Les pouvoirs publics disent que l’objectif du Contrat de quartier Marolles est de lutter contre la sablonisation et la gentrification dans le périmètre. S’ils sont sincères, alors au boulot ! Ils ont des leviers à leur disposition pour éviter que leur opération ne provoque une hausse des loyers. En premier lieu : faire la transparence sur l’attribution de tous les logements publics dans le quartier, les mettre intégralement en location à des tarifs « sociaux », et en construire de nouveaux !
Les autorités ne manquent pas de le rappeler : il y a 27% de logement social dans les Marolles, et c’est davantage que dans beaucoup d’autres quartiers. On connaît l’argument : « pour éviter que les Marolles soient un ghetto pour pauvres, il faut y introduire plus de mixité. » Belle affaire, cette mixité… On revitalise en son nom les quartiers populaires de Bruxelles en y attirant des ménages qui, par leurs revenus, offrent un retour fiscal important à la commune. Mais on ne se revendique jamais de cette même mixité pour permettre à des ménages précaires de s’installer dans des quartiers huppés.
Contrat de quartier = gentrification
À Bruxelles, la crise du logement touche une population bien plus large que les quelque 40 000 personnes en attente d’un logement social : plus de la moitié des habitants de la région seraient dans les conditions d’octroi d’un logement social. Cette proportion est encore plus importante dans les Marolles où de nombreux ménages précarisés ont du mal à trouver un logement à la hauteur de leurs revenus. C’est le cas de parents ne trouvant pas de logement abordable assez grand pour héberger leur famille (dans le quartier, la part de logements sociaux de plus de 3 chambres est l’une des plus basses de la région, et de nombreuses familles attendent une dizaine d’année pour une mutation), de jeunes Marolliens quittant le domicile de leurs parents et devant se résoudre à se loger ailleurs dans Bruxelles, de personnes à mobilité réduite ne trouvant pas de logement adapté à leur situation et de combien de locataires habitant dans des logements dont l’état et la taille sont inversement proportionnels au loyer…
La question du logement est fondamentale dans un Contrat de quartier. Car en embellissant un quartier (en rénovant l’espace public, en investissant dans des projets socio-économiques…), la revitalisation urbaine a aussi pour effet de pousser les loyers vers le haut. Ainsi, les politiques visant officiellement à améliorer le cadre de vie des habitants les plus démunis ne leur bénéficient pas, à moins que l’opération favorise la hausse de leurs revenus plutôt que celle de leurs loyers !
On ne se revendique jamais de cette même mixité pour permettre à des ménages précaires de s’installer dans des quartiers huppés.
Comment éviter une flambée des loyers ?
Pour éviter que ce problème d’accès au logement empire sous l’effet du Contrat de quartier, il existe une solution : augmenter fortement l’offre de logements publics à loyers sociaux et modérés.
Les Contrats de quartier prévoient toujours la construction ou la rénovation de logements. Depuis 1994, 1 722 logements ont été construits ou rénovés dans ce cadre à Bruxelles, soit une moyenne de 25 logements par programme (majoritairement des logements 2 chambres). Dans le cadre du Contrat de quartier Marolles, la Région (sur sa part du budget) impose à la Ville de trouver des partenaires pour construire ou rénover au moins 30 logements à caractère social – il semble que le CPAS propose d’en réaliser 20, à charge pour la Ville de s’occuper des 10 autres. Mais on ignore encore de quels types de logements il s’agira, pour quels types de ménages. Par ailleurs, la Ville pourrait réaliser d’autres opérations sur sa part du budget, sans avoir encore annoncé ses intentions. Dans tous les cas, ces 30 unités sont très insuffisantes.
Autre piste : s’attaquer aux logements vides. L’Union des locataires marollienne a recensé, en 2016, 60 immeubles vides dans les Marolles. Soit un bon potentiel pour la création de logements sur base de ce qui existe déjà et n’est pas utilisé ! Le Contrat de quartier pourrait être l’occasion de faire en sorte qu’ils soient remis sur le marché à des loyers à caractère social.
Une maîtrise foncière publique importante… mais opaque
La maîtrise foncière des pouvoirs publics est importante dans les Marolles : ensemble, la Régie foncière de la Ville de Bruxelles, le CPAS de Bruxelles et les propriétés communales disposent d’un impressionnant parc foncier et immobilier. Il y a des infrastructures (écoles, crèches, commissariat, hôpital, homes, centre d’entreprises, etc.), mais aussi beaucoup de logements. Le hic, c’est que ces organismes publics sortent de plus en plus souvent de leur rôle et s’alignent sur les tarifs du privé, voire se transforment partiellement en promoteurs immobiliers.
