Témoignages.
Il ne faut pas se leurrer, la vie dans le quartier n’est pas toujours simple, les diversités des origines, des cultures, des parcours de vie, des besoins et les difficultés sociales, les problèmes de logement, les maigres revenus créent des frottements, des tensions. si les solidarités sont là, les habitants doivent composer au quotidien avec une diversité de codes et de seuils de tolérance. Certains vivent cette diversité comme une contrainte ou pointent les clivages que cela crée entre les diverses communautés.
« J’ai un certain âge, j’ose plus beaucoup me pro-mener le soir. J’ose plus. Au fait, c’est pas ça. Par exemple, tu vas dire ‘je vais rentrer dans un café’. Quand tu rentres, c’est ou un café de roumains, ou un café de polonais, ou un café d’africains, ou un café d’arabes. Moi, c’est pas ce que j’ai connu quand je suis arrivé en Belgique. Parce que quand tu rentrais dans un café, il y avait une diversité. Il y avait un Turc, il y avait un Espagnol, il y avait une ambiance, on tenait l’un à l’autre. »
Homme belge d’origine marocaine de 56 ans
travaillant au marché des abattoirs
Certains marquent la différence entre assimilation et intégration.
« Moi je me dis que l’intégration ce n’est pas venir copier, l’intégration c’est respecter la loi et faire ce que tu sais bien que les autres font. Maintenant, il faut rester soi-même parce que moi ce n’est pas parce que je vais manger du camembert fromage que je suis intégré, non, moi je ne prends pas l’intégration comme ça, moi quand je descends dans la rue et qu’on me dise les poubelles il faut les descendre à 17 heures, je les descends à 17 heures pas avant 16. Après on me dit je ne dois pas jeter dans la rue, je ne vais pas jeter dans la rue. On me dit que l’enfant doit aller à l’école quand il a six ans et il doit aller à l’école quand il a six ans. Pour moi, c’est ça l’intégration. Pour moi il ne faut pas qu’on ne me dise, voilà il faut manger des moules frites parce que c’est le symbole de la Belgique, non moi je fais mon mafé, quand je veux causer avec mes frères, je cause avec mes frères mais quand même dans la rue, il faut qu’on respecte les lois. »
Travailleur dans le secteur des voitures
Les tensions provoquées par des perceptions et des usages différents du quartier se retrouvent autour du commerce illégal de drogue. Le quartier est en effet connu pour ses activités de deale.
« Mais même leurs parents, ils habitent le quartier. Surtout, il faut rien dire. Si t’as vu quelque chose, il faut rien dire. Il faut pas dire que j’ai vu ça, que celui-là il a fait ça, il a vendu. Il faut rien dire. »
Marocaine de 44 ans habitant
le quartier depuis 5 ans
Ils sont nombreux à trouver le quartier « trop bruyant, trop masculin, trop africain ». Ils souhaitent néanmoins rester dans le quartier en raison de sa centralité. C’est un prix à payer pour rester au centre-ville. D’autres jouent sur les deux tableaux, ont quitté le quartier mais y reviennent pour y travailler ou pour ses sociabilités, ses commerces, son marché…
« Je suis mieux là-bas, je suis chez moi, je suis avec mes enfants, je me sens mieux chez moi parce que ici, il y a des agressions, des bagarres, j’aime venir parler, passer un peu de temps mais je ne me sens pas à l’aise pour y habiter, c’est un manque qu’on vient retrouver ici mais c’est pas une raison pour venir vivre ici éternellement, je n’aime pas vivre ici surtout quand tu es avec les enfants, il n’a pas d’espace ou d’endroits pour les enfants. »
Nigérien travaillant dans le quartier
Aussi s’observe parfois un divorce entre le logement apprécié et le quartier dont on voudrait s’extraire. Mais nombreux sont ceux qui identifient l’articulation entre les nécessaires accommodements liés à un mélange de diversité et de précarité et l’opportunité de disposer d’un logement abordable.
« Dans ce quartier, moi j’aime bien le côté diversité parce que là, tu as la mosquée, à côté de cette mosquée, il y a une église, juste à côté il y a des restaurants marocains, j’aime la mixité moi, y a des Belges qui sont là pour travailler, des Africains. Les Belges ils viennent parce qu’ils ont des entreprises, y a des Belges qui ont des boucheries, des restaurants, des sociétés d’aciérie. Il y a un peu de tout dans le quartier. Le logement ne coûte pas cher, le prix est acceptable par rapport à d’autres quartiers. J’ai eu mon appartement facilement. Dans ce quartier j’aime bien aussi les produits africains ces produits, ils sont plus concentrés dans ce quartier. »
Ivoirien travaillant dans le commerce
de voitures d’occasion et vivant
depuis une petite dizaine d’années
dans le quartier
Ces dernières années, la cohabitation n’est plus seulement une question de coexistence à gérer avec les différentes vagues migratoires qui arrivent dans le quartier mais aussi une confrontation avec l’arrivée de nouvelles classes sociales. comme le souligne la chercheuse Muriel Sacco [1], la mixité sociale voulue par les pouvoirs publics « passe moins par une élévation du niveau de vie des habitants que par la dilution de la frange la plus pauvre, à la fois en densifiant le tissu résidentiel et en attirant des résidents disposants de revenus plus élevés. Cette orientation présente l’avantage de diminuer les nuisances liées au commerce de voitures d’occasion, mais elle n’est pas une médiation entre les différents intérêts en présence à l’échelle de la zone d’Heyvaert : ceux des habitants et ceux des commerçants de voitures. »
Les nouveaux arrivants plus aisés font l’objet de discours parfois courroucés.
« Ils (les nouveaux arrivants) ont aimé les appartements. Ils sont partis l’acheter. Maintenant, ils ne sortent plus de chez eux. Dès qu’ils arrivent, les voitures sont dans les garages. Ils ne disent bonjour à personne tellement qu’ils sont fâchés. »
Homme belge d’origine marocaine,
58 ans, commerçant indépendant
[1] M. SACCO, « Heyvaert au prisme des contrats de quartier anderlechtois : du commercial au résidentiel », Uzance, vol. 4, 2015.