Rue de la Vierge Noire, les Halles Centrales sont remplacées en 1956 et en 1962 par un bâtiment sinistre de dix étages : le Parking 58. La Ville de Bruxelles veut y installer pour 2021 son nouveau centre administratif, mais ce faisant elle supprime la Courte rue des Halles qui traversait le bâtiment.
On connaît la triste histoire du Parking 58, dont la construction fut provoquée par l’échevin Paul Van den Boeynants [1]. Le terrain, propriété de la Ville de Bruxelles, cédé à l’exploitant par bail emphytéotique de 70 ans, lui fut vendu en 1986 pour un prix très inférieur à sa valeur. Lors de cette transaction, l’acte de vente prévoit toutefois que la Courte rue des Halles, qui traverse le bâtiment et relie en droite ligne le quartier Sainte-Catherine à la rue des Bouchers par la rue Grétry, devra rester accessible au public.
Cette Courte rue des Halles était devenue par la construction du Parking 58 un passage couvert. En plus de sa fonction de raccourci, ce passage public livrait un accès aux bureaux du Ministère de la Prévoyance Sociale établis dans les étages, et au supermarché GB établi au rez-de-chaussée.
Lorsqu’en 2012 ces locataires déménagent, des sans-abris se réfugient dans le passage couvert.
C’est alors que le propriétaire AG Real Estate en fait clôturer les accès. Parallèlement, AG Real Estate essaya d’obtenir un permis d’urbanisme pour convertir tous les étages en bureaux, l’astuce consistant à déplacer le parking actuellement installé dans les étages supérieurs, vers 6 étages à creuser en sous-sol. Permis refusé.
La Ville de Bruxelles propose alors à AG Real Estate de construire là son nouveau centre administratif. Affaire conclue : un bâtiment « Brucity 2021 » est conçu sur mesure par AG Real Estate pour la Ville. La Ville lui louera ses bureaux pour une durée de 30 ans, avec possibilité de rachat. L’actuel centre administratif de la Ville, établi dans le Centre Monnaie, jugé obsolète et trop coûteux à rénover, sera vendu.
Architecture transparente…
Les dessins publiés vantent un bâtiment blanc, entièrement vitré, quasiment immatériel. L’argumentaire du bureau d’architecture et de la Ville insiste sur la transparence : les façades vitrées rappellent l’ouverture de la Ville et des services publics au monde extérieur. Voilà un beau retour de l’Histoire : il y a cinquante ans, c’était déjà l’argument avancé par Paul Van den Boeynants lorsqu’il imposa aux Bruxellois la construction de la Tour ITT surplombant les jardins de l’abbaye de La Cambre. Il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, disait-il : ce serait une tour « transparente ».
Brucity 2021 : voilà des bureaux dont la Ville sera locataire, qu’elle se fait construire sur un terrain qui lui appartenait. Autrefois, les villes bâtissaient elles-mêmes leur hôtel communal. Il existait même une banque publique pour financer cela : le Crédit Communal. Maintenant, on confie les affaires lucratives au privé : l’idéologie ultra-libérale est passée par là.
On va donc privatiser la Courte rue des Halles, qui sera fermée la nuit, les dimanches et jours fériés. Normal, elle était squattée par les sans-abris.
Normal ? Quand les clochards dorment sur les bancs, on enlève les bancs. Et puis on ouvre des abris de nuit, l’hiver. De la même façon qu’on met sur pied des écoles de devoirs pour pallier les insuffisances de l’école, les politiques de « cohésion sociale » mises sur pied depuis les années 1990 montrent l’incapacité à enrayer les injustices dont souffrent nos sociétés. Le fait de désigner la cohésion sociale comme une politique publique parmi d’autres constitue en quelque sorte l’entérinement par les autorités publiques elles-mêmes de l’échec de toutes leurs autres politiques : étrangère, commerciale, fiscale, économique, sociale, etc. [2]
Certes, la Ville de Bruxelles ne peut remédier seule à l’injustice sociale, mais est-ce une raison pour privatiser la Courte rue de Halles ? Est-ce trop difficile de scinder ce nouveau bâtiment en deux parties, reliées entre elles par des passerelles à partir du niveau +3, de façon à ce que la Courte rue des Halles demeure un espace public ?
Patrick Wouters,
BruxellesFabriques
[1] Voir l’article « Parking 58 : partie de poker menteur », paru dans Bruxelles en mouvements n°277, juillet-août 2015.
[2] Lire : Edgar Szoc, Inspirez, conspirez, Éditions La Muette, 2016 (p.85-86).