Depuis le tournant néo-libéral des années 1990, les politiques touristiques visent une croissance de cette activité, notamment via la création de grandes infrastructures, de grands événements et le développement d’une image de marque spécifique. Si la fréquentation touristique bruxelloise reste sans commune mesure avec d’autres métropoles, elle n’est cependant pas sans conséquences sociales ni environnementales.
En dépit de quelques replis temporaires, la fréquentation touristique de la Région de Bruxelles-Capitale a fortement augmenté au cours des 25 dernières années. Entre 1990 et 2019, en tenant compte de l’ensemble des hébergements commerciaux, hors locations meublées via des plateformes, le nombre annuel de nuitées est passé de 3 à 7 millions 1, soit une multiplication par 2,4. Si la crise sanitaire liée au Covid-19 a ensuite entraîné une diminution brutale de la fréquentation, celle-ci fut finalement de courte durée : dès 2023, la Région retrouvait un volume de nuitées comparable à celui de 2019.
Cette croissance a été plus forte à Bruxelles que dans le reste de la Belgique, polarisant aujourd’hui près de 20 % des nuitées enregistrées en Belgique, contre 11 % en 1990. À ce titre, elle s’inscrit dans le mouvement plus large de croissance soutenue du tourisme urbain à l’échelle européenne observée depuis au moins un quart de siècle. Le phénomène est toutefois moins spectaculaire à Bruxelles que dans d’autres métropoles ou villes dotées d’un riche patrimoine historique.
Entre 1990 et 2024, en se limitant aux hébergements commerciaux hors locations meublées, les nuitées ont été multipliées par 6 à Barcelone, 4,7 à Berlin, 4,2 à Lisbonne, 4 à Prague, 3,7 à Copenhague ou 3,6 à Venise [1]. Il en résulte que Bruxelles constitue une ville touristique de second plan à l’échelle européenne, avec une fréquentation très inférieure à celle de Paris ou de Londres – qui dépassent les 35 millions de nuitées annuelles – mais aussi de Rome (28 millions de nuitées), Madrid et Barcelone (20 millions chacune).
De manière encore plus significative, le nombre de nuitées annuelles par habitant·e atteint à peine 5 à Bruxelles, là où il dépasse 30 à Venise, 20 à Lisbonne et est compris entre 17 et 11 à Amsterdam, Paris, Prague, Barcelone ou Copenhague. Bruxelles fait donc l’objet d’une fréquentation moins massive, en termes absolu et relatif, que de nombreuses villes européennes. Dans la littérature scientifique et dans la presse internationale, elle est d’ailleurs rarement citée comme destination du fameux « surtourisme » qui est sur toutes les lèvres aujourd’hui. Pour autant, pouvons-nous considérer que Bruxelles constitue une sorte d’exception miraculeuse, dans laquelle le développement du tourisme se serait réalisé de manière harmonieuse depuis deux ou trois décennies, sans provoquer d’effets délétères sur les résident·es, l’espace bâti ou l’environnement ? Ce n’est certainement pas le cas, comme tente de l’expliquer cet article.
Sur le plan quantitatif, tout d’abord, il faut garder à l’esprit que l’essentiel des centres d’intérêt, de l’offre de services touristiques et de la fréquentation est concentrée dans le Pentagone, en particulier autour de l’Îlot Sacré, des boulevards centraux et du Mont des Arts
En ce sens, le Pentagone constitue bel et bien un Central Tourist District (CTD), au sens « d’espace des pratiques touristiques affirmées, qui cumule lieux de visite, de déambulation, d’achat, de restauration et, pour partie, de résidence » [2]. Comme d’autres CTD, celui de Bruxelles affirme moins son identité par un paysage spécifique (comme celui des tours de bureaux d’un Central Business District) que par la présence significative des touristes.
Dans les guides touristiques papier, par exemple, le Pentagone occupe plus de 60 % des pages consacrées à la description des lieux de visite. De façon tout aussi symptomatique, sur la quarantaine de points d’arrêt des bus Hop On Hop Off de la société CitySightseeing Brussels, 25 (62 %) sont localisés dans le Pentagone, principalement à proximité du Sablon, du Parc de Bruxelles, de la Grand-Place et de la Place de la Monnaie.
