Le Plan pour le développement international de Bruxelles (PDI) s’est donné comme but de trouver pour Bruxelles une image de marque. Que se cache-t-il derrière cette opération de marketing qui vise à arracher le consentement des Bruxellois pour utiliser cette marque ?
BEM 218, mars 2009
Pour faire de Bruxelles un bastion de l’industrie touristique, nos édiles s’entourent d’un certain type d’experts.
Bruxelles, la marque qui tue la mort ! Et qui dit marque, se pose immédiatement la question de savoir qui en est le propriétaire. Il est donc très important qu’une machine culturelle se mette en marche.
Une machine qui vise à arracher le consentement des Bruxellois pour utiliser cette marque, d’une manière ou d’une autre. Aucun « branding » n’existe sans adhésion locale ! Et chaque « Mastermarketeer » le sait. Le Plan pour le développement international de cette ville (PDI) crée un cadre idéal pour voir de plus près si tout cela est bien vrai. Inutile d’attendre le consensus pour démarrer. Nous lisons, au premier décembre 2008 sur le site du PDI : « Suite à un marché public lancé à l’échelle européenne, CoManaging, un bureau français spécialisé dans l’identité des territoires, associé à Duval Guillaume, une agence de publicité bruxelloise, a été désigné pour réaliser cette « étude identitaire » de la Région. »
CoManaging, un bureau de marketing bel et bien français, aime faire usage de la notion gauchiste, devenue quelque peu désuète de « recherche-action ». Cette agence nous promet au moins 400 pages de Powerpoint, plus un court résumé pour les présentations publiques.
Une synthèse opérationnelle de... quelques pages couronnera la première étape. 35 thèmes seront exploités, allant de la psychologie de la couleur et du paysage, le caractère distinctif des personnalités et des monuments du passé et du présent, aux concepts qui traversent l’architecture intérieure du territoire bruxellois (sic).
Le point culminant de cette entreprise intensive et presque scientifique sera une évaluation finale par CoManaging même, de la réalité, de la force, du caractère et de la structure de notre identité territoriale. Poitou-Charentes, Meurthe et Moselle, Flandre-Dunkerque, Champagne-Ardenne, Normandie, Côte d’Azur, Dougga (site romain en Tunisie), Charleroi Porte Ouest... ont ainsi été passés au crible dans le passé. Un palmarès qui laisse pantois. À Bruxelles, CoManaging s’évertue à trouver chaque jour une nouveauté pour alimenter un blog identitaire : de petits espaces verts, des chapelles dédiées à la vierge Marie, un film réalisé pour le compte de l’État lors du millénaire de Bruxelles (1979)... font ainsi partie de la panoplie d’« identités » qui « constituent notre richesse urbaine ». Aussi à noter : la Zinneke Parade est représentée par une image tellement serrée que l’on se croirait au carnaval de Venise. Il s’agit sans aucun doute d’un regard sur la multiculturalité qui trouve son expression condensée... dans un gros plan sur un masque.
Cela promet pour l’avenir (de Bruxelles, et non de la Zinneke Parade). Bien sûr, les « experts » se feront un plaisir de pouvoir réajuster ce type d’images visionnaires quelque peu étroites. Le questionnaire de l’audit identitaire qui leur est adressé reprend d’ailleurs en 50 points les concepts déjà mentionnés : la couleur (« Pour vous, quelles sont les couleurs et les matières naturelles, végétales, textiles, matériaux de construction, etc. qui évoquent le plus la Région de Bruxelles-Capitale ? ») ; le territoire (« De quelle façon ce territoire influence-t-il le mode de vie de ses habitants ? »), l’ Europe, l’argent ;le tourisme, et ainsi de suite (« Nous vous rappelons que vous pouvez répondre, si vous le souhaitez, uniquement aux questions qui concernent votre propre domaine de compétence »). Le blog en soi se porte donc garant du parfum participatif dans lequel la Région adore se lover. Pour chaque nouvelle histoire et chaque nouvelle image qu’un certain « admin » (le webmaster, sans doute) a chargées sur le site, on vous demande délicatement si vous aussi vous connaissez un tel endroit, une telle histoire.
