Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Brouillard toxique

Par leur cheminement, les pollutions reconnues peuvent nous éclairer sur les processus à l’œuvre pour d’autres d’entre-elles, encore officiellement niées... Comment l’air est-il devenu mortel ?

© Paul Mahoux - 2019

Un ouvrage récent, signé par Alexis Zimmer [1], nous présente un événement historique éclairant la manière dont l’altération de l’air ambiant – par les gaz de l’industrie – est devenue officiellement une pollution mortelle. Les faits sont survenus entre le 1 et le 5 décembre 1930, lorsqu’un brouillard épais se répand dans la vallée de la Meuse, non loin de Liège. Au quatrième jour de sa présence, la population connaît plus de soixante décès subits, accompagnés de milliers de malades et de personnes souffrantes. Le choc est évidemment rude dans les villages et la population est traumatisée, la presse nationale et étrangère réagit, les gouvernements des États proches se manifestent, et... Rien.

Les premières conclusions officielles, énoncées par la commission d’hygiène de la province de Liège, et relayées au plus haut niveau du gouvernement par le directeur général de l’hygiène publique au ministère de l’intérieur, attribuent cette mortalité subite au froid extrême de cette première semaine de décembre 1930. En outre, elles évoquent des corps déjà malades ou âgés, prédisposés en quelque sorte à subir les effets néfastes de ces conditions météorologiques. Malgré les témoignages de terrain, malgré les réactions des bourgmestres concernés, la population assiste à un négationnisme des autorités sur le rôle de la pollution de l’air.

Des journalistes étrangers iront jusqu’à présenter leurs excuses pour avoir mis en cause l’industrie ! En consultant les archives, Alexis Zimmer constate qu’il ne s’agit pas d’une première, car une augmentation significative de la mortalité est documentée et attestée au moins à trois reprises, dans cette même vallée, depuis la fin du 19ème siècle. En outre, de nombreux témoignages de 1930 insistent sur la connaissance, par les habitants de la vallée, des effets néfastes ordinaires des airs toxiques respirés. Les habitants connaissent déjà la réalité de cette pollution, sans cependant bénéficier d’une reconnaissance officielle et de « savoirs institués », qui transformeraient cette réalité en drame social et sanitaire.

Par la suite des personnalités reconnues font entendre leur voix, tel le médecin de la reine, par ailleurs président de la Croix-Rouge : il affirme l’impossibilité d’une telle mortalité sous l’effet de basses températures. Des pressions extérieures vont également se manifester, notamment celles des gouvernements français et britannique.

Cette caisse de résonance au-delà des frontières forcera la mise sur pied d’une seconde enquête, pilotée cette fois par un comité composé de médecins, de chimistes, de vétérinaires, de météorologues... Conclusion, un an plus tard : « la pollution de l’air tue » ! Cette catastrophe, plutôt que d’être la première démonstration scientifique de la mortalité associée à la pollution de l’air, est donc le moment où il est devenu impossible de continuer à la nier.

Cette réalité – enfin officielle – n’infléchira nullement la situation : trop tard, le charbon est partout. Économiquement et industriellement, il n’y a aucune volonté de s’en passer ; des aménagements ne pourront donc se faire qu’à la marge. La pollution de l’air, mortelle, n’a jamais été stoppée ; aujourd’hui, elle est annuellement responsable de milliers de morts en Belgique.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) juge à présent cet événement de la vallée de la Meuse comme le premier fait historique et dramatique la démontrant.


[1A. ZIMMER, Brouillards toxiques, vallée de la Meuse, 1930. Contre-enquête, éd. Zones Sensibles, 2016. Le contenu de ce texte est basé sur l’exposé d’Alexis Zimmer lors de l’assemblée associative « Pollution électromagnétique. Savoirs et mobilisations », organisée par Inter-Environnement Bruxelles, le 7 juin 2018.