Marcel Lefèvre, 1912 – Chanson détournée par Lucie Spède, 1981.
[extraits]
Pitié pour un iguanodon :
le voici au temps du béton !
Trouvé jadis à Bernissart
à Bruxelles il est objet d’art
et voici ce cher vieux fossile
habitant notre grande ville.
Du Musée du Parc Léopold
il assiste à un beau guignol…
Pitié pour un iguanodon :
écoutez bien cette chanson
car ell’ dit aussi la pitié
des habitants de ce quartier.
Ouvriers, artistes, bourgeois,
immigrés ou bien Bruxellois,
écoutez chanter vos problèm’
dans Bruxelles la ville que j’aime.
Pitié pour un iguanodon
pitié pour nous, ses compagnons !
On nous menac’ d’une autoroute
pour sûr ce serait la déroute.
Si c’est pour donner du chambard,
merci : on a la rue Belliard,
ses autos crient jour et nuit
le long de ses maisons pourries.
Pitié pour un iguanodon
pitié pour nos pauvres maisons.
Il vaudrait mieux les retaper
qu’abattre ou nous exproprier.
Maisons de maîtres ou de bourgeois
méritent le respect, ma foi !
Sauvons-les avec les logis
des immigrés, des gagne-petit.
Pitié pour un iguanodon
noyé par les inondations.
Deux ou trois fois et chaque année
dans nos cav’ ou nos rez-de-chaussée
on se retrouv’ les patt’ au frais
dans nos demeur’ de la rue Gray.
Pas de travaux pour nous aider :
non, place au gros immobilier !
Pitié pour un iguanodon
souffrant sous l’règne de Blaton.
On nous écrase de buildings,
de CEE et d’Ammelinckx.
Même si ce n’est pas nécessair’
de l’espace pour les communautaires !
Des bureaux il en pousse partout
et nous, on n’se sent plus chez nous.
Pitié pour un iguanodon
qui en a marre des constructions.
Il aimerait mieux, c’est naturel,
garder un coeur à son Bruxelles.
Du coeur, des sourires, de l’entrain
et de l’herbe, bien plus qu’un brin.
Mais privé, public, l’promoteur
pense d’abord à faire son beurre…
Pitié pour vous caméléons
de politique, de construction.
Car nous pourrions ne plus élire,
plus réparer ni plus bâtir.
Sans nous, faut-il le préciser,
vous perdrez toute utilité.
Si vous n’écoutez pas nos voix,
vous les perdrez la prochain’ fois...
En 1981, à l’occasion de l’exposition Les habitants racontent, le Comité d’habitants d’Ixelles, qui habite le Quartier Leopold, détourne ce texte qui illustre ce qu’a dû vivre depuis 100 ans l’iguanodon du musée des Sciences naturelles : les pieds dans l’eau des inondations du Maelbeek, les extensions et promotions-béton, la pollution et le carcan des autoroutes urbaines…