L’offre culturelle présente également un haut degré de concentration spatiale. À titre d’exemple, près d’un tiers des musées bruxellois sont établis dans le Pentagone, majoritairement entre le Mont des Arts et la Grand-Place. Si cette répartition est partiellement un héritage de la logique d’implantation centrale des musées « nationaux » qui a prévalu au xixe siècle, elle traduit également une tendance contemporaine. En effet, la majorité des nouveaux musées ouverts à Bruxelles depuis 2000 se trouvent dans le Pentagone. Enfin, les hébergements touristiques, qu’il s’agisse d’hôtels et d’appart-hôtels ou de locations meublées, sont nettement plus présents dans le Pentagone que dans le reste de la Région, avec environ 40 % des capacités pour les premiers et 25 % pour les secondes.
Il en résulte qu’à lui seul, le Pentagone accueille environ la moitié des nuitées touristiques commerciales à Bruxelles – hors locations meublées –, sur un territoire de moins de 5 km2 qui compte un peu plus de 50 000 habitant·es. Concrètement cela signifie qu’en moyenne, environ 10 000 touristes (contre 50 000 habitant·es) dorment dans le Pentagone chaque nuit et que plusieurs milliers de plus s’y promènent chaque jour, sans pour autant y être hébergé·es.
Le développement touristique à Bruxelles et en Europe depuis les années 1990 est indissociable du passage du capitalisme fordiste au capitalisme néolibéral, et des effets sociaux et environnementaux qui en résultent. À cet égard, deux tendances fortes doivent être mises en avant. D’une part, la plupart des projets touristiques portés de près ou de loin par les pouvoirs publics locaux et/ou régionaux s’inscrivent dans une politique dont l’objectif principal consiste à attirer un potentiel économique extérieur, faisant fi, ou presque, des besoins des habitant·es. D’autre part, l’offre touristique bruxelloise a été sous l’emprise croissante de nouveaux acteurs de l’immobilier touristique, eux-mêmes de plus en plus dépendants d’actionnaires institutionnels. Pour les uns comme pour les autres, les externalités sociales et environnementales de leurs activités ne comptent pas, ou si peu.
Si Bruxelles a accueilli à plusieurs reprises de grands événements depuis l’indépendance de la Belgique, notamment l’exposition internationale de 1897 (Parc du Cinquantenaire) et les expositions universelles de 1910 (quartier du Solbosch), 1935 et 1958 (plateau du Heysel) et que la Ville de Bruxelles a posé sa candidature pour l’organisation des Jeux olympiques d’été de 1960 et 1964, de nouvelles ambitions voient le jour au début des années 1990. À l’époque, José Vandevoorde, architecte et professeur d’urbanisme à l’Université libre de Bruxelles, jette les bases d’une candidature olympique bruxelloise, pour laquelle un stade serait construit sur le site de Tour et Taxis, un palais des sports dans le quartier des abattoirs et un village olympique à Molenbeek. À travers ce projet se dessine déjà à l’époque l’ambition de faire place nette dans les quartiers populaires de l’ouest de Bruxelles, en y transformant en profondeur l’habitat, les équipements et l’espace public afin d’y accueillir des populations socialement favorisées.
Un autre architecte propose un projet concurrent, qui fait la part belle à un autre site bien connu : les 80 hectares de la gare de Schaerbeek-Formation. Probablement influencé par ces propositions, un député régional libéral ira même jusqu’à déposer une proposition de résolution devant le Parlement de la Région visant à déclarer Bruxelles candidate pour l’organisation des Jeux de 2000. Et ce n’est pas fini. En effet, en 1993, à l’initiative de Philippe Housiaux (membre du conseil d’administration du COIB) et d’Alain Deneef (un entrepreneur ayant occupé une multitude de postes de direction, entre autres chez Canal+ Belgique, Proximus et à la SNCB), la Ville de Bruxelles élabore un nouveau dossier de candidature, cette fois pour les Jeux de 2004. Le projet sombre toutefois dans les oubliettes de l’histoire suite au refus catégorique du gouvernement fédéral d’apporter les cautions nécessaires à la réalisation du projet.
