Raf Custers – 20 mars 2019
Ces dix prochaines années, le quartier du Rempart des Moines, au cœur du pentagone, subira une transformation radicale : les « 5 blocs » de logements sociaux seront démolis. Ils laisseront la place à un complexe de logements « mixtes » (des logements sociaux et des logements moyens), avec 400 places de parking. La nécessité de cette démolition reste discutable. Il y a dix ans, ainsi qu’il ressort de documents internes, la démolition n’était pas encore une option, on penchait pour une rénovation lourde. À l’époque, la société de logements sociaux connaissait le mauvais état des 5 blocs, mais elle n’avait pas les moyens nécessaires à leur rénovation. Elle avait alors demandé à l’État fédéral s’il pouvait faire un geste. En 2010, c’est le point de rupture, et la Ville de Bruxelles entre en scène. C’est à ce moment que s’est mis en branle un processus qui allait inéluctablement aboutir à la décision de démolir les tours de logements sociaux et de faire déménager près de 800 locataires.
La reconstitution de ce processus décrite ci-après ne prétend pas être complète. Elle repose sur une série de documents émanant des différentes parties concernées : Logement Bruxellois (LBW, anciennement le Foyer bruxellois), la Ville de Bruxelles et Beliris (le lien entre l’État fédéral et la Région de Bruxelles-Capitale). Mais ces parties semblent allergiques à la transparence et elles verrouillent soigneusement leurs dossiers. Si les gestionnaires peuvent les consulter, ce n’est pas le cas du grand public. Pourtant, ce sont bien les intérêts du « grand public » qui sont aussi en jeu.
Dans le cas des 5 blocs de la rue Rempart des Moines, il s’agit en premier lieu des intérêts des locataires. Alors qu’ils vivent à proximité du quartier branché de la rue Antoine Dansaert et ressentent la pression de la montée en gamme des commerces et des chalands, ils sont eux-mêmes contraints de vivre simplement. Faut-il le rappeler ? Il n’y a pas si longtemps encore, cette partie occidentale du Pentagone bruxellois était l’une des zones les plus pauvres et les plus densément peuplées de la Région de Bruxelles-Capitale. En 2013, dans le diagnostic établi par le Centre communautaire Rempart des Moines, on pouvait lire noir sur blanc : chômage élevé (27%), chômage des jeunes élevé (35,5%), revenus moyens très modestes, insécurité, mauvais état des habitations...
2008 : l’époque de la « rénovation lourde »
Les 5 blocs furent inaugurés en 1966, trente ans plus tard, soit en 1996, ils auraient dû subir un rafraîchissement en profondeur, mais cela n’a pas été fait.
Reprenons notre reconstitution en 2008, soit plus de 40 ans après leur construction, et plus de dix ans sans rénovation « nécessaires ». Une nouvelle direction prend alors la tête du Foyer bruxellois . Elle découvre une pagaille administrative et des irrégularités financières. Un grand nettoyage commence, parmi les dossiers en haut de la pile : les 5 blocs du Rempart des Moines. Son projet est de rénover les 5 blocs en profondeur et de construire un demi-bloc supplémentaire de 32 appartements. « L’hypothèse “démolition-reconstruction”, sera un moment envisagée, mais jugée trop coûteuse, aussi bien en termes d’économie que d’impact social. On préférera une solution de rénovation lourde des bâtiments existants, associée à la construction de nouveaux logements » [1]. Le raisonnement qui sous-tend ce projet découle de propositions antérieures, essentiellement de l’architecte Pierre Blondel. Le projet de rénovation de ce dernier consistait à construire d’abord une nouvelle unité de 32 appartements, d’y installer les habitants d’une demi-tour existante tandis que celle-ci était rénovée, puis ces habitants auraient rejoint leur appartement rénové, et on pourrait s’atteler à travailler dans une autre demie-tour et ainsi de suite. Cette « opération tiroir » offrait l’avantage de ne pas obliger les habitants à déménager pendant les travaux, et à changer de quartier.
