Mathieu Sonck – 2 mai 2013
Inter-Environnement Bruxelles (IEB), le Brusselse Raad voor het Leefmilieu (Bral), le Mouvement Ouvrier Chrétien bruxellois (MOC Bruxelles) et le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’Habitat (RBDH) ont réagi à l’adoption en première lecture par le gouvernement bruxellois d’un arrêté relatif aux charges d’urbanisme imposées à l’occasion de la délivrance des permis d’urbanisme.
Le gouvernement bruxellois a récemment adopté en première lecture un arrêté relatif aux charges d’urbanisme imposées à l’occasion de la délivrance des permis d’urbanisme. Cet arrêté précise le principe des charges d’urbanisme déjà présent dans le Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire et étend son champ d’application, au-delà du bureau et des parkings commerciaux, aux logements, hôtels et commerces.
IEB, le Bral, le MOC Bruxelles et le RBDH tiennent à saluer le principe. Il est normal que des projets privés, dès lors qu’ils dépassent une certaine taille, contribuent au financement des besoins collectifs qu’ils génèrent, tels que des équipements de proximité (écoles, crèches) et des infrastructures de mobilité. Il est également normal qu’ils financent des logements sociaux ou conventionnés dès lors qu’une pression accrue sur le foncier bruxellois rend les politiques publiques de production de ce type de logements de plus en plus difficiles.
Cependant, le système tel qu’imaginé par le gouvernement risque bien de se révéler inefficace à bien des égards. D’abord parce qu’il confond le principe des charges d’urbanisme avec celui de la captation des plus-values, ensuite parce que le niveau des charges proposé n’est pas à la hauteur des besoins collectifs générés et enfin parce qu’il se révèle incapable d’augmenter sensiblement l’offre de logements sociaux dans le Région.
Une confusion qui crée une solide instabilité juridique
À l’annonce de son intention de modifier l’affectation de certaines zones d’industrie urbaine pour y permettre le logement [1], le gouvernement avait promis de l’accompagner de mesures permettant la captation des plus-values générées par ces changements parfois providentiels d’affectation, ceci notamment pour éviter la spéculation dans les zones concernées. Le principe d’une telle mesure existe déjà dans le COBAT, mais seulement pour les moins-values en indemnisant les propriétaires qui verraient la valeur de leur bien diminuer suite à un changement d’affectation. Elle existe également dans la législation flamande depuis plusieurs années et est en projet dans la législation wallonne.
Le principe de la captation des plus-values se distingue du système des charges d’urbanisme principalement par son objectif (taxer la plus-value) ainsi que par les événements générateurs de son application. La captation des plus-values est par exemple justifiée lorsque les pouvoirs publics modifient une affectation du sol ou une réglementation et que celle-ci génère du jour au lendemain une plus-value pour certains propriétaires, ou plus simplement à l’occasion d’un changement de propriétaire.
Les documents préparatoires à l’élaboration de l’arrêté du gouvernement ont été mis à la disposition de la société civile. Leur analyse amène à penser que le gouvernement a eu la volonté de substituer le principe des charges d’urbanisme à celui de de la captation des plus-values.
Cette confusion crée une incertitude juridique qui pourrait mettre à mal la mise en application de l’arrêté sur les charges d’urbanisme, pourtant bien nécessaire.
Des charges largement insuffisantes pour le bureau...
Le projet d’arrêté prévoit de percevoir des charges d’urbanisme sur tout nouveau projet de bureaux de plus de 500 m² et en a fixé le montant à 125 euros/m². Le problème est que ce chiffre n’est pas basé sur les besoins générés par ce genre de projet, largement supérieurs (rien qu’en matière de mobilité, les frais supportés par les pouvoirs publics pour tout nouvel utilisateur de la STIB justifient un doublement de ce montant). Le chiffre de 125€/m² semble plutôt avoir été fixé dans le souci de ne pas mettre en péril les plantureux bénéfices des promoteurs. Une décision prise sur base d’une étude commandée au bureau DTZ, une société multinationale spécialisée dans les transactions immobilières.
Imaginons que le Ministre fédéral des Finances décidait de refondre le système fiscal de l’impôt sur les personnes physiques sur base exclusive d’une étude de la FEB ou d’un syndicat de travailleurs, tout le monde crierait au fou ! C’est pourtant ce qui s’est produit dans le cadre de l’élaboration de cet arrêté. A l’analyse, l’étude de DTZ base ses calculs sur des hypothèses qui n’ont rien à voir avec les besoins générés par les projets mais tout à voir avec le maintien, coûte que coûte des marges bénéficiaires des promoteurs, par ailleurs largement sous-évaluées. En plus, selon la note de DTZ, il convient de respecter « l’esprit des charges d’urbanisme, le montant de celles-ci [devant] être uniforme sur la RBC ». Cette hypothèse non étayée permet un nivellement par le bas des charges, partant du principe que la charge perçue ne peut dépasser l’incidence foncière la plus faible sur le marché.
Il suffit de confronter ces raisonnements à la réalité de quelques expériences de marché récentes, comme celle du projet TREBEL, un immeuble de bureaux situé rue Belliard et destiné au Parlement européen, pour comprendre que les projets de bureau qui voient encore le jour dans un marché aussi saturé que le marché bruxellois [2] sont parfaitement à même de contribuer dans une plus juste mesure aux besoins collectifs qu’ils génèrent. TREBEL, qui génère une marge de plus de 50% (chiffre basé sur le modèle de calcul de DTZ) mérite un taux de charges d’urbanisme largement plus élevé que celui suggéré par DTZ et un peu rapidement accepté par le Gouvernement.
... mais également pour le logement !