Une nouvelle étape est franchie en 2007-08, avec la réalisation du Plan de développement international (PDI) à l’initiative du gouvernement régional [3]. Ce document d’intentions n’est pas inclus dans la hiérarchie des plans d’aménagement d’application en Région de Bruxelles-Capitale et n’a pas de statut légal en soi. Il n’a pas plus fait l’objet d’un débat public. Il a été conçu au départ d’un « Schéma de base » réalisé par la branche bruxelloise de PriceWaterhouseCoopers, principalement sur la base d’entretiens avec des opérateurs immobiliers (courtiers, consultants, développeurs, investisseurs), des fédérations patronales ou encore des organismes parapublics en charge du développement économique et commercial de la ville. Les organisations syndicales ou le tissu associatif n’y figurent pas, tout comme les « simples » habitant·es ou usager·es de la ville.
Le PDI identifie dix zones stratégiques pour l’avenir de Bruxelles dans lesquelles sont annoncés plusieurs grands projets. Parmi ceux-ci, plusieurs visent à attirer de nombreux visiteurs, si possible internationaux : un centre de congrès (3 000 places), un hall d’exposition (15 000 m2), une salle de concert (15 000 places), un stade aux normes de la FIFA. À travers le PDI, le gouvernement régional va donc au-delà des objectifs d’attractivité de résident·es aisé·es et de nouvelles entreprises qu’il poursuivait dans les deux versions du Plan Régional de Développement (1995 et 2002). Il postule que le maintien de la place de Bruxelles dans la compétition interurbaine repose aussi sur sa capacité à capter des mobilités touristiques et d’affaires, en forte croissance en raison, entre autres, du développement de l’offre aérienne low cost et du maintien du prix du kérosène à un niveau ridiculement bas.
Pour assurer le succès public de ces projets, le PDI met en avant les vertus du city marketing, avec le lancement d’une campagne de communication autour d’une « image de marque de Bruxelles » étayée par « la définition d’une identité pour Bruxelles ». Cette approche correspond plus exactement à la démarche du city branding, soit l’application des codes de la publicité commerciale à l’image des villes. Il se traduit classiquement par la création de slogans et de logos (« Totally London », « I Amsterdam », « OnlyLyon »…) appelant à une appropriation affinitaire et consumériste de la ville.
Avec le PDI, le gouvernement régional a pleinement intégré le tourisme comme composante des politiques entrepreneuriales qu’il menait déjà depuis le milieu des années 1990. Il s’agissait pour lui d’inventer localement de nouveaux usages du territoire qui puissent satisfaire les touristes. À ce titre, il s’est engagé dans un processus de marchandisation visant à augmenter la valeur d’échange du territoire bruxellois en agençant différents projets urbains de façon à créer de véritables produits territoriaux, bien ciblés, mis en marché à travers des campagnes de promotion qui véhiculent l’image d’une ville « belle, propre, festive et sécurisante » [4].
De plus, les projets touristiques envisagés ont pour point commun de pouvoir accueillir de grands événements, susceptibles de drainer sur un court laps de temps un nombre important de visiteur·euses et d’augmenter la notoriété et l’image de la ville (foires et congrès internationaux, festivals, expositions temporaires, compétitions sportives). Cette obsession pour l’événementiel, résumée par le mantra de Philippe Close, bourgmestre de la Ville de Bruxelles – « Plus il y a d’événements, mieux c’est » – qu’affectionne Philippe se reflète également dans l’aménagement et la privatisation de l’espace public : des places aussi planes que possibles, sans plantations et avec un mobilier urbain réduit au strict minimum, dont l’accès est réservé aux seuls possesseurs d’un ticket dûment acheté dès lors que s’y déroule des concerts ou activités festives.
Sur un autre plan, les autorités bruxelloises ont aussi déployé beaucoup d’énergie pour convaincre les acteurs économiques locaux et la population du bien-fondé d’une politique de développement qui fasse la place belle au tourisme. Les références à l’opportunité, à la notoriété et au ruissellement sont légion : le développement de l’offre touristique et le city-marketing constitueraient un objectif à ne manquer sous aucun prétexte, car ils permettraient de diffuser mondialement une image positive de la ville et entraîneraient la création de nombreux emplois, tant par le biais des investissements dans la brique que par celui des dépenses des touristes et voyageur·euses d’affaire.
Si la plupart des grands projets touristiques énoncés dans le PDI n’ont pas vu le jour, en revanche les principes qui y sont mis en avant ont continué à peser lourdement sur les politiques touristiques régionales et communales. Le city-marketing est ainsi devenu une sorte de vache à lait de la communication de la Région, comme en témoigne la campagne « we dare you to be yourself » (À Bruxelles, nous vous mettons au défi d’être vous-mêmes) lancée en 2021, qui insiste sur le caractère avant-gardiste de la culture et de la gastronomie locales.