L’éternel problème ? Les sous. Le coût du projet est estimé à 44 millions d’euros. Le Foyer bruxellois projette d’y consacrer 4,6 millions d’euros, pour la construction de 32 appartements et la rénovation des toitures des 5 blocs. Le reste du financement devra venir d’ailleurs. Le Foyer bruxellois pense à cet égard à l’Accord de Coopération Beliris entre la Région de Bruxelles-Capitale et l’Etat fédéral prévoyant un financement de la Région de 125 millions d’euros par an. Celui-ci est géré au sein du Service public fédéral de la Mobilité et des Transports (SPF MT). Et même,si le SPF MT ne pouvait financer qu’une partie, cela permettrait déjà « d’initier une dynamique de rénovation urbaine au bénéfice des occupants ».
Le Foyer bruxellois reçoit à l’époque 14 à 18 millions d’euros, tous les quatre ans, de la Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale. Avec cette somme, elle doit financer tous ses projets… Elle explique en février 2008 que « Si nous voulons réaliser le projet Rempart des Moines avec ces moyens, nous devons injecter l’équivalent de 2,5 à 2,9 programmes quadriennaux » et abandonner à leur sort les 2 500 autres logements et leurs occupants, ce qu’elle estime inacceptable.
La société de logement se tourne donc vers le SPF MT, et suggère une intervention financière par Beliris. Des contacts auront ensuite lieu avec le cabinet de Laurette Onkelinx (PS), la ministre fédérale des Affaires Sociales et de la Santé Publique, et le cabinet de Françoise Dupuis (PS), la ministre du Logement et de l’Urbanisme au gouvernement de la région bruxelloise. On envisage un chantier sur dix ans, de 2008 à 2018 : la nouvelle unité de 32 appartements et la tour E rénovée pour 2013 ; fin 2015, les rénovations des tours C et D et finalement les tours A et B fin 2018 [2].
Bruxelles embarque dans le projet
Deux changements majeurs surviennent pendant les deux années suivantes. Tout d’abord, le SPF décide de faire réaliser une étude dans le cadre de Beliris et de la payer. L’étude sert à préparer « la rénovation / densification » du site Rempart des Moines. Elle doit contribuer à désigner le futur exécutant du chantier à l’issue d’un appel d’offres [3]. Le second changement concerne la Ville de Bruxelles. Le 17 juin 2010, le Collège des bourgmestre et échevins s’est engagé dans un programme de construction de 1 000 logements et recherche de terrains. Il décide que la Régie foncière de la Ville participera à ce qui s’appelle alors le remembrement du site « Rempart des Moines ». Par « remembrement » il faut entendre : construction par la Ville d’« environ 70 logements et environ 70 places de parking" [4]. Il s’agit plus précisément de 70 logements moyens. A cet effet, le Collège consent à « un investissement estimé provisoirement à 15 millions d’euros » [5]. La Ville propose dès lors un échange : elle cède diverses petits terrains au Foyer bruxellois en échange de la parcelle du site Rempart des Moines où elle veut construire les nouveaux logements moyens.
Loin d’être anodin, on assiste là au basculement du projet. En effet, la Régie foncière de la Ville de Bruxelles amène une masse d’argent sur le site « Rempart des Moines » mais, dans le même temps, elle modifie le cœur-même du projet : il n’est désormais plus question d’une simple rénovation. Le dossier Rempart des Moines concerne dorénavant un échange de terrains, l’ajout de logements moyens (70) et l’ajout de places de parking (70). Le choix d’attirer une autre catégorie d’occupants, plus aisé, est posé. Cette « nouvelle dynamique de rénovation urbaine » opte donc pour une mixité sociale. Une option manifestement imposée par la Ville de Bruxelles au Foyer bruxellois. À la Ville, une majorité PS-Cdh est alors au pouvoir, sous la direction du bourgmestre Freddy Thielemans (PS). L’échevin qui gère les propriétés communales est Mohamed Ouriaghli (PS), l’échevin des Finances est Philippe Close (PS).
Dans le courant de l’année 2010, Beliris lance un appel d’offre général, il fixe un montant de 199.426,76€ pour l’exécution de la mission d’étude [6]. En 2011, c’est le bureau AT Osborne qui sera désigné pour réaliser une analyse de la situation existante (contexte urbain, aspects juridiques et administratifs, audit technique du site et des bâtiments, accessibilité), une analyse des besoins (logements sociaux et moyens, bureaux, locaux associatifs, logements pour seniors, crèche, parkings), une analyse des opportunités et l’élaboration de « scénarios constructifs » assortis des budgets correspondants. En novembre 2012, AT Osborne remet son rapport de 119 pages « Phase 1 - Audit et potentialités ». Il y est encore question de rénovation / densification / optimisation énergétique. Mais sur les cinq scénarios (et une variante) présentés par AT Osborne, 3 proposent une démolition/reconstruction.
