L’hippodrome d’Uccle-Boitsfort est construit en 1875 par la volonté de la Société d’Encouragement des races de chevaux et le développement des courses en Belgique. Bien que de petite taille s’agissant d’un champ de course, il ampute dès sa naissance la lisière de Forêt de Soignes de 32,5 ha. Après de fastes années de courses à plat et d’obstacles, l’activité équine se réduit jusqu’à disparaître en 1987. Les golfeurs y remplacent alors les jockeys, poursuivant la tradition des activités élitistes sur le site.
La toute nouvelle région bruxelloise acquiert le site en 1989 et prévoit de reconvertir cette enclave de la forêt de Soignes, flanquée de 29 bâtiments au total, en un « pôle régional récréatif et de loisirs actifs ». La mise en œuvre de cette transformation attendra 25 ans pour démarrer, mais l’activité golfique se maintient dans l’intervalle.
En 2014 donc, un lifting du site est entrepris par la Société d’Aménagement Urbain (SAU), emphytéote mandatée par la Région pour assurer la restauration patrimoniale des principaux bâtiments du site. Elle coordonne son développement et son animation, en collaboration avec Bruxelles Environnement et le concessionnaire privé Drohme. Un partenariat Public-Privé conclu avec la société Drohme Invest, filiale de VO Groupe, qui se voit offrir une concession (renouvelable) de 15 ans. Elle a pour mission de développer et gérer l’animation et l’exploitation d’un parcours des cimes (accrobranche), du golf, du mini-golf et du Village des paris (en ce compris la brasserie du Pesage), et gérer et exploiter le parking principal que la Région promet d’agrandir... La SAU entreprend de rénover les principaux bâtiments du site pour 7 millions d’euros, FEDER investit dans le projet 4,2 millions d’euros et Drohme Invest lâche 9 millions pour des rénovations et aménagements (principalement de l’intérieur des bâtiments).
L’hippodrome est par ailleurs désigné comme nouvelle « porte d’accueil de la forêt de Soignes » bruxelloise, dans un réseau inter-régional de plusieurs portes et points d’accès tels que le Rouge-Cloître, Groenendael, le Parc de Tervuren en Brabant Flamand et le Domaine régional Solvay de La Hulpe en Brabant Wallon. Bruxelles Environnement (BE) prend en charge les projets de construction et de gestion d’une maison de la forêt, qui deviendrait un centre éducatif à la nature, et d’une plaine de jeu d’ampleur régionale. En effet, le développement du “parc” doit se concentrer autour de cinq axes de programmation : nature, sport, culture, éducation et détente.
Bref, horeca, patinoire, accrobranche, éco-golf, le tout flanqué d’un grand parking, c’est un vrai parc d’attraction green dans un cadre idyllique que Drohme Invest veut offrir aux classes supérieures et aux entreprises via son “pack team-building”. Il a un nom : Melting Park. Une proposition considérée par la région comme un atour renforçant son attractivité touristique.
Pressé de rentabiliser son investissement, le concessionnaire exploite les infrastructures déjà fonctionnelles telles que le golf et la “terrasse O2” et propose le site à la location événementielle avant même l’inauguration du site, prévue en 2019.
Très vite, le volet événementiel prend une place prépondérante. Pas étonnant sachant que pour être rentable, un évènement doit être organisé tous les trois jours, soit 124 par année. Ce glissement d’utilisation en faveur de l’évènementiel est rapidement dénoncé par les associations environnementales et de riverain·es qui estiment ces activités incompatibles avec le respect du statut Natura 2000 du site.
À partir de 2017, une kyrielle de permis d’urbanisme et d’environnement sont introduits... suivis d’un chapelet de recours introduits par des riverain.es et des associations. En effet, les demandes de permis sont effectuées par “poches” et ne concernent pas la totalité du site. Leur impact global n’est donc pas étudié et est difficile à appréhender. Ce saucissonnage est dénoncé par les associations investies pour la défense du patrimoine naturel du site, qui saisissent à de nombreuses reprises le Conseil d’État, contre les filets de protection entre la piste de l’hippodrome et le golf, contre l’exploitation du bâtiment du pesage en brasserie, contre diverses régularisations de travaux effectués sans permis...
Dresser une liste exhaustive de ces procédures relève d’un travail de copiste, car plusieurs recours sont parfois introduits contre un seul et même permis, portés par différents requérants et leurs avocats et traitées par différentes chambres du Conseil d’État. Un fil difficile à suivre.