Enfin, l’objectif de maintenir Bruxelles dans la compétition urbaine par le biais de projets récréo-culturels phares susceptibles de drainer de nombreux·ses touristes – le fameux effet Bilbao – a été poursuivi sans relâche par le gouvernement régional et/ou les autorités communales, en particulier celles de la Ville de Bruxelles, de nombreux projets illustrant ce tropisme persistant : Néo, Kanal-Pompidou ou le Belgian Beer-World Expérience [5].
Au cours des 10 dernières années, l’offre d’hébergements touristiques dans le monde a été profondément transformée à la suite de l’émergence d’acteurs du service numérique spécialisés dans la location de courte durée de meublés et de chambres, comme Airbnb et HomeAway/Vrbo. Parmi ceux-ci, Airbnb occupe une position dominante. En 2022, soit moins de 15 ans après sa création, cette plateforme ne proposait pas moins de 7 millions de biens à la location, dans 220 pays différents. Sur les quelque 5 500 biens disponibles à la location touristique en juillet 2023 dans la Région de Bruxelles-Capitale, plus de 90 % étaient mis en location via Airbnb, dont 41 % loués par des hébergeurs disposant de 3 biens ou plus.
Même si ce n’est pas encore documenté à Bruxelles, dans d’autres villes, de grands investisseurs ont pénétré le marché du logement plateformisé. Par ailleurs, des entreprises de gestion spécialisées (corporate hosts) prennent aujourd’hui en charge l’opération des biens (aménagement, équipement, commercialisation et interactions avec les locataires). L’offre proposée s’écarte donc sensiblement des principes mis en avant par les plateformes à savoir l’économie du partage qui animerait les habitant·es hébergeur·es.
La concentration des locations meublées dans les mains de multi-hébergeurs qui en tirent d’importantes rentes et l’émergence d’entreprises spécialisées dans la gestion de ces biens s’accompagne d’un autre phénomène : la financiarisation des sociétés qui gèrent les plateformes de location. C’est ainsi qu’Airbnb est aujourd’hui détenue majoritairement par des actionnaires institutionnels, dont un fonds de placement (The Vanguard Group), une société spécialisée dans la gestion d’actifs (BlackRock, State Street Corporation) et une banque (Morgan Stanley). Brian Chesky lui-même, le fondateur de la société, ne detient plus que 2 % du capital de la société. Ce qui est valable pour les sociétés gestionnaires de plateformes de location l’est aussi pour les groupes hôteliers, les chaines du divertissement comme Walt Disney ou les compagnies aériennes. L’économie du tourisme est donc sous l’emprise croissante du secteur de la finance, qui draine à son profit une part grandissante des richesses créées, en imposant aux systèmes productifs et sociaux ses normes d’organisation, ses critères de gestion et ses exigences de rentabilité maximale et à court terme.
La conjugaison des politiques entrepreneuriales menées par les pouvoirs publics urbains et du déploiement de grandes firmes privées cherchant à maximiser leur profit a inévitablement contribué au développement d’un tourisme générateur de multiples externalités environnementales et sociales. Deux exemples permettent de s’en rendre compte.
Sur le plan environnemental, tout d’abord la croissance de la fréquentation touristique internationale de Bruxelles, en particulier par des visiteur·euses venant de loin, a fortement alourdi l’empreinte carbone globale de la Région. En 2018, les 350 000 arrivées – soit 12 % du total – en provenance de pays situés à 8 000 kilomètres et plus de Bruxelles ont généré [6] 300 ktCO2eq [7], soit près de 50 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre liées aux déplacements vers la capitale de la Belgique. Par ailleurs, ces mouvements à longue distance ont donné lieu en moyenne à 3,7 tCO2eq par arrivée contre un peu moins d’une tonne par arrivée pour l’ensemble des déplacements.
Au total, l’impact climatique des voyages internationaux à destination de Bruxelles s’élevait à 3 100 ktCO2eq en 2018, soit presque autant que le total officiel des émissions de la Région de Bruxelles-Capitale enregistrées dans le registre national belge du climat (3 100 ktCO2eq en 2017). De plus, les émissions liées aux voyages internationaux augmentent rapidement, avec une croissance moyenne de plus de 4 % par an entre 2000 et 2018. Si le taux de croissance actuel se maintient, d’ici 2036, l’impact climatique des voyages internationaux à destination de Bruxelles sera plus de deux fois supérieur à la quantité officielle d’émissions de gaz à effet de serre attribuée à Bruxelles, surtout si les objectifs de réduction des émissions dans un certain nombre d’autres secteurs sont atteints.
