Plongée dans l’histoire du logement populaire à Bruxelles où comment les grandes phases de l’action publique en matière de logement peuvent nous aider à comprendre la dynamique actuelle du logement social.
Le logement social est un extraordinaire outil politique. Extraordinaire pour de nombreuses raisons qui ont été énoncées dans l’introduction de ce dossier, mais dont la plus importante est sans doute de tenir compte du revenu des ménages pour calculer le montant du loyer et non de chercher le profit maximum que l’on peut tirer d’un logement sur un marché libéralisé. Ce faisant, le véritable logement social – c’est-à-dire à Bruxelles le logement social locatif géré par la SLRB – sort de la logique capitaliste de marché pour acter pleinement le fait que l’accès à un logement décent est avant tout un droit constitutionnel [1]. Le logement social est aussi un outil politique en ce qu’il garantit la maîtrise publique du foncier, un outil précieux, dont l’usage et la direction dépendent de choix politiques susceptibles de changer dans le temps. C’est ce que montre très bien l’histoire du logement social – qui s’efface de plus en plus face à un logement « public » fourre-tout – à Bruxelles. Le nombre de logements construits, leur localisation, les opérateurs à la manœuvre et le public pouvant en bénéficier sont autant d’éléments qui nous renseignent sur les choix politiques opérés. Des orientations sur lesquelles nous allons revenir brièvement pour décrire les principales phases de la mise en œuvre du logement social à Bruxelles.
La question de la dimension sociale du logement est inséparable de la révolution industrielle et de l’exode rural qui l’accompagne. C’est l’arrivée massive, au XIXe, d’une main-d’œuvre pauvre quittant la campagne pour venir travailler en ville, à proximité des usines, qui pose pour la première fois cette question du logement à bon marché. Entre 1840 et 1910, la population de Bruxelles a quadruplé du fait de l’afflux de cette population pauvre. Si la question de comment loger ces nouveaux arrivants se fait pressante, les autorités publiques ne se bousculent pas pour intervenir. Quand il y a construction de logements à bon marché, c’est le plus souvent du fait de patrons d’entreprises qui cherchent à loger leurs ouvriers, conciliant ainsi la rencontre d’une certaine forme de préoccupation sociale avec un souci de contrôle social des ouvriers. Cette posture paternaliste oscille entre bienfaisance et spéculation et ne s’adresse qu’à une clientèle solvable. On peut toutefois citer le Familistère Godin, à Laeken, construit en 1887 par l’industriel pour septante-cinq familles d’ouvriers travaillant dans sa fonderie en se basant sur le modèle de Charles Fourier qui mêle utopie sociale et pragmatisme industriel.
Dans ce contexte, les autorités publiques choisissent de ne pas réguler le marché immobilier, craignant qu’un contrôle trop strict ne décourage ces petits investisseurs privés, les seuls qui soient intéressés par la construction d’habitations ouvrières. Cette approche conduit à une situation où l’abondance de la main-d’œuvre tire les salaires vers le bas alors même que la rareté des logements abordables tire les loyers vers le haut.
Cette absence de régulation conduit à une multiplication des taudis et des impasses aux conditions d’hygiène déplorables. Une enquête sur la condition de la classe ouvrière et sur le travail des enfants menée entre 1843 et 1846 alerte l’opinion publique sur l’ampleur du problème. À cette époque, 45 % des logements se composent d’une seule pièce. L’étude propose des mesures pour assainir les habitations ouvrières et pour interdire les impasses mais les suites données aux recommandations de l’étude sont minimes. Tout au plus, une loi de 1849 octroie aux autorités le droit d’exproprier certains taudis. Mais celle-ci, on le verra, sera davantage utilisée pour chasser une population vulnérable que pour chercher à réellement améliorer leurs conditions d’habitation.
