Inter-Environnement Bruxelles
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Copernic, où es-tu ?

Copernic, où es-tu ? Il y a 5 ans, la FEBIAC voyait le moteur diesel comme la solution pour répondre aux enjeux de Kyoto [1]. L’année dernière, c’est la voiture électrique que la FEBIAC mettait à l’honneur [2]. Cette option réduira t-elle les émissions de CO2 ? Voici notre analyse...

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Depuis peu, l’industrie automobile a été contrainte de changer radicalement son point de vue public sur la question de la voiture électrique. Une révolution ? Que nenni, on peut prédire au secteur de l’automobile basé sur le bon vieux moteur « à explosion » des parts de marché encore fort confortables pour de nombreuses années...

« Ah bon ? », nous demandera le Secrétaire d’Etat à la fiscalité verte, Bernard Clerfayt, qui propose depuis cette année une prime allant jusqu’à 9 000 euros (6 mois de salaire !) à tout acheteur d’une voiture électrique.

« Ben oui. » Car la voiture électrique coûte cher. En cause : le prix des batteries. Il est prohibitif et double le prix d’une petite citadine. C’est d’ailleurs pour cette raison que la FEBIAC, qui réclamait des aides publiques il y a à peine 5 ans pour investir massivement dans la « technologie diesel de l’avenir » remet le même couvert pour la voiture électrique, son nouvel Eldorado. Mais sans prime à l’achat, point de salut pour celle-ci. Et vu les finances de l’Etat, on peut déjà prédire aux primes à la voiture électrique le même destin que celui réservé aux primes accordées un temps aux particuliers qui décidaient d’investir dans les panneaux photovoltaïques [3]. D’où la nécessité pour le secteur automobile de trouver un moyen de rapprocher le coût de l’usage des véhicules électriques du niveau de celui des voitures conventionnelles. Les batteries sont trop chères ? « Louons-les ! » Voilà une solution qui, si elle met à mal l’argument commercial du « rouler électrique ne coûte que 1€/100 km », rend un peu plus crédible le modèle économique de la voiture électrique. Mais cette solution ne recueille pas forcément l’approbation de tous. Ainsi, dans un article récent, le moniteur de l’automobile français, que l’on ne peut pas vraiment placer au rang des plus ardents défenseurs de l’environnement, faisait remarquer que ce modèle poussait à la consommation : les batteries louées sont d’autant plus rentables que l’on roule beaucoup. Autant continuer avec un bon petit diesel, concluait l’article.

Rouler plus propre ?

La question du modèle économique étant réglée, penchons-nous sur les émissions de CO2. Les uns [4]nous disent que le rendement de la filière électrique est bien meilleur que celui du moteur diesel. La preuve ? Il suffit de comparer le nombre de grammes de CO2 émis par kWh [5]produit. A ce petit jeu, la voiture essence émettrait en moyenne 1600 g CO2/kWh, la voiture diesel 1300 g CO2/kWh et la voiture électrique 1000 g CO2 de kWh aux Etats-Unis et 600 g CO2/kWh en Europe.

Les autres ne manquent pas de faire remarquer que les émissions de la filière électrique sont dépendantes du mode de production de l’électricité. Ils prétendent dès lors que la seule comparaison valable est celle qui est faite entre la plus économe des voitures au diesel (qui produit moins de 100 g/km parcouru) et la plus efficace des voitures électriques (qui consomme de l’ordre de 17 kWh/100 km) alimentée par la pire des centrales électriques (soit au charbon). Ce qui donne une émission finale de CO2 de l’ordre de 170 g/km parcouru.

Le raisonnement est simple : toute demande d’électricité nouvelle retarde d’autant la fermeture des centrales à charbon dans le monde. De plus, les défenseurs de la voiture électrique oublient qu’entre le Kwh produit à la centrale et celui chargé dans la batterie de la voiture, il y a des pertes générées par le transport de l’électricité et qu’entre le Kwh qui sort de la batterie et celui qui actionne les roues de la voiture, le moteur électrique n’a pas non plus un rendement de 100%. Ce qui pourrait porter l’émission finale de la voiture électrique à plus de 200 g CO2/km !