Nombre de logements | Type de chantier | Solde de logements | Prix en mio € | |
---|---|---|---|---|
Statu Quo | 197 | Rénovation lourde, sans agrandissement de la surface | - 117 logements sociaux | 32,2 |
Basic | 276 | énovation lourde avec agrandissement de volumes. En cas de mix social, encore moins de logements sociaux. | - 38 logements sociaux | 51,1 |
Must-1 | 314 logements sociaux | Rénovation avec agrandissements et construction neuve, nouvelle salle de sports. En cas de mix social, encore moins de logements sociaux. | Pas de perte de logements sociaux | 67,3 |
Must-2 | 314 logements sociaux | Comme Must-1 mais avec démolition/reconstruction. Avec façades à rue. | Pas de perte de logements sociaux. | 78 |
Should | 384 | Démolition/reconstruction. Nouvelle salle de sports. | 314 logements sociaux + 70 logements moyens | 94,4 |
Max | 411 | Démolition/reconstruction avec densification maximale. Nouvelle salle de sports. | 341 logements sociaux + 70 logements moyens | 99,7 |
Dans l’étude, on trouve également un document qui contient des simulations 3D du site Rempart des Moines après achèvement des travaux [8]. Il s’agit donc du futur site tel que les techniciens d’AT Osborne se le représentaient. Et ces simulations présentent encore deux nouveautés importantes. Tout d’abord les travaux devraient commencer du côté de la rue Dansaert. En effet, la phase 1 prévoit un nouveau bâtiment au départ de la rue du Houblon et sur la rue Rempart des Moines. Cela implique avant tout une démolition de la tour E et peut-être aussi de la tour D. En second lieu, AT Osborne envisage un îlot entièrement fermé, avec des façades alignées le plus près possible des rues adjacentes, donc au rez de la rue Rempart des Moines, de la rue Notre-Dame du Sommeil et de la rue du Grand-Serment. Ils indiquent que ces simulations et leurs pré-illustrations ne correspondent pas (encore) à des décisions formelles. Cependant, la simulation 3D de l’îlot fermé réapparaîtra systématiquement, après que la décision formelle de démolir les tours sera prise le 30 juin 2016, lorsque le Foyer bruxellois communiquera sur le dossier avec les locataires et une brochette d’intéressés. Ce sera notamment le cas lors des communications de septembre 2016, de mars et juin 2018 (aux locataires) et de juin 2017 (à des visiteurs venus de Berlin). Cela nous amène légitimement à penser que le choix d’un îlot fermé bénéficiait déjà de la préférence du Foyer bruxellois par rapport à l’organisation perméable du site actuel, où l’on peut circuler entre les 5 blocs indépendants. Il faut rappeler que comme tous les autres grands ensembles de logements sociaux construits dans le centre-ville dans les années d’après-guerre (à l’exception de la rue des Minimes), l’architecture du Rempart des Moines s’inscrit dans la logique de l’urbanisme fonctionnaliste : constructions en hauteur, dans la verdure, offrant air pur, soleil, hygiène aux habitants qui quittaient les quartiers de taudis démolis. Si cet urbanisme est actuellement critiqué, il offre néanmoins aux habitants des espaces de jeux et de repos, qui pourraient bien sûr être grandement améliorés. Nous en sommes en 2016, la décision de démolir les blocs a été rendue publique, mais les habitants ne savent ni quand, ni comment… Quelle tour sera démolie en premier ? Où seront-ils relogés ? L’inquiétude grandit auprès des habitants, et les rumeurs vont bon train.