C’est l’épidémie de choléra de 1866 qui mettra le feu aux poudres. Celle-ci ravage plusieurs quartiers bruxellois qui comptent alors 375 impasses où s’entassent 27 300 personnes [2] ! Entre 1850 et 1890, alors qu’on ne construit que 2 000 logements « philanthropiques » à l’échelle de tout le pays, près de 7 000 foyers sont expropriés à Bruxelles dans le seul cadre du percement du boulevard Anspach. Victor Besme avait pourtant émis l’idée d’implanter de vastes cités sociales sur les prairies des bords de Senne libérées des inondations après le voûtement mais la phobie des révoltes sociales conduit à mettre fin à la concentration et à inciter la classe ouvrière à acquérir des petites maisons dispersées [3]. Pour ce faire, la loi du 9 août 1889 autorise le gouvernement à accorder le statut de société anonyme aux sociétés ayant pour objet la construction et l’achat d’immeubles en vue de les vendre ou de les louer comme habitations destinées aux ouvriers.
L’arrivée massive, au XIXe , d’une maind’œuvre pauvre quittant la campagne pour venir travailler en ville pose pour la première fois la question du logement à bon marché.
La loi de 1889 sur le logement ouvrier exclut d’emblée l’idée d’une société nationale des habitations à bon marché qui ne verra le jour qu’après la Première Guerre mondiale. La majorité catholique homogène (1871-1878 et 1884-1914) préfère encourager l’accès à la propriété des ouvriers à la campagne où ils restent ainsi sous le contrôle social du clergé. Elle prévoit la construction d’habitations destinées à l’achat supposant que les ouvriers disposent de 10 % du capital par des prêts bonifiés et des allègements fiscaux. Or, la faculté d’emprunt nécessite un certain niveau de revenus et il faut obtenir l’aval d’un Comité de patronage !
Le système très dense de navettes ferroviaires mis en place grâce à l’abonnement à tarif réduit en 1869 va faciliter les trajets quotidiens entre les cités éloignées et le centre industriel. Notre paysage urbain actuel est encore aujourd’hui un héritage de ce phénomène général de construction de maisons individuelles en périphérie.
La première société publique locale à Bruxelles, le Foyer schaerbeekois, ne sera créée qu’en 1899 par l’échevin socialiste de Schaerbeek, Louis Bertrand, qui critique le maintien d’une logique mercantile (les sociétés d’habitations ouvrières font des bénéfices). Il démontrera qu’il est économiquement viable de construire des immeubles pluri-familiaux sains, bon marché et accessibles [4]. D’autres sociétés voient le jour et construisent des logements de ce type comme la cité Hellemans dans le quartier des Marolles à Bruxelles (1912-1915).
La guerre 14-18 va provoquer des destructions massives poussant l’État à enfin intervenir dans le logement social. Par ailleurs, les socialistes du POB sont pour la première fois associés au pouvoir national. Le gouvernement d’union nationale adopte la loi du 11 octobre 1919 pour permettre la création de la Société nationale d’habitations à loyer bon marché (SNHLBM). Le but de la SNHLBM est d’inciter la création de sociétés locales ou régionales, de les agréer, de leur faire des avances de fonds et d’acquérir des biens immobiliers en vue de les vendre ou de les louer à ses sociétés agréées. Les avances de fonds faites aux sociétés agréées doivent leur permettre de construire des logements à bon marché et de les louer aux ménages peu aisés dont les revenus ne dépassent pas un certain plafond prévu par la législation.
La cherté et la rareté du foncier en centre urbain vont inciter ces sociétés à acquérir de vastes étendues de terrain bon marché à la périphérie, relié au centre par des réseaux de transports publics. Sous l’influence du modèle anglais des « Garden Cities » d’Ebenezer Howard, on voit fleurir des cités-jardins en périphérie de la ville. Grâce à une meilleure mobilité, il paraît plus avantageux de vivre éloigné des centres urbains trop onéreux afin d’y développer une vie coopérative [5]. À Bruxelles, les exemples les plus emblématiques de ces ensembles sont les cités le Logis et Floréal dont la construction débute en 1922 à Watermael-Boitsfort.
La majorité catholique préfère encourager l’accès à la propriété des ouvriers à la campagne où ils restent ainsi sous le contrôle social du clergé.
