Absence de débat démocratique, marchandisation d’un équipement public, atteinte à un patrimoine classé et folklorisation du centre historique : IEB, l’ARAU et des habitants ont introduit un recours en annulation devant le Conseil d’État contre le permis relatif au réaménagement de la Bourse en « Centre d’expérience de la bière ».
Les raisons d’un recours contre la réaffectation de la Bourse en Belgian Beer World
Regroupés au sein de la Platform Pentagone, l’ARAU et Inter-Environnement Bruxelles ont introduit un recours au Conseil d’État en annulation du permis d’urbanisme délivré le 13 novembre 2018 par la Région à la Ville de Bruxelles pour la restauration et la réaffectation de la Bourse de Bruxelles. Pour rappel, la pétition lancée pendant l’enquête publique à l’été 2017 a récolté plus de 7 000 signatures [1] ! Les associations demandent une remise à plat du dossier.
1. Les raisons initiales de la critique du milieu associatif et des habitants : une nouvelle affectation choisie unilatéralement par la Ville de Bruxelles, qui ne repose sur aucune légitimité
Le projet de reconversion de la Bourse en attraction dédié à la bière belge n’a jamais fait l’objet d’un débat public : il repose sur une décision prise en coulisse de manière autocratique par la Ville de Bruxelles. Beaucoup d’autres idées auraient pu être mises sur la table de manière transparente en amont d’un choix de reconversion, mais la Ville a fait l’impasse sur la participation avant d’imposer un projet clé sur porte : ce projet a été développé avec une asbl issue de la Fédération des Brasseurs Belges [2] qui cherchait un nouvel écrin pour la promotion de son activité (la Maison des Brasseurs de la Grand-Place étant trop exiguë).
Donner une accessibilité publique à la Bourse est une bonne chose, mais les importantes sommes d’argent public investies pour ces travaux (Ville, Région, Fédédal, fonds européen FEDER [3]) justifieraient une affectation débattue qui rencontre les besoins et aspirations des habitants et non ceux du lobby de l’industrie brassicole. La rénovation de ce bâtiment emblématique sert effectivement avant tout un projet commercial et touristique privé – 4 200 visiteurs par jour sont attendus, soit 1 500 000 visiteurs par an (environ le double de la fréquentation de l’Atomium). Les incidences de ce projet touristique sur l’habitabilité du centre historique et son impact sur l’évolution commerciale du centre-ville n’ont par ailleurs pas été sérieusement étudiés.
2. Les faiblesses juridiques du permis
2.1. Le Belgian Beer World n’est pas un équipement d’intérêt collectif mais un projet commercial et touristique : CECI N’EST PAS UNE MISSION DE SERVICE PUBLIC
Au Plan Régional d’Affectation du Sol, la Bourse est affectée en équipement d’intérêt collectif. Ces équipements doivent remplir une mission d’intérêt général ou public. Or, les affectations proposées dans le permis ne remplissent pas les conditions légales de cette définition. Le centre d’expérience de la bière, fonction première du projet, développe au contraire une attraction essentiellement touristique et lucrative. En réalité, sur la superficie globale du projet de 12 493 m², musée Bruxella 1238 compris, seuls 5 409 m² peuvent être considérés comme des équipements. Le reste des 7 084 m² remplissent une fonction commerciale et touristique.
Par ailleurs, les établissements commerciaux (de type HORECA ou autres) ne sont normalement admissibles en zone d’équipements que s’ils constituent le complément usuel des équipements d’intérêt collectif.
Le recours rappelle que, dans le dossier de presse qui annonçait le projet de Belgian Beer Palace, le consortium exposait sa volonté de « faire du Beer Palace une “marque culturelle ou commerciale forte”, une “attraction pour tous les publics”, dans laquelle “chaque visiteur doit avoir envie de porter la marque Belgian Beer Palace”, car “le merchandising est un outil primordial, en cours ou en fin de visite” ». Ce même dossier de presse annonçait une part de 70% de touristes dans son public potentiel global.
Le recours en conclut qu’« il ressort à l’évidence que l’objectif recherché est de promouvoir la consommation des bières belges qui font partie du catalogue des brasseries représentées par la Fédération des brasseurs belges [AB InBev] et ce, principalement à un public touristique ».
2.2. Le projet démolit des parties d’un bien classé : CECI N’EST PAS UNE RESTAURATION
L’article 232 du CoBAT interdit de « démolir en tout ou en partie un bien relevant du patrimoine immobilier classé ». Or, le permis autorise la démolition partielle d’un monument classé par la suppression d’éléments entiers, entre autres pour l’ouverture de nouvelles baies aux entrées latérales (le percement d’une partie du soubassement, du côté de la rue au Beurre). Il s’agit également de la destruction d’une partie des verrières, du changement du revêtement du sol, et de l’atteinte aux vestiges archéologiques. Sur ce dernier point, une pétition [4] avait également été lancée pour alerter sur le percement des murs du 13e et 15e siècles, prévu dans le projet pour permettre un nouvel accès au musée Bruxella 1238 depuis la Bourse.
Comme le précise le recours, « le permis prévoit la démolition du soubassement sur une hauteur de 3,50 mètres et sur une largeur de plus de 8 mètres. La structure originelle du bâtiment est modifiée, et pour tous les travaux cités plus haut, on ne peut parler de “restauration” ».
En outre le permis autorise une rehausse avec une dérogation à l’article 8 du Titre I du RRU concernant la hauteur des bâtiments. Cette rehausse, découlant de la volonté d’exploiter le toit de la Bourse en bar, surmonté d’une gaufre géante, n’est pas acceptable.
1.1. Les incidences sur l’environnement n’ont pas été sérieusement prises en compte, les alternatives sont inexistantes : CECI N’EST PAS UN RAPPORT D’INCIDENCES
Le Rapport d’Incidences Environnementales de la demande de permis relève des incidences notables sur l’environnement mais ne propose aucune solution pour les réduire. Le demandeur doit pourtant démontrer qu’il a envisagé plusieurs solutions raisonnables en considérant les impacts du projet sur l’environnement. Il doit normalement justifier son choix et présenter des mesures pour éviter, prévenir ou réduire les incidences négatives. Seul un examen comparé des options et de leur impact permet à l’autorité de statuer en connaissance de cause. Le dossier n’en contient pas. En effet, aucune alternative susceptible de répondre aux problèmes inhérents au projet n’a été envisagée (via la suppression de la nouvelle entrée et de la terrasse en toiture, la diminution du nombre de commerces, ou la possibilité d’un autre type d’équipement public, par exemple).
Par ailleurs, le rapport d’incidences ne prend pas en compte les effets cumulés des différents projets d’urbanisme en cours autour de la Bourse (piétonisation et réaménagements des espaces publics), notamment en termes de nuisances sonores. Aucune mesure du bruit n’a été effectuée.
Infos : www.platformpentagone.be.
[2] L’asbl Belgian Brewers regroupe seulement 30 brasseries, dont aucune bruxelloise, avec en tête Ab InBev, autant impliqué dans le Belgian Beer World que dans l’affaire des « Panama Papers » (dissimulation de fortunes dans des paradis fiscaux).
[3] Fonds publics investis dans le projet : 7,2 millions € du Fonds FEDER, 5 millions € pour la Ville de Bruxelles, 5 millions € de Beliris (Fédéral), 5 millions € de la Région de Bruxelles-Capitale.
[4] « Vestiges archéologiques en péril à Bruxelles : sauvez Bruxella 1238 ! » : www.petitions24.net/vestiges_en_peril_a_bruxelles_sauvez_bruxella_1238.