Cette liste et le nombre de hits feront partie du rapport établi par CoManaging. Participatif ? Le blog ne semble être accompagné d’aucune campagne publicitaire. Les rares fans y émettent peu ou pas de commentaires. Mais interactif ! Certes... vous pouvez, pour ainsi dire, cliquer partout ! « If Brussels was a color, what would it be ? Would it be yellow ? Like the iris flower on the Brussels Capital Region flag or like tramways and busses used to be. Would it be green ? Like the many forests and parks you can find around the city, like the chestnut tree leaves along streets, avenues and boulevards during summer. Would it be grey ? Like the weather, the clouds, the pavement, facades, concrete, trams, busses and metro trains ? Would it be a mix ? Representing the multicultural richness of the city ? What color would you give to it ? Be the first to comment ! »
De manière aussi enfantine, les versions linguistiques du site diffèrent d’une langue à l’autre. L’Europe figure en tête de liste sur le blog anglais. C’est ici qu’on trouve de la nature verte, se référant vaguement aux environs de Waterloo. Pas de photo en ce qui concerne la Zinneke Parade. No way ! , la jeunesse d’origine marocaine pourrait y figurer ! À Bruxelles, il ne pleut que sur la partie en langue française du site du PDI. Un fritkot ne fait des yeux doux qu’à la Communauté flamande. Voilà donc le caractère multilingue de cette ville clairement représenté ! Charles Picqué y a également donné un peu du sien : « Avec le PDI, Bruxelles se donne enfin les moyens de ses ambitions, pour répondre au double défi d’un monde globalisé : garantir le bien-être de ses habitants et s’élever à la place qu’elle mérite. » Mais où se situe ce niveau bien mérité ? Le mystère reste entier. Et que dire de cette coquille : dans la version néerlandophone, « garantir le bien-être de ses habitants » s’est malencontreusement traduit en « sécuriser les biens et les avoirs des Bruxellois ».
Bien-être et avoirs... un monde nous sépare. (Suggestion pour notre pauvre « admin » : « En Région de Bruxelles-Capitale, préféreriez-vous la sécurisation de votre bien-être ou la garantie de voir prospérer vos avoirs ? Cochez votre choix, l’enquête demeure anonyme »). Mais, attention, les amis, là où CoManaging tente encore d’accroître sa crédibilité scientifique en organisant des séminaires et en imprimant de beaux livres sur papier glacé, leur partenaire Duval Guillaume, s’avère être maître dans ce type de « guerilla-marketing » qui sait si bien faire du neuf avec du vieux.
Le bureau de publicité Duval Guillaume, identifié à tort sur le site du PDI comme une agence bruxel- loise, s’est vu confier le développement de la com- munication et donc aussi des images. Agence bruxelloise ? Le plus grand groupe de médias de Belgique, où près de 200 personnes figurent sur la liste des employés, fait partie du troisième plus grand groupe publicitaire mondial, Publicis, et ne dispose que de très petites succursales, de vraiment très très petites tentacules minuscules, à New York, Anvers, Bruxelles et Paris. Duval Guillaume a réalisé en 2005 un chiffre d’affaires supérieur de seulement 17 % à l’année précédente : 20,7 millions d’euros. Publicis Groupe, qui est dirigé par le grand frère Maurice Levy, a remporté en 2005 un bénéfice net de 386 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de 4,127 milliards d’eu- ros. Le groupe avait 7 000 employés à cette époque, il en compte aujourd’hui 39 000. Publicis Groupe est coté en bourse et présent dans 104 pays. Il est dès lors peu surprenant que les stratégies de mar- keting ciblent les populations ayant un fort pou- voir d’achat. Regardez les opportunités au Japon, nous dit André Duval : 80 % de la population active fait partie des classes moyennes. Un rêve pour chaque marketeer. Mais qui sont-ils, ces marke- teers ? Depuis 1999, il existe une fondation néer- landophone, Stichting Marketing, regroupant 1 500 membres. Séminaires et conférences, livres, fondations et VIP’s sont censés augmenter, aussi en Belgique, l’aura scientifique et la soi-disant importance des grands principes du marketing.
Et qui trouvons-nous, parmi bien d’autres, dans la liste de ses membres ? Yves Leterme, ex-Premier ministre, Patrick Janssens, Bourgmestre d’An- vers, Piet Jaspaert, Président du Jury d’éthique pour les pratiques en matière de publicité, Yves Delacollette, CEO et Country Manager, Deutsche Bank Belgium, Luk Temmerman, Strategic Intelligence Director, Groupe Suez, Vincent Clippele, Nestlé Benelux, Baudouin Meunier, Membre du Comité Executif, De Post/La Poste, Guillaume Van der Stighelen, Co-fondateur, Guillaume Duval... Guillaume Van der Stighelen a été sélectionné, à partir de cet extrait de liste de Mastermarketeers nationaux, comme invité à la conférence d’automne du marketing gouver- nemental (Gand, 19 novembre 2008). À cette belle occasion, La Gazet van Antwerpen reproduisit le commentaire suivant : « Chaque ville portuaire doit parler du monde, mais elle se doit aussi de réfléchir sur ce qu’elle peut signifier pour le monde. Anvers est trop souvent décrite dans un contexte flamand ou belge et à travers des prédicats amèrement économiques tels que « le cœur battant de notre économie »... Anvers devrait se défaire de ce contexte trop étroitement flamand et se confronter directement et en tant que concurrent aux villes telles que Rotterdam, New York, Liverpool et Singapour. Sinon Anvers restera une petite ville de province ». Nous voilà de plus en plus curieux de savoir en quoi consistera le discours sur Bruxelles. Et qui, mis à part les membres sages et ruisselants de bonté de l’équipe de CoManaging, a été admis dans la maison de maître de la Région de Bruxelles-Capitale ?