Fruit d’un compromis entre l’intérêt de l’État à garder la propriété du sol et l’intérêt de l’accession à la propriété du logement comme instrument de stabilisation des habitants, le système de coopératives de locataires semble réunir tous les avantages et permet en outre de créer un esprit de solidarité entre les habitants par le fait qu’ils sont propriétaires collectivement de leur quartier et de leurs habitations [6]. Les coopératives s’adressèrent essentiellement aux ouvriers qualifiés et aux employés.
Dès 1922, à la faveur de la mise en place d’un gouvernement de centre droit, une loi va réduire les avantages des coopératives en raison du risque de voir se renforcer une « ceinture rouge » ouvrière créée par la multiplication des logements coopératifs en périphérie de Bruxelles [7]. Les cités-jardins sont en outre vues comme un gouffre financier et les coopératives se voient obligées de vendre une partie de leur patrimoine afin de financer leurs nouveaux projets de construction [8].
Une autre critique adressée aux citésjardins est leur consommation d’espace. Les modernistes, sous la houlette du CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne), vont vilipender la cité-jardin comme reflet d’un esprit petit-bourgeois individualiste. Selon eux, le logement fonctionnel en grand ensemble doit libérer l’individu des tâches ménagères et l’inviter à une vie sociale ouverte [9].
Après la Deuxième Guerre mondiale, la loi De Taeye, portée par un député catholique en 1948, introduit un système de primes attractives pour la propriété et la construction de maisons individuelles. Un cauchemar pour les tenants du modernisme. Cette politique va en effet accélérer le phénomène de la périurbanisation en réservant les primes et prêts avantageux pour des maisons individuelles construites en dehors des zones densément bâties.
Parallèlement à la loi De Taeye, les socialistes impulsent la loi Brunfaut (1949) qui crée un fonds pour soutenir le développement du logement social. Les années 1950 vont ainsi être le point de démarrage de la construction massive de logements sociaux, y compris dans le centreville. Fernand Brunfaut, député socialiste, sera le porte-drapeau de ces grands ensembles planifiés. À partir de cette époque, la moitié des logements vont être édifiés sous forme de tours et de barres : Cité modèle, Peterbos, Remparts des Moines, Goujons… (Écouter Des Goujons aux Moines : de l’entretien du logement social->46943]). On assiste à la banalisation et à la massification des logements sociaux, principalement dans les années 1970.
Si dans un premier temps cette dynamique découle du besoin de reconstruction de l’aprèsguerre, une autre logique fait rapidement son apparition : la volonté de créer de l’emploi et de soutenir le secteur de la construction. En particulier alors que les Trente Glorieuses touchent à leur fin et que l’économie ralentit. C’est alors une véritable logique keynésienne qui soustend la construction du logement populaire à Bruxelles.
Cela va permettre la construction de plus de 6 000 unités par décennie sur la période allant de 1950 jusqu’en 1984, soit plus d’un quart du patrimoine social existant. Cependant, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous en raison d’une mise en œuvre parfois expéditive et des infrastructures qui ne suivent pas. En l’absence de plan d’ensemble, les logements sortent de terre en fonction des opportunités. La Société nationale du logement et les sociétés locales se sont fortement endettées durant cette période pour soutenir le secteur de la construction dont elles représentaient, à elles-seules, près de 40 % du marché [10].
Au travers des lois De Taeye et Brunfaut, ce sont deux logiques antagonistes qui s’affrontent. L’une favorisant la propriété de la maison individuelle privée à la périphérie, l’autre les grands ensembles publics sociaux dans le tissu urbain.
Après le boom des années 1970, les années 1980 vont voir un désinvestissement progressif du secteur du logement social. Cela s’explique, d’une part, par la politique d’austérité menée par les gouvernements Martens-Gol et, d’autre part, par la régionalisation de la Société nationale du logement. Une régionalisation qui va poser la difficile question de la gestion de la dette, avec comme corollaire la mise au frigo des projets de construction par les institutions bruxelloises et une politique de vente de logements sociaux dans certains quartiers.
La création de la Région bruxelloise, en 1989, et le transfert du logement social à la Société du logement de la Région bruxelloise (SLRB) vont engendrer une paralysie du secteur.
