléphone et dire « zut, moi je veux un châssis sinon… » par rapport à quelqu’un qui n’est pas capable de ça, qui ne sait pas se débrouiller. Rien que pour ça ce système n’allait pas du tout.
Les plus fragiles finissent les moins bien logés alors ?
— C.B. : Le système poussait à ça quelque part.

— S. : Je vais vous dire : la gestion du Foyer Ixellois, ça ne vaut rien du tout. Avant, j’aurais obtenu une mutation. Plus maintenant parce qu’il y a trop de demandes. Mais avant, on nous écoutait plus. Les [anciens] dirigeants du Foyer Ixellois… monsieur V. G., ça c’était quelqu’un de bien. D’ailleurs j’ai été reçue par lui et je l’aurais obtenue hein.

Quand avez-vous perdu confiance ?
— S. : Euh… eh bien depuis que ce monsieur n’est plus là, oui, moi j’ai perdu confiance. Les gens qui sont là pour le moment, je n’aime pas du tout. Est-ce que je leur frotte pas assez la manche ?

Du clientélisme ?
— S. : Oui oui, ça je pense. Monsieur V. G., il avait un grand coeur ce monsieur. Et je pense qu’il favorisait peut-être… qu’il avait favorisé certaines personnes. Enfin, c’est ce que j’ai entendu dire, et alors il a été éjecté. Mais je suis certaine qu’avec ce monsieur j’aurais obtenu ma mutation.

— I. : J’ai du mal à faire confiance à des gens que je ne connais pas.
Depuis qu’I. interagit avec tous ses voisins, elle recommence à avoir confiance en elle et les autres. Pour avoir vécu en logement social, en entendant cela je me dis que si une équipe d’encadrants ne se limite pas à la location mais bien à l’accompagnement social individuel, l’effet d’autonomisation sera réel. Plus sûr de lui, le bénéficiaire rebondira et accèdera à une meilleure situation : démarches, travail, définir son projet de vie… avec un jour sans doute la possibilité d’acquérir son logement, et finalement céder sa place.

— S. : Une fois y’a eu une réunion du Foyer, j’y suis allée par curiosité. Mais alors je me suis énervée et j’ai dit à Mr J. « eh bien venez une fois chez moi, venez, venez voir en hiver. » Mme D. elle a dit « estimez-vous heureuse d’avoir un appartement ». (…) J’ai eu une fois un problème de robinet qui coulait. Un superviseur du Foyer est venu prendre des photos de tout dans mon logement : tuyaux, les châssis, de tout. Et en sortant, il a dit « mais c’est inhabitable, ici ».

— C.B. : Nous sommes 22 personnes dont 14 ouvriers avec les nettoyeurs, et le reste de personnel administratif. On ne peut pas faire de grosses interventions : notre personnel ne peut pas être composé d’installateurs. La moitié s’occupe des nouveaux investissements, et le reste de l’ancien patrimoine. On est sous-formés (…) il faudrait être le mouton à 5 pattes, me dit-on. On doit maîtriser les marchés publics, la technique, et le contact locataire. On devrait être des supermans. Aujourd’hui si je laisse des gens vivre dans une situation hors normes, c’est une épée de Damoclès au dessus de ma tête. (…) Si leur chaudière ne peut pas fonctionner, c’est pas possible, donc on les transfère vers d’autres logements. Mais on va toujours peser le pour et le contre entre une action d’urgence et à long terme. On va fusionner avec Uccle donc on pourra sans doute faire plus de transferts. Y’a des mécanismes qui existent. Avant il y avait moyen de faire passer des urgences vers le CPAS qui a des logements d’urgence. Mais aujourd’hui, ils sont full, comme tout le monde. Notre mission n’est pas le logement d’urgence, c’est la leur.

— I. : On se plaint mais on ne nous écoute pas. (…) J’ai peur de la fusion des sociétés de logement social. Ma société de logement connaît mon quartier.
I. s’inquiète de la prochaine réforme des SISP1, et de ses conséquences. Aujourd’hui, elle est capable de mettre un visage sur sa société de logement, mais demain ? Elle doute que de bonnes décisions puissent être prises en phase avec la réalité de quartier. Elle a peur que les personnes auxquelles elle est habituée soient mutées ailleurs, vers un logement neuf.

Qu’aimeriez-vous qu’ils vous disent ?
— S. : Eh bien que voilà, « vu votre âge… on va vous donner un autre appartement. » Vous savez moi du luxe, il m’en faut pas. Non, non, mais surtout, ne plus être en dessous du toit, et pas au rez-de-chaussée non plus. Si je suis entre deux étages, je vais avoir la chaleur des voisins. Pour pas avoir le froid directement.

Liévin Chemin & Samy Hadji

Image sociale du logement public

À l’origine, le logement public constituait un symbole urbanistique de progrès, d’esthétique et d’ascension sociale. Dans les années 50-60, les grands ensembles offraient de nouvelles normes de confort : eau chaude, salle de bains, chauffage central, salle de séjour. Un must inespéré. Début des années nonante, ma famille et moi accédons au logement social : c’est le moment où on arrête de devoir chauffer des bassines. Désormais, l’image sociale est dévalorisée et perçue comme problématique.

Issu de milieux favorisés, le personnel politique perçoit le logement social comme un casse-tête, un endroit où on parque les problèmes. Répondre aux besoins sociaux qui sont multiformes, complexes et conflictuels, c’est perçu comme très coûteux, voire impossible. S’y attaquer transversalement s’est se mettre en danger politiquement. Peu de nos représentants sont prêts à en prendre le risque.

S. H.

Des normes qui plombent le budget

Le Foyer Ixellois a répondu à nos questions relatives à la situation de S. On peut y distinguer plusieurs causes :

Le bâti ancien reste la priorité des rénovations. Les normes énergétiques et les grands objectifs de ces rénovations sont difficiles à atteindre avec les moyens issus du plan quadriennal de la Région : « 6 millions sur la Cité Volta, 17 millions sur la Cité Van Deuren… il nous faudrait le double ». Pourtant, nous avons pu visiter de nombreux logements vides en très bon état dans la Cité Van Deuren. Ce constat laisse perplexe quant à la nécessité d’une rénovation totale et à grands frais de ces immeubles.

On nous explique qu’avec une précarisation critique des locataires sociaux, les loyers réellement perçus ne permettent plus l’entretien du bâti ; « une catastrophe financière pour le secteur. Le gap est énorme, et c’est là que la Région intervient à 75 %, et il nous reste 25 % à assumer ».

Le bâti neuf offre une excellente habitabilité mais il est moins accessible aux habitants à qui on propose d’y être mutés : payer un loyer sensiblement plus haut, changer de quartier sont les deux motifs de refus de mutation les plus courants.

Pour rénover intégralement un ensemble de logement ancien, il faut d’abord muter tous ses habitants. En l’absence de logements aux normes disponibles, ils restent dans du bâti non adapté, et y demeurent parfois très longtemps ; S. se trouve dans ce cas. Une résolution ponctuelle des problèmes pourrait en améliorer l’habitabilité. Notre interlocutrice semble pourtant défendre qu’à cause du cadre normatif, ce choix serait « une politique de gestion catastrophique ».

L. C.