Bruxelles exige davantage de « mixité sociale »
Mais revenons un an en arrière, lorsqu’en 2015 le Foyer bruxellois pose une décision aussi originale qu’inattendue. Dans un premier temps, sur base de l’étude d’AT Osborne, la société de logement formule alors une combinaison des scénarios Should et Must, qu’elle appelle scénario Shust. Ce scénario Shust implique la réalisation de 280 logements sociaux et 70 logements moyens au Rempart des Moines. Mais dans un second temps, le Foyer bruxellois change d’avis, les causes sont sans doute à trouver dans la nouvelle « étude structurelle approfondie » des 5 blocs et l’insistance de la Ville de Bruxelles qui souhaite « plus de mixité sociale ». Le Foyer bruxellois en arrive ainsi à un projet radicalement différent comportant 210 logements sociaux et 140 logements moyens, soit une perte de 104 logements sociaux. AT Osborne conçoit trois projets possibles en fonction de cette option : un avec ilots ouverts, un deuxième avec ilots fermés et un troisième avec ilots fermés combiné à une petite place sur la rue du Grand-Serment. Ces trois projets ont en commun une rue transversale qui relie le Rempart des Moines à la rue du Grand-Serment. Le gabarit des immeubles varie de 3 à 7 étages au-dessus du rez-de-chaussée, soit la hauteur critiquée par certains des blocs actuels. Les 140 logements moyens sont assortis de 140 places de parking [9].
Bref, le passage de Shust-1 à Shust-2 a pour corollaire une évolution de 70 logements moyens + 280 logements sociaux à 140 logements moyens + 210 logements sociaux : les logements moyens progressent, les logements sociaux reculent. Il s’agit sans aucun doute du programme de la majorité bleu-rouge à l’hôtel de ville de Bruxelles. Ce choix implique aussi une densification importante du site qui passera de 25 500 m2 de planchers à 40 000 m2, ainsi que la démolition de la salle de sport construite il y a moins de 20 ans par l’architecte Blondel (pourtant considérée comme une œuvre architecturale de qualité, qui avait été réalisée dans le cadre du contrat de quartier pour la somme de 2 millions d’euros [10]), à la place le programme prévoit une nouvelle salle de sport en sous-sol. Tous ces nouveaux éléments sont imposés par la Ville, c’est qu’elle est le principal financier. La réalisation de Shust-2 coûtera 73 488 459 €, à peu de chose près 73,5 millions. Sur ce montant, 40,4 millions viendront de la société de logements sociaux, et le reste de la Ville (1,8 millions) et de la Régie/CPAS (31,2 millions). Mais la société de logement est financée par la Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale (30,6 millions) et par la Ville de Bruxelles (à hauteur de 9,8 millions). La Ville consacrerait donc finalement près de 43 millions pour la démolition/reconstruction du site du Rempart des Moines. Dans un tel contexte, c’est celui qui met le plus d’argent sur la table qui impose ses exigences, c’est-à-dire la Ville. Shust-2 est adopté par le conseil d’administration le 19 mai 2016. Dans le même temps, le Foyer change de forme, il est fusionné avec Lorebru, une autre société de logement de la Ville de Bruxelles, qui possède des logements à Neder-Over-Heembeek. Formant désormais le Logement Bruxellois/Brusselse Woning (LBW). Au printemps 2016, le LBW quitte le numéro 135 rue Rempart des Moines pour de nouveaux bureaux situés en face de la Gare de Bruxelles-Central.
Ce n’est pas tout, un élément curieux apparaît dans le compte rendu de la réunion du CA du 19 mai 2016. Il relève le nombre d’emplacements de parking de « 140 à 199 », précisant qu’il s’agira de parkings souterrains « à construire par la Ville ». Quelque temps plus tard, dans le cahier des charges, le nombre de places de parking augmente encore, passant à 400(!). Mais revenons-nous un instant sur le contexte d’alors. Pendant l’hiver 2014-2015, la Ville de Bruxelles bouleverse la mobilité dans le centre-ville. Elle annonce une zone piétonnière entourée d’une boucle de circulation (le « mini-ring ») et elle annonce la construction de quatre parkings souterrains à l’intérieur du Pentagone (place Rouppe, près du métro Yser, place du Jeu de Balle et Nouveau Marché aux Grains). Les vives protestations des Marolliens amènent rapidement à la suppression du parking sous la place du Jeu de Balle. Les trois autres projets disparaissent du paysage. Le projet de parking sous les platanes du Nouveau Marché aux Grains aurait été abandonné parce que l’échevine de la Mobilité Els Ampe (Open VLD) n’aurait pas trouvé d’investisseurs... Mais on a de bonnes raisons de croire que ce parking souterrain a simplement, et discrètement, été déplacé au Rempart des Moines.