Parallèlement, les activités privées bruyantes et génératrices de foules de la terrasse O2 donnent lieu à de nombreuses plaintes et constats d’infractions qui ne semblent pas empêcher le concessionnaire de poursuivre ses activités. Néanmoins, le développement du site tel que Drohme Invest l’avait imaginé est contrarié.
Face à ces vives oppositions, en 2020, le gouvernement régional sort un masterplan dédié au futur du site dans lequel le rôle de BE est revu et augmenté. L’administration de l’environnement initie alors un processus de dialogue avec les associations, sans pour autant abandonner son projet phare pour le site : la maison de la forêt. Aussi pédagogique soit-il, ce bâtiment reste une construction en zone Natura 2000, ce qui est inacceptable pour les tenant.es de la société civile. D’autant plus que le bâti existant sur le site pourrait aisément accueillir cet espace éducatif. Autour de la table, le projet crispe. Quelques années plus tard, l’édification de la maison de la forêt est abandonnée et le dialogue se fluidifie. La reprise en gestion par BE de différents éléments du site semble se dérouler de manière respectueuse du caractère naturel du site.
Néanmoins, en compensation des pertes infligées par le bridage de ses projets événementiels et la diminution de la superficie du golf de 150 m², la concession de la SA Drohme a été prolongée de 5 ans (20 ans à dater de 2014).
Les associations, quant à elles, défendent le cadre idyllique de la forêt de Soignes : une exceptionnelle hêtraie cathédrale centenaire, une biodiversité riche, mais fragile, et même... fragilisée. Outre le réchauffement climatique, la menace humaine est bien réelle. L’impact des filets qui protègent les promeneureuses d’une balle de golf égarée n’a pas été étudié en regard de la présence de l’avifaune (et notamment de chauves-souris protégées). Les activités festives et bruyantes organisées par Drohme génèrent une pollution lumineuse, attirent des foules (1750 personnes/événement) qui piétinent la flore, la faune, les sols. Ces activités sont facilitées par l’exploitation d’un vaste parking... illégal. Il se situe en effet dans sur un périmètre reconnu au PRAS comme zone forestière. En 2022, comme annoncé dans le masterplan, la Région coupe court aux nombreuses protestations et actions en justice introduites par des riverain.es et la société civile qui visent à rendre cette zone à son affectation forestière réelle. L’enquête publique qui est lancée vise à modifier le PRAS pour rendre conforme son usage illégal depuis plusieurs décennies et même, à en augmenter sa capacité. Or, la zone visée par la modification est située à 60m de la Zone Spéciale de Conservation (autrement dit zone Natura 2000), et est donc sise en zone tampon où il n’est ni possible de construire, ni de poser un revêtement de sol.
La zone forestière serait dès lors transformée en zone d’équipement d’intérêt collectif ou de service public, compatible avec un parking, dont la gestion doit être confiée à un opérateur privé. Une démarche inacceptable pour IEB et les autres associations environnementales. En plus d’être symboliquement inacceptable dans son atteinte à la nature, cette modification constitue un risque de précédent, un détricotage des protections octroyées à la nature dans la région. Précisons également que le site est classé en zone d’accessibilité B (qui correspond à “bien desservie”) dans le Règlement Régional d’Urbanisme et qu’il est prouvé que la présence d’un parking incite à recourir à l’usage de la voiture.
Par ailleurs, non loin se trouve un captage d’eau destinée à la consommation humaine et le parking constitue un risque non négligeable de pollution. Pour autant, quelques mois plus tard, la modification sera entérinée. Mais les recours introduits par des riverains et associations devant le Conseil d’Etat contrarieront cette décision. En effet, un arrêt rendu le 25 octobre dernier leur a donné raison : la modification du PRAS en vue de légaliser le parking est annulée.
L’histoire récente démontre donc l’incompatibilité des visions de Drohme SA – et de certains membres du gouvernement de la Région - avec le respect de cet environnement et la création d’un réel pôle de sensibilisation et d’éducation à la nature débarrassé d’une exploitation commerciale du site. La prolongation de la concession de la SA Drohme est donc regrettable et empêche BE de prendre les rennes du site afin qu’il remplisse enfin pleinement sa vocation d’exemplarité et de pédagogie accessible à toustes.
Chargée de mission, co-coordinatrice