La création de la Région bruxelloise, en 1989, et le transfert du logement social à la Société du logement de la Région bruxelloise (SLRB) – qui assure la tutelle sur 33 sociétés locales de logements sociaux (SISP) – vont engendrer une paralysie du secteur. Celui-ci est en effet confronté à un double problème : la demande, par le gouvernement fédéral, de rembourser les investissements importants réalisés à Bruxelles et le besoin de rénovation d’un parc ayant été mal entretenu. Si dans ce contexte l’exécutif bruxellois tente de relancer les investissements dans le secteur du logement social avec deux plans triennaux visant à construire de nouveaux logements pour revitaliser les quartiers centraux et prolonger les citésjardins existantes, dès 1995 les investissements ne sont plus axés que sur la rénovation du parc ancien. Ce tournant vers la rénovation est rendu explicite par les Plans régionaux de développement de 1995 et de 1999 qui focalisent les investissements sur la rénovation des logements sociaux [11]. De 1995 à 2005, seuls 476 logements sociaux seront construits, donc une moyenne de 47 par an, tandis que plus de 3 500 seront rénovés et la SDRB (devenue aujourd’hui Citydev) [Lire Comment noyer le poisson ? Une politique très modérée du logement social] produira 993 logements acquisitifs conventionnés [12]. Quant à la question de la lourde ardoise (815 millions d’euros) des emprunts contractés par l’État fédéral durant les Trente Glorieuses sur le marché des capitaux, la Région fait le choix d’un remboursement prioritaire de cette dette. Un remboursement de 698 millions d’euros dont elle verra le bout en 2003, (un tiers du montant est repris par le Fédéral), mais au prix d’un arrêt quasi complet des constructions [13].
Dans le même temps, la Région de Bruxelles-Capitale continue de soutenir l’accès à la propriété en finançant le Fonds du logement pour l’octroi de prêts hypothécaires bonifiés et en élargissant son action vers des isolés et des ménages sans enfants et vers une gamme plus large et plus diversifiée de revenus. L’essentiel de ses activités se situe dans le croissant pauvre et les quartiers périphériques nord-ouest là où l’immobilier est le plus abordable. C’est également dans les zones de rénovation urbaine qu’on trouve l’activité de la SDRB (devenue Citydev) qui vend aux deux tiers du prix du marché des logements aux ménages à revenus moyens. Ces différentes aides peuvent se cumuler, de sorte que dans certaines situations, 75 % environ du prix d’achat sont payés (directement ou indirectement) par la puissance publique [14]. Ces mesures d’aide à l’accès à la propriété privée tranchent avec la mise à l’arrêt quasi complet de la politique du logement social sur cette période. Elles posent la question de l’appropriation par les ménages aidés des plus-values obtenues après la revente de leur bien immobilier.
À partir des années 2000, la population bruxelloise, dont le solde démographique avait longtemps chuté, connaît un boom impressionnant entraînant à la hausse aussi bien les prix de l’immobilier que des loyers.
De 1995 à 2005, seuls 476 logements sociaux seront construits, donc une moyenne de 47 par an.
Face au défi d’une population qui à la fois augmente et se paupérise, la Région va relancer sa politique de logement public, donc pas uniquement des logements sociaux, à travers trois plans ayant connu des fortunes diverses :
Après l’inertie que le logement social a connue suite à la création de la Région bruxelloise, les deux premiers plans, le PRL et l’AH, apparaissent comme ambitieux. Ils visent la construction d’un nombre important de logements sur des terrains publics – dont une part importante doit être des logements sociaux – et disposent de budgets conséquents. Cependant, ces programmes vont accuser d’énormes retards dans leur réalisation. Aujourd’hui, presque vingt ans plus tard, seuls 57 % des logements du PRL ont été réceptionnés et à peine 21 % de ceux de l’AH [15].