L’actualité
Le gouvernement bruxellois entérine le 30 juin 2016 la décision de démolir les 5 blocs du Rempart des Moines, pour y construire en lieu et placeun quartier mixte de 350 logements neufs et 400 places de parking. Fin 2016, le LBW lance un appel d’offre en vue de sélectionner 5 bureaux auxquels elle demandera ensuite, en 2018, un projet concret pour le site du Rempart des Moines. Le LBW suit méticuleusement les règles de cette procédure... Mais il en use également pour donner le moins possible d’informations au grand public. Prenons par exemple la sélection des « bureaux d’architectes » en 2017 : la sélection sera clôturée fin 2017 sans que le LBW n’ait fait de communiqué public à ce sujet.
Entre-temps, nous avons appris ce qui suit. À la date-butoir du 6 février 2017, 32 associations d’architectes et d’ingénieurs avaient signalé leur volonté de participer à la sélection. Elles sont classées en fonction de leur respect des critères imposés (capacité financière, know-how, expérience, etc.). Fin août, un comité technique présidé par AT Osborne établit une short list de 5 noms. La voici :
% | Association | Représentée par | Ville |
---|---|---|---|
85 | Team + | MDW | Bruxelles |
82 | Bogdan & Van Broeck / ELD / Sergison Bates / NEY / Ingenium / Crea-Tec | Bogdan & Van Broeck Architects | Bruxelles |
82 | 51N4E / Architectes associés / Duplex / Detang / Bas | 51N4E | Bruxelles |
76 | Stéphane Beel / Beal & Blanckaert / Ledroit Pierret Polet / Act-O / Greisch Ingénierie | Stéphane Beel | Gand |
73 | Atelier du Pont / BG / Vers.A / Egis | Atelier du Pont | Paris / Lyon |
Le comité technique propose de recommander ces 5 bureaux comme finalistes. Cette proposition est adoptée formellement fin novembre 2017 par la direction du Logement Bruxellois et fin décembre par le Collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Bruxelles. En janvier 2018, les noms des vainqueurs et des perdants sont communiqués aux intéressés (et uniquement à eux).
Le Logement Bruxellois commence alors à noter les détails des travaux à effectuer au Rempart des Moines et les consigne dans le « Cahier spécial des charges pour la désignation d’une équipe d’auteurs de projet pluridisciplinaire » (le « Cahier des charges » dans la suite du texte). Ce document servira de base aux cinq finalistes pour élaborer leur projet pour l’ensemble du chantier. Le bureau qui réalisera son projet au cours des prochaines années sera en fin de compte sélectionné sur la base de ces cinq propositions finales. Pendant cette phase, qui couvre toute l’année 2018, le Logement Bruxellois ne laisse pas non plus filtrer la moindre information. La société redoute probablement que tel ou tel participant se sente défavorisé et que l’ensemble du processus s’en trouve ralenti par quelque démarche que ce soit. Mais, du point de vue des intéressés directs, les locataires des 5 blocs du Rempart des Moines et les voisins proches, cette stricte confidentialité est incompréhensible. En février deux locataires ont été invités à la commission technique qui va délibérer sur les cinq propositions des architectes. Le Logement bruxellois envisagerait d’entamer un processus participatif quand tout sera décidé. Mais les locataires n’ont jusqu’à présent été consultés à aucun moment.
Dépassé
Interrogé sur le « Cahier spécial des charges », le Logement Bruxellois répond par téléphone qu’il ne divulgue pas ce document et écrit qu’en sa qualité de « société immobilière de service public », elle n’est pas un pouvoir administratif et qu’elle ne relève donc pas de la loi relative à la publicité de l’administration. En attendant, des étudiants de l’université de Louvain ont bien réalisé une étude sur la base du « Cahier spécial des charges ». Le document circule donc quelque peu. Tout cela est bien curieux pour un projet qui coûtera la coquette somme de 73,5 millions d’euros, dans lequel en tout cas la Ville de Bruxelles est concernée en tant qu’instance publique, d’autant que ce projet aura un profond impact sur les occupants du site et des environs.