Les charges d’urbanisme sur le logement sont également insuffisantes. Le système imaginé peut sembler à première mesure assez ingénieux : il laisse au promoteur la possibilité de proposer lui-même l’usage des charges d’urbanisme générées par son projet : moyennant la réalisation de 15% de logements conventionnés (vendus ou loués à des conditions avantageuses par rapport au prix du marché, fixées par arrêté aux environs de 1 900€/m²), il peut se voir exempté de la charge d’urbanisme fixée à 50€/m².
Las, ce montant est à nouveau basé sur la nécessaire rentabilité du segment « standard » du marché du logement, soit selon l’étude DTZ, des logements vendus autour de 2 500€/m² hors TVA. Il convient donc d’évaluer l’efficacité de la mesure dans ce monde bien réel plutôt que dans celui des bisounours, où les promoteurs décideraient tout d’un coup de ne construire que du logement « standard » et de vendre ces logements à 25% en dessous des prix du marché pour éviter une charge d’urbanisme de seulement 50€/m².
Et là, on se rend malheureusement compte que le promoteur à toujours intérêt à payer les faibles charges en numéraire...
Exit le logement social ?
Cherchez le mot « logement social » ou même « logement à caractère social » dans l’arrêté, vous ne le trouverez que dans les considérants et définitions liminaires... il disparaît des mesures concrètes et contraignantes. On l’a vu, la possibilité laissée aux promoteurs d’inclure 15% de logements conventionnés dans leurs projets est toute théorique, et elle ne concerne que du logement conventionné, tel que défini dans l’ordonnance du 28 janvier 2010 organique de la rénovation urbaine et son arrêté d’application du 27 mai 2010. Ces deux textes distinguant très explicitement les logements conventionné et social, on peut en conclure que le logement social a été simplement oublié ! [3]
À moins bien sûr que l’on ne s’inspire de la très récente collaboration entre la Région bruxelloise, la Commune d’Ixelles et les associations l’ARAU, le BRAL et IEB qui a permis la cession à titre gratuit de 15% en surface de logements sociaux (pour deux tiers) et moyens (pour le reste) à titre de charges d’urbanisme sur un projet d’environ 10 000m² de logements de standing [4]. Si l’on devait valoriser au prix du marché cette concession de Prowinko, le promoteur du projet, elle correspondrait à une charge d’urbanisme de près de 400€/m². Voilà de quoi faire réfléchir le gouvernement qui propose un royal 50€/m²...
Conclusions
IEB, le Bral, le MOC Bruxelles et le RBDH demandent une refonte du texte qui ne doit consacrer que le principe des charges d’urbanisme, à un niveau en proportion avec les besoins générés par les projets.
Pour ce qui concerne le logement, les signataires demandent au gouvernement de constater que l’incidence d’un projet de logements de luxe sur la valeur du foncier environnant, et donc sur la capacité qu’ont les pouvoirs publics d’offrir des logements décents à la plupart des Bruxellois qui éprouvent de plus en plus de difficultés à se loger sur le marché privé, est sensiblement supérieure à celle des logements dits « standards ».
Cette incidence est d’autant plus grande quand elle concerne un quartier populaire. Ce constat justifie donc des charges d’urbanisme largement supérieures à 50 euros par m² et ouvre la voie à une territorialisation des charges d’urbanisme, en fonction des incidences réelles (y compris sur le plan social) des projets sur ces territoires.
Pour ce qui concerne les montants de charges admissibles pour le logement, sur base du même modèle de calcul que DTZ, on peut constater que des charges d’urbanisme de 400€/m² appliquées à un projet résidentiel de luxe avec une incidence foncière de 300€/m² (une moyenne réaliste pour les quartiers populaires) génère encore une marge confortable de plus de 30% pour le promoteur ! Ce n’est qu’à ce niveau de charges que l’on pourra réellement espérer une réelle contribution des projets privés aux besoins qu’ils engendrent et de contribuer à l’engagement du gouvernement à atteindre rapidement un quota de 15% de logements publics à finalité sociale en Région bruxelloise.
Pour la construction de bureau, l’expérience récente du projet TREBEL permet d’envisager sans hésitation le même niveau de charges (soit 400€/m²), justifiées cette fois-ci par les investissements pharaoniques (et pas seulement en termes de mobilité…) que nécessite toute concentration de bureaux supplémentaires.
Par ailleurs, les signataires suggèrent que les montants fixés soient soumis à l’indexation et qu’une part significative des charges d’urbanisme s’impose par la cession aux pouvoirs publics de logements sociaux situés au sein même des projets immobiliers.
Enfin, les signataires réclament la mise en œuvre rapide d’un mécanisme de taxation des plus-values visant à empêcher les comportements spéculatifs de tout type. Ce mécanisme est complémentaire à celui des charges d’urbanisme et ne doit en aucun cas se substituer à celui-ci. Les adoptions définitives du PRAS démographique et du RRUZ devront être conditionnées à ce mécanisme.
[1] Via une modification du Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS) récemment approuvée en seconde lecture.
[2] Lire le cahier n°31 de l’Observatoire des bureaux (AATL, SDRB - 2013)
[3] Notons tout de même, une option, non contraignante laissée au porteur de projet, via l’art10, §2, alinéa 2 du projet d’arrêté qui lui donne la possibilité de proposer la cession à titre gratuit de logements aux opérateurs publics ou à une AIS. On voit mal ce qui pourrait l’inciter à faire cela dès lors qu’il a toujours la possibilité de payer de faibles charges en numéraire...
[4] Lire le communiqué de presse du 22 mars 2013 : « Le projet Toison d’Or comprendra 15% de logement public à finalité sociale ».