Loin d’un futur énergétique soutenable

Paradoxalement, un récent rapport [6] commandé au consultant CE Delft par Greenpeace et d’autres associations con- firme les deux points de vue qui précèdent. Le passage à la voiture électrique pourrait conduire à une réduction de la production de CO2 si certaines conditions étaient réunies. La condition principale est de s’assurer que l’énergie électrique stockée dans les batteries des voitures électriques soit d’origine renouvelable. Et Greenpeace de plaider pour « un réseau électrique intelligent pour garantir que les véhicules fassent le plein d’énergie renouvelable. A contrario, brancher des milliers de véhicules électriques non équipés d’un système de compteur intelligent sur le réseau électrique actuel conduirait à une situation de chaos. Cela augmenterait la demande d’électricité d’origine nucléaire et fossile (charbon) et nous entraînerait loin d’un futur énergétique soutenable ». Idéalement, les batteries ne devraient se recharger que lorsqu’un surplus d’électricité — de préférence renouvelable, comme le solaire ou l’éolien — est présent sur le réseau. On en est loin...

Loin de favoriser le remplacement des centrales les plus polluantes par des moyens de production basés sur des énergies renouvelables, la voiture électrique risque donc de maintenir ces centrales les plus polluantes pour de nombreuses années ! Et de conforter les défenseurs de la production d’électricité nucléaire... [7]

Et le coût environnemental des batteries, rajouterez-vous ? A l’instar des déchets de la filière nucléaire, nos enfants s’en occuperont. La production en masse de batteries épuisera très vite toutes les réserves de lithium connues sur la terre ? Boh, on trouvera une nouvelle technologie...

Grâce à la politique de primes en faveur de la voiture électrique, l’Etat belge, comme la FEBIAC, est donc loin de faire sa révolution, et encore moins sa révolution copernicienne [8]. Le modèle géocentrique de la FEBIAC comme de l’Etat, c’est la voiture, horizon ultime de la liberté individuelle, source de plaisir infinie (surtout dans les embouteillages), véritable mythe entretenu par un puissant marketing faisant appel aux instincts les plus primaires du client. Reste à trouver le Copernic des temps modernes qui arrivera à convaincre l’humanité d’un nouveau modèle : celui du bannissement de la voiture de l’imaginaire individuel et collectif.


[1« Le moteur diesel : une technologie d’avenir », Febiac, novembre 2005.

[2« Voiture électrique : l’avenir pour la Belgique ? », Febiac, Mai 2009

[3Cette défunte politique de subventionnement du propriétaire privé en recherche pour son bas de laine d’un rendement meilleur et moins risqué que l’imprévisible Bourse. Ou pire, celui qui, comme à l’âge d’or des marchés financiers (avant que la bulle internet n’éclate), empruntait pour acheter des actions de start-up improbables (dans le cas qui nous occupe, c’était pour acheter des panneaux), persuadés que faire de l’argent avec de l’argent en investissant dans l’économie virtuelle (dans ce cas-ci, c’est le new sustainable deal)serait sans conséquence sociale.

[4www.terra-economica.info/ pour-ou-contre-la-voiture.html

[5Pour faire court, le kWh est une mesure de la force motrice qui fait avancer la voiture.

[6Development of policy recommendations to harvest the potential of electric vehicles, CE Delft, janvier 2010.

[7Voir article d’Erwan Marjo.

[8Pour rappel : la révolution copernicienne nomme la transformation du monde qui a accompagné le changement de représentation de l’univers d’un modèle géocentrique au modèle héliocentrique. Une révolution qui se fit entre le XVIe et le XVIIIe siècle et qui modifia également profondément les champs philo- sophiques et sociaux.

Le tout électrique, un secteur bien branché ?