Le manque de clarté est particulièrement choquant sur deux dimensions : le phasage des destructions et des relogements ; les parkings souterrains. Lors de sa réunion d’information de 2018, le Logement Bruxellois a annoncé aux locataires que les travaux commenceraient par l’évacuation et la démolition de deux tours (sans préciser lesquelles). Cette question provoque, comme nous l’avons déjà dit plus haut, une grande inquiétude parmi les locataires. Le « Cahier spécial des charges » stipule en fait qu’avant les travaux, deux tours de logements doivent être “libérées”. Avant qu’une tour soit démolie, il faut d’abord mettre à disposition suffisamment de logements sociaux pour y reloger les occupants de la tour à démolir. Cela veut dire que les occupants des deux tours “libérées” ne pourront pas être relogés sur le site, et devront sans doute changer de quartier.
En second lieu, le flou entourant les « parkings souterrains ». Le cahier des charges stipule qu’au moins 400 emplacements doivent être prévus, de surcroît une petite phrase en caractère gras indique que ces parkings doivent être conçus de façon à pouvoir être exploités par « une structure indépendante » [11]. On pense d’emblée à cet égard à une entreprise de parking telle qu’Interparking qui exploite des parkings partout dans Bruxelles. Cette volonté de développer des places de parking au centre-ville s’inscrit dans la philosophie de la majorité bleu-rouge qui a dirigé la ville jusqu’à la fin 2018 : rendre le centre de Bruxelles accessible, le plus aisément possible, en voiture.
À l’heure d’écrire ces lignes, début d’année 2019, le flou continue à régner. Le projet Rempart des Moines a été redessiné à plusieurs reprises au cours des dix dernières années. En sa qualité de principal financeur, la précédente majorité politique bruxelloise a imprimé sa marque sur le projet définitif repris actuellement dans le Cahier spécial des charges. Mais, depuis les élections communales d’octobre 2018, un nouveau conseil communal a été mis en place. Ce dernier pourrait et devrait revoir à nouveau le projet Rempart des Moines. A minima, il nous semble que rien n’empêche la suppression des parkings souterrains “d’au moins 400 emplacements”. Ces parkings seront tout à fait anachroniques quand le nouveau site Rempart des Moines sera terminé dans une dizaine d’années. Le mieux serait que le programme lui-même soit revu. Mais la priorité est sans aucun doute d’impliquer sérieusement les locataires et les voisins dans le projet et de fournir des informations sérieuses au grand public. Car la culture bruxelloise du secret est déjà un anachronisme aujourd’hui.
[1] Rempart des Moines. Travaux de rénovation du complexe 19, Le Foyer bruxellois, (2008)
[2] Rapport n°6, Technique investissements : rénovation du site Rempart des Moines. Recherche de financements, s.c. Le Foyer bruxellois - De Brusselse Haard s.c., 13 février 2008.
[3] Le document original en français stipule : ...lancer un Marché de service « Assistance à la Maîtrise d’ouvrage pour la définition et l’attribution du marché d’études nécessaire à la rénovation / densification du site Rempart des Moines sur le territoire de la ville de Bruxelles », Rapport n°5, Investissements : complexe 19 Rempart des Moines - Suivi, idem, 23 septembre 2010.
[4] Le document original en français stipule : ...lancer un Marché de service « Assistance à la Maîtrise d’ouvrage pour la définition et l’attribution du marché d’études nécessaire à la rénovation / densification du site Rempart des Moines sur le territoire de la ville de Bruxelles », Rapport n°5, Investissements : complexe 19 Rempart des Moines - Suivi, idem, 23 septembre 2010.
[5] Collège des Bourgmestre et Echevins de la Ville de Bruxelles. Extrait du registre des procès-verbaux des délibérations. Séance du jeudi 17 juin 2010.
[6] SENAT Question écrite n° 5-6698 du 9 juillet 2012.
[7] Tiré du Rapport n°3. Investissements - Complexe Rempart des Moines. Avancement du projet de rénovation du site, s.c.r.l. Le Foyer bruxellois - De Brusselse Haard s.c.r.l., 12 février 2014.
[8] Projet Rempart des Moines. Images 3D / insertions contexte. Aide à la décision pour le scénario et les phasages du projet, AT Osborne, 11 février 2014, 6 pages.
[9] Rempart des Moines. Recherche urbaine sur le scénario « Shust ». Présentation finale du 01/12/2015, AT Osborne, 30 pages.
[10] La part régionale du financement de la salle sera à rembourser à la Région
[11] Mission complète de conception et de contrôle de l’exécution. Cahier spécial des charges pour la désignation d’une équipe d’auteurs de projet pluridisciplinaire, Logement Bruxellois/Régie foncière, 2018.