Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Berlin : on n’est jamais mieux servi que par soi-même !

Le 26 septembre 2021, lors d’un référendum historique, une large majorité des Berlinois·es se prononçaient en faveur de l’expropriation des grandes sociétés immobilières possédant plus de 3 000 logements et la socialisation des logements détenus, quelque 240 000 unités au total. Le référendum, d’initiative populaire et porté par Deutsche Wohnen & Co. Enteignen (DWE), était le fruit d’une campagne massive et de longue haleine – débutée en 2018 – dont nous vous parlions dans un précédent article du Bruxelles en mouvements [1].

Cette victoire, considérable pour celles et ceux qui se battent depuis des années pour enrayer la flambée des loyers à Berlin, ne conclut malheureusement pas encore le bras de fer qui se mène. En effet, la grande coalition SPD/CDU freine des quatre fers devant la perspective de devoir appliquer le résultat du référendum [2]. Celui-ci enjoint le Sénat de « prendre les mesures nécessaires pour transférer des biens immobiliers ainsi que des terrains en propriété commune en vue de leur socialisation conformément à l’article 15 de la loi fondamentale », mais laisse beaucoup de latitude sur les moyens mis en œuvre et les modalités…

L’étape suivant le vote de septembre 2021 avait été la constitution d’une commission d’experts qui devait examiner la légalité et la faisabilité du résultat du référendum. Mise sur pied au printemps 2022, celle-ci publiait ses conclusions le 28 juin 2023 dans un rapport final d’environ 150 pages [3], largement favorable au projet d’expropriation-socialisation.

DWE résumait alors les choses de la manière suivante : « D’après la commission d’expert·es, la socialisation est légalement faisable dans le cadre des compétences du Land de Berlin, les grandes sociétés visées peuvent effectivement être expropriées à des valeurs inférieures au marché, la gestion en institution publique avec une participation accrue des locataires est possible et l’expropriation/socialisation est appropriée et raisonnable au vu de la flambée des loyers. Elle est même souhaitable en l’absence d’autres moyens efficaces pour agir sur le marché immobilier. […] Le gouvernement n’a plus d’excuses : il faut commencer à rédiger une vraie loi de socialisation dès maintenant. » Sauf que pour le Sénat berlinois, dominé par la CDU et le SPD, tous deux explicitement hostiles au projet d’expropriation-socialisation, il faudrait d’abord une « loi-cadre ». Pire, en réalité il s’agit encore une fois de faire traîner les choses, pour finalement enterrer le référendum. Ce constat est merveilleusement illustré par les déclarations du sénateur des finances Stefan Evers (CDU), qui exclut la socialisation des sociétés immobilières malgré le travail sur la loi-cadre. Selon lui, la loi-cadre ne serait qu’un « compromis de formule » avec le SPD [4].

Le 26 septembre 2023, DWE répond à ce déni de démocratie manifeste en annonçant une nouvelle campagne de référendum, portant cette fois-ci directement sur une loi d’expropriation-socialisation. Celui-ci, à la différence du premier, sera légalement contraignant et devra être implémenté par le Sénat. Après une campagne de financement ayant permis de récolter plus de 100 000 euros en octobre 2023 [5], le cabinet Geulen & Klinger – spécialisé en droit public et constitutionnel – est mandaté par DWE pour élaborer le projet de loi qui devra être soumis au vote des Berlinois·es. L’objectif étant de présenter une loi juridiquement sûre afin que celle-ci ne connaisse pas un destin similaire au Mietendeckel berlinois (gel des loyers) qui avait été abrogé par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en mars 2021. Outre la loi de socialisation proprement dite, qui détermine les logements à socialiser ainsi que le type et la hauteur de l’indemnisation, une loi « de gestion » est également en cours d’élaboration. Celle-ci définit la manière dont les logements socialisés devront être gérés démocratiquement avec une forte participation des locataires et de la société urbaine.

Mais pourquoi le référendum législatif, légalement contraignant, n’avait-il pas été choisi dès le départ ? DWE déclare que l’initiative n’avait alors pas encore la capacité de présenter un projet en béton. Aujourd’hui les porteparole du mouvement se montrent confiant·es : « nous avons acquis l’expertise et les moyens d’écrire, avec l’aide de spécialistes, la loi pour rendre Berlin à ses habitant·es [6]. »

Si tout va bien, le nouveau projet de référendum sera encore déposé en 2024. Une fois l’approbation obtenue, la première phase de collecte pourra commencer et les gilets mauves iront à nouveau dans la rue pour recueillir des milliers de signatures en faveur de la socialisation. « Obtenir l’expropriation, ce sera un marathon. Il faudra du temps, de l’argent et le travail de nombreux·ses bénévoles. La partie adverse a les gros dons du lobby immobilier – Mais nous sommes Berlin ! »

par Andreas Stathopoulos

Graphiste


[1A. STATHOPOULOS, « Berlin : le sol peut être transféré en propriété commune à des fins de socialisation », in Bruxelles en mouvements n°319, 2022.

[2Ainsi, des documents rendus publics en octobre 2022 prouvent désormais que l’ancien sénateur pour l’Intérieur berlinois, Andreas Geisel (SPD), avait volontairement retardé de plusieurs mois la tenue du plébiscite en s’asseyant sur les résultats de l’examen juridique du texte qui devait être soumis au vote . L’étape suivante du processus n’avait été débloquée que suite aux menaces de DWE d’entamer une action en justice à l’encontre du Sénat. dwenteignen.de