Les raisons de ces retards sont multiples. On peut citer la volonté de mettre en œuvre des « marchés de promotion » dans le cadre du PRL en proposant un partenariat public-privé visant à étendre la garantie décennale jusqu’à vingt-sept ans. Ces marchés de promotion n’ont pas suscité l’engouement des promoteurs, et il aura fallu plusieurs années avant de revoir ce mécanisme inadapté. Il a fallu aussi un temps assez long avant que la SLRB ne prenne la pleine mesure des missions qui lui étaient attribuées et ne mette sur pied une équipe compétente à sa direction Développement, qui compte trente-six personnes aujourd’hui. Il faut citer la longueur des procédures et la multiplication des recours sur certains dossiers. Mais l’élément sans doute le plus déterminant est l’identification du foncier public pouvant accueillir ces logements. S’il y a encore pas mal de foncier public disponible à Bruxelles, il semble que la construction du logement social n’y soit pas la priorité ! En additionnant ce qui est prévu dans le Plan régional de développement durable (PRDD) de 2018 et les réserves des communes (122 hectares), le public dispose de plus de 500 hectares de friches constructibles ! C’est un stock important. Le PRDD projette qu’y soit construit 12 000 logements, mais dont à peine une dizaine de pourcent semble devoir être du logement public [16].
S’il y a encore pas mal de foncier public disponible à Bruxelles, il semble que la construction de logements sociaux n’y soit pas la priorité.
En fait le principal frein au logement social semble être la Région elle-même qui est tiraillée entre des besoins sociaux croissants, un budget limité et le désir fiscal d’attirer les classes moyennes en ville. La SLRB, qui est sous tutelle régionale, développe très peu de logements de sa propre initiative (800 sur les deux premiers plans) et se contente d’attendre ceux développés par ses partenaires. Certaines communes font aussi le gros dos, voire de la résistance active, notamment dans le SudEst de la seconde couronne. Et la Région, en restant sur des mesures incitatives et non répressives, ne fait pas assez pour contraindre ces communes à mettre des terrains à disposition [17].
Les budgets prévus dans les deux premiers plans étant conséquents, le retard accumulé dans les réalisations s’accompagne d’un encours [18] colossal qui avoisine les 1,5 milliard d’euros ! La politique régionale de l’habitat n’a pas un problème de moyens budgétaires, mais plutôt un problème de capacité d’absorption de ceux qui lui sont affectés selon les modalités budgétaires actuelles et selon les dispositifs choisis pour le faire [19].
Le dernier plan en date, le PUL, correspond à la législature en cours (2019-2024). Malgré l’objectif affiché de faire du logement la première priorité du gouvernement bruxellois, la politique actuelle reste tiraillée entre le besoin de répondre à une urgence sociale et des mesures qui continuent à s’accrocher à l’idée de fixer une classe moyenne en ville. L’ambition annoncée du PUL est d’offrir « 15 000 solutions pour les ménages en attente d’un logement social ». La première mesure est la finalisation des 6 400 logements prévus dans les deux plans de 2004 et 2013. Malgré les ambitions volontaristes de la secrétaire d’État en charge du logement et la mise à disposition de 190 millions d’euros (en plus du budget logement ordinaire) pour l’opérationnalisation du PUL, cette volonté est régulièrement douchée par les autres responsables du gouvernement. De plus, les « solutions de logement » ne veulent pas toujours dire la construction de logements sociaux, loin de là. Certaines des politiques mises en œuvre, comme l’allocation loyers, s’apparentent davantage à de dispendieuses mesures ayant comme principal avantage de faire du chiffre [20]. On citera aussi la politique des Agences immobilières sociales (AIS) créées en 1998 dont le parc de logements ne cesse de croître mais pour offrir des solution de logement sur le marché privé
>>>>>>>>>>>> Voir Comment noyer le poisson…, p. 10-14. Les subsides importants alloués aux AIS ne garantissent donc aucune pérennité du foncier à la Région.
Le bilan de l’action gouvernementale depuis la création de la Région reste donc très limité en ce qui concerne la demande sociale en logements. D’une part, parce que l’offre quantitative ne parvient pas à suivre l’accroissement de la population : non seulement l’offre en unités de logement produits est faible (à peine plus d’une centaine par an), mais en plus la croissance démographique combinée à l’appauvrissement de la population conduit à une explosion de la demande de ménages remplissant les critères d’accès au logement social. D’autre part, parce que le nombre de réalisations de la Région est en fait davantage tourné vers le logement acquisitif (55,6 %) que vers le locatif 21 . Alors que l’essentiel du discours sur la politique du logement tourne autour du logement locatif, la majorité des réalisations concerne en fait le logement acquisitif.