Sur le plan social, ensuite, le développement de l’offre de biens en location à court terme exerce au moins deux effets conjoints sur l’accès des habitant·es au logement, en particulier dans les centres-villes et les hauts lieux touristiques. Tout d’abord, à la différence des hébergements touristiques classiques, comme l’hôtellerie, la plupart des biens loués à court terme résultent de la conversion de la fonction résidentielle de logements existants. La croissance de l’offre en locations de biens de courte durée repose donc sur la captation du logement par le tourisme et les voyages d’affaires. Cette captation entraîne inévitablement une réduction du nombre de logements sur le marché résidentiel classique. Par ailleurs, en diminuant l’offre de logements disponibles, elle est susceptible de provoquer une croissance du montant des loyers et du prix d’achat des appartements et maisons Lire l’article p. 10-13.
Enfin, de multiples nuisances sont associées à l’usage de logements convertis en meublés touristiques. À cet égard, les travaux de Victor Piganiol (2021) sur les conflits à l’échelle local et micro-locale liés à la présence d’Airbnb dans la métropole bordelaise montrent bien comment les hébergements loués via la plateforme perturbent le quotidien des résident·es. Les verbatims tirés de l’enquête ethnographique réalisée sur place en disent plus que de longs discours :
« Je suis plus qu’exaspérée par ces allers-retours permanents. Certains jours, on dirait que j’habite un hall de gare tellement il y a de mouvements et de vacarmes [...]. Pour tout vous dire je n’en peux plus de ces bruits de valise et de ces personnes qui parlent fort » (une propriétaire dans un immeuble) ; « Airbnb est une vraie plaie pour nous autres “simples habitants”. Les touristes rentrent complètement éméchés certaines nuits, surtout le weekend » (Marc, propriétaire dans un immeuble).
Le tourisme en régime de capitalisme néolibéral est de plus en plus inégalitaire. Alors que dans les classes dominantes et intermédiaires les vacances donnent habituellement lieu à des déplacements touristiques, souvent de plus en plus lointains, pour de larges pans des classes populaires le tourisme redevient un luxe inaccessible. Ces inégalités se matérialisent au sein même de l’espace bruxellois. Alors que les touristes sont de plus en plus nombreux·ses à fréquenter les espaces publics, commerces, bars, restaurants et lieux culturels, dans le même temps, une part importante de la population bruxelloise continue à ne pas avoir accès, ou de manière très occasionnelle, aux joies du tourisme.
C’est ainsi qu’en 2022, 40 % des enfants bruxellois de moins de 12 ans n’ont pas passé au cours de l’année au moins une semaine de vacances hors de leur domicile avec leur(s) parent(s) [8]. Et le renoncement aux vacances connaît de très fortes variations selon le niveau de revenu : 2 enfants sur 3 sont dans cette situation dans le premier quintile de revenu (20 % des ménages), 3 enfants sur 5 dans le deuxième quintile… mais seulement une toute petite minorité dans le cinquième quintile. Dans une société où les loisirs et les vacances occupent une place cardinale, il est choquant que près de la moitié des enfants n’aient pas la possibilité de partir régulièrement en vacances avec leurs parents. Ce l’est d’autant plus que dans le même temps, des montants de plus en plus importants sont investis par les pouvoirs publics pour attirer toujours davantage de touristes.
Géographe, ULB
[1] Selon la base de données Tourmis.
[2] Duhamel et Knafou, 2007
[3] Lire C. Scohier, M. Van Criekingen, « 2007 : Le Plan de Développement International (PDI) ou comment (essayer de) mieux vendre Bruxelles ».
[4] Gravari-Barbas, 1998.
[6] En tenant compte des 2 millions de nuitées réalisées selon Visit Brussels dans les locations meublées, le nombre total de nuitées se serait élevé à 9 millions en 2019.
[7] L’équivalent CO2 (CO2eq) est un indice introduit par le GIEC. Il permet de comparer les impacts des différents gaz à effet de serre (GES) en matière de réchauffement climatique et de pouvoir cumuler leurs émissions.
[8] Wayens, 2024