C’est clair dans le cas du CPAS de Bruxelles, qui opère une distinction nette entre la gestion de son patrimoine immobilier et foncier et sa mission de service public d’action sociale. Comme le confirme le site web Brudomo où le CPAS fait état de ses activités immobilières : vente, location, acquisition, développement immobilier, châteaux, commerces, parkings, bureaux, centres d’entreprises… et de nombreux logements « moyens », loués à des tarifs proches de ceux du marché privé. Il s’agit d’une grave dérive institutionnelle, car l’argent ainsi gagné n’est pas réinvesti dans ses missions sociales. C’est ce qu’a démontré une des rares études sur le sujet, réalisée en 2013 par le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH ). [1] Tordant le cou à un canard, l’étude des comptes du CPAS a montré que ses activités de promotion immobilière lui coûtent énormément et lui rapportent bien peu : « On assiste à une double dynamique : le CPAS construit, rénove, transforme sans relâche, mais il achète aussi de l’immobilier qui, à terme, subira le même sort. Donc de nouvelles dépenses à prévoir, de nouveaux moyens à affecter. De notre point de vue, cette politique-là n’est pas compatible avec la nature même d’un CPAS. Pour le moment d’ailleurs, la politique d’investissement du CPAS ne permet pas de générer des richesses qui pourraient profiter à l’ensemble de ses usagers. »
Cette politique de promotion immobilière qui ne bénéficie donc guère aux allocataires sociaux, ne profite pas plus à la majorité des Bruxellois – à qui ces logements sont inaccessibles. Pire : ils sont parfois subventionnés par la Région, officiellement pour être loués à des tarifs plafonnés ou « de type social » ! En effet, alors qu’une grande proportion des logements du CPAS (deux tiers de son parc locatif) et de la Régie foncière sont subventionnés par la Région, l’opacité règne sur leur attribution et sur les loyers réellement pratiqués – particulièrement dans le cas du CPAS qui fait régulièrement obstruction au contrôle de l’administration régionale sur les logements subventionnés. Selon le RBDH, au final seulement 13% des personnes isolées aidées par le CPAS ont accès à ses logements subventionnés. Et les subterfuges ne manquent pas pour contourner les règles et entretenir la confusion entre loyers « moyens » et loyers « modérés » : des opérateurs publics répercutent sur les locataires le coût de travaux trop élevés, réclament des charges tellement importantes qu’elles vident le sens de loyers « plafonnés », ou encore augmentent le loyer dès le premier changement de locataire – alors que tout logement subventionné est censé être loué à vie à un tarif conventionné…
Le dispositif le plus évident pour éviter une flambée des loyers serait leur encadrement.
Des loyers « sociaux » dans tous les logements publics, tout de suite !
De combien de logements publics parle-t-on ? Le CPAS n’a pas répondu à notre demande d’obtenir la liste de ses propriétés dans les Marolles et des loyers qu’il y pratique. La Régie foncière, elle, nous dit y posséder 223 logements – mais son site Internet en répertorie 370.
Et si on commençait par des bonnes pratiques ?
Premièrement, faire la lumière sur l’ensemble de ce parc immobilier public (CPAS , Régie foncière, propriétés communales…) : inventaire des propriétés, des éventuels bâtiments inoccupés, des logements, transparence sur les loyers et les revenus des locataires…
Ensuite : annonce publique du CPAS, de la Régie foncière et des propriétés communales, ensemble. Engagement ferme : chaque propriété de ce patrimoine, chaque nouvelle mise en location le sera à des loyers apparentés « sociaux », dans tout le périmètre et pendant toute la durée du Contrat de quartier, au minimum.
Voilà une mesure qui est à portée de main de la Ville et qui serait de nature à agir positivement contre la crise du logement et à avoir un peu d’effet régulateur sur le marché locatif privé.
Une mesure à prendre d’urgence, avant toute autre dans le Contrat de quartier.
Et l’encadrement des loyers ?
Le dispositif le plus évident pour éviter une flambée des loyers serait leur encadrement. D’autres pays que la Belgique développent des mesures de ce type, mais chez nous, les débats sur la question montrent la frilosité aigüe du monde politique à ne fût-ce que toucher à un cheveu du sacro-saint droit de propriété… même s’il est en contradiction flagrante avec le droit à l’habitat, dans un contexte où nombreux sont ceux qui ne savent plus se loger dans leur ville.
On pourrait toutefois imaginer qu’un Contrat de quartier implique d’office un dispositif contraignant de blocage des loyers privés, d’application pendant toute la durée et sur tout le périmètre du programme. Oui, mais sur quelle base légale ? Celle, quasi inexistante, de la Région ? La première mesure en la matière que le Gouvernement bruxellois s’apprête à rendre publique, dans les prochaines semaines, se borne à… publier une grille indicative des loyers de référence, selon un système de moyenne appliqué par quartiers. D’après une version de travail de cette grille que nous avons pu consulter, le loyer moyen dans les Marolles pour un appartement d’une chambre en mauvais état, est de 524 € ! Outre qu’elle n’aura aucun effet contraignant, cette grille risque de produire des effets pervers qui verraient des propriétaires peu scrupuleux augmenter leurs loyers s’ils sont en deçà du montant de référence. Vive le progrès.
Pétition : les Marolles doivent rester un quartier populaire ! C’est bien de rénover les Marolles… c’est encore mieux de pouvoir continuer à y habiter ! La Ville de Bruxelles et la Région de Bruxelles-Capitale lancent le « Contrat de quartier Marolles ». 30 millions d’euros seront investis dans la rénovation et « l’embellissement » du quartier. Cela peut être une bonne nouvelle à condition que des mesures fortes soient prises afin d’éviter que cela entraîne une hausse des loyers. Nous voulons :
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Gwenaël Breës
[1] « À qui bénéficient les logements du CPAS de la Ville de Bruxelles ? », juin 2013. À lire sur : www.rbdh-bbrow.be.