Duval Guillaume est une agence bravache.
Cela est suffisamment mis en images à travers les campagnes publicitaires orchestrées par ce bureau : des mâles qui, de dos font pipi dans les prés, pètent sous la douche, ou ne portent jamais de leur vie un casque de sécurité, etc. Les muscles, les motos, les tatouages... aux mains de ces professionnels de la communication des inter- mondes, deviennent ainsi les traits distinctifs d’une classe performante, mâle et moyenne.
Du sexisme à l’état pur. C’est exactement ce sur quoi est bâtie l’image de marque de l’entité Duval Guillaume. Le nombre de campagnes publici- taires mises en boîte par ces maîtres du cliché, évoquant des T-shirts humides, de gros seins, du cuir et des Vamps
(im) pénétrables... est infernal à comptabiliser. À partir de leur boîte de pub totally over-sext, à portée de leur Stella, ils extériorisent leur vision du monde supermacho. Lorsqu’un homme ne doit plus courir derrière les femmes parce qu’elles viennent toutes seules, c’est cela que j’appelle le succès, dixit Guillaume. Ce gang de phallocrates organisés adore aussi particulièrement pervertir tout type de mobilier urbain en utilitaire publicitaire. L’espace public n’offre-t-il pas de nombreuses opportunités à cet égard ? Fontaines, clôtures, panneaux de signalisation, grilles, etc., se transforment tôt ou tard en éléments porteurs de réclames en tous genres. Atomium attention !
C’est ainsi que Monsieur Guillaume ose décrire son art : vous gagnez votre vie en écrivant des petits textes et en dessinant... tout ceci est très agréable... Pour cela, vous avez besoin que coule dans vos veines... le sang d’un mercenaire. Nous allons donc immédiatement revisiter une de ces présentations Powerpoint qui, faisant part d’une série de performances mémorables, a poli- ment été applaudie lors du congrès automnal du marketing gouvernemental : « Ville d’Art et de Culture, une ardeur d’avance, la capitale du bon goût, Plus ouverte, la perle du pays, un havre de verdure et de paix, Je kan de wereld zien in, Een Stad Vooruit, une ville en avant, Stroomopwaarts, À contre-courant, Bruisende stad, Stad om te zoenen, Stad in volle vaart, Parel van het pajottenland, Het stad begint in... Eeuwenoud, springlevend, I AM, Zot van A, Waar Vlamingen thuis zijn, De oudste, de stoutste en de wijste der steden, Koester je toekomst, Verrassend veelzijdig, Stad apart, c’est beau »... Les vaccinés professionnels du marketing, CoManaging et Duval Guillaume peuvent, parmi les nombreuses autres œuvres qu’ils ont sur le feu, enfin épingler Bruxelles sur leur mappemonde.
Le panache paternaliste et participatif des uns et le sexisme des autres ont su convaincre le gouvernement régional de Bruxelles-Capitale. C’est à travers une alliance avec ce duo, que le gouvernement bruxellois enrichira sa stratégie de marketing en termes de tourisme, d’investissement international et de climat favorable aux entreprises. L’image que ces professionnels accouplés vont faire de la ville vise aussi à créer notre consentement pour faire de Bruxelles une véritable marque. Picqué enrobe le message comme suit : « Une analyse précise et profonde de l’identité de notre Région est en effet le préalable indis- pensable à toute politique de communication et de promo- tion, qu’elle s’adresse au public interne ou international » [1].
Ce public interne, c’est nous en tant qu’objets directs. Car, si de grandes parties de ce public ne sont pas convaincues, le succès de la campagne sera réduit à néant. Le fait qu’il y ait eu une sorte de concours à l’échelle européenne, dont les cri- tères de sélection sont volontairement restés dans le flou, ne donne aucune garantie envers la population bruxelloise. Elle fait trop partie de la balle qui doit se jouer.
[1] Déclaration de politique générale 2008-9, p. 9.