Il est essentiel de revaloriser le logement social et il y a une vraie urgence à aller dans ce sens. Cette revalorisation implique bien entendu que les logements sociaux produits soient qualitatifs, justement proportionnés et également distribués au travers de la ville. Il est en outre primordial que, pour les zones stratégiques où la Région a la maîtrise, partielle ou totale, du foncier, une part substantielle des programmes immobiliers prévus soit consacrée à la réalisation de nouveaux logements sociaux. C’est de cette façon qu’on redonnera au logement social ses lettres de noblesse, et que la Région parviendra à conserver une maîtrise foncière comme outil politique permettant de résorber les inégalités sociales.
Alors que l’essentiel du discours sur la politique du logement tourne autour du logement locatif, la majorité des réalisations concerne en fait le logement acquisitif.
[1] Depuis 1994, l’article 23 de la Constitution mentionne le droit à un logement décent comme faisant partie intégrante « du droit de chacun à mener une vie conforme à la dignité humaine ».
[2] TH. DEMEY, Un logement pour tous à Bruxelles ? Entre soutien à la propriété et politique sociale de l’habitat, 2020, p. 22.
[3] TH. DEMEY, op. cit., p. 24.
[4] TH. DEMEY, op. cit. p. 74.
[5] P. BERNARD et al., La Cité modèle à Bruxelles. Vie(s) d’un grand projet, ed. Aparté, 2012, p. 36.
[6] P. ZIMMER et M.-L. DE KEERSMAECKER, Logement à Bruxelles entre héritage et perspectives – Trente ans de politique de l’habitat pour quel avenir ?, 2022, p. 181.
[7] Les coopératives de locataires sont considérées à connotation socialiste et auraient pour objectif de constituer une « ceinture rouge » autour de Bruxelles.
[8] Le patrimoine des cités-jardins diminuera progressivement de ce fait au cours du temps jusqu’au moratoire sur la vente des logements sociaux imposé par l’exécutif régional bruxellois en 1991. Demey estime que 44 % du patrimoine social aurait été délesté de la sorte à l’échelle nationale.
[9] P. BERNARD et al., op. cit. p. 37.
[10] TH. DEMEY, p. 11.
[11] Malgré ce choix, Demey rappelle qu’à peine un cinquième du parc existant est aujourd’hui aux normes (équipements sanitaires, cuisines et installations techniques confondus).
[12] SRDU, Bruxelles change… ! 10 ans de politique de la ville en Région bruxelloise – 1995-2005, novembre 2007, p. 47.
[13] TH. DEMEY, op. cit. p. 332.
[14] P. ZIMMER, op. cit. p. 182.
[15] Chiffres au 01/01/2022. Source : Perspectives, Monitoring n°6 des projets de logements publics à Bruxelles, octobre 2022.
[16] TH. DEMEY, op. cit. p. 344.
[17] À ce sujet, voir aussi le Mémorandum 2022 du RBDH.
[18] L’encours se définit comme l’écart ou la différence entre le montant des crédits engagés et les crédits dépensés réellement. Ce décalage temporel est explicable par les procédures publiques mobilisées en amont des travaux – obtention des permis –, par le type et la difficulté des travaux envisagés et aussi parfois parce que certaines procédures sont contestées soit par des entrepreneurs non choisis, par exemple, soit par des riverains mécontents, soit par certaines autorités administratives.
[19] P. ZIMMER, op. cit. p. 125.
[20] L’exemple français a montré qu’en l’absence d’un encadrement contraignant les loyers, le montant de l’allocation loyers était très rapidement absorbé par les bailleurs. Cette mesure, censée soulager les locataires les plus précaires, incite en fait à l’augmentation des loyers et s’apparente donc à une rente directe d’argent public vers les propriétaires bailleurs. 21. P. ZIMMER, op. cit. p. 375.