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Augmentation de la population... oui, mais encore ?

Marie-Anne Swartenbroekx — 30 novembre 2012

Un certain nombre d’études révèlent des évolutions démographiques déjà en cours depuis des années à Bruxelles. Elles constituent un indicateur important pour les autorités publiques qui se doivent d’anticiper et de répondre aux besoins de la population, notamment en termes de logements et d’équipements. Mais suffisent-elles à motiver le projet politique de la Région ?

L’anticipation des besoins futurs est très certainement un élément que nos dirigeants se doivent de prendre en compte pour poser les orientations politiques d’aujourd’hui. Encore faut-il veiller à dépasser l’approche purement quantitative et l’agitation des seules prévisions globales, comme le fait malheureusement le PRAS dit « démographique ». Une analyse plus fine des caractéristiques tant actuelles qu’à venir de la population bruxelloise et de sa répartition sur le territoire est nécessaire.

Gare aux projections

S’il est tout à fait possible, à partir des données existantes (registre de la population, monitoring des quartiers,...), de décrire la composition de la population bruxelloise actuelle, il est nettement plus difficile d’en prédire l’évolution dans le temps.

Les démographes ont recours à diverses méthodes pour interpréter les phénomènes démographiques, mais leurs prévisions dans le temps comportent toujours une marge d’erreur car l’évolution réelle de la population est en partie liée à un certain nombre de choix politiques à venir. Une projection de la population fournit une image de ce que pourrait être la population dans le futur à partir de la connaissance du passé et en prenant des hypothèses sur trois composantes : la fécondité, la mortalité et les migrations.

À titre d’exemple, les projections du Bureau Fédéral du Plan (BFP), souvent mises en avant par les pouvoirs publics, consistent en un scénario central et des scénarios alternatifs correspondant à une variante basse et haute pour chacun des trois paramètres fondamentaux cités plus haut. « Les trois scénarios pour chaque paramètre se veulent réalistes, le scénario central étant le plus vraisemblable » [1].

D’autres chiffres sont également souvent avancés, en particulier ceux de l’Institut Bruxellois de Statistique et d’Analyse (IBSA), ou encore ceux issus d’une étude commandée par le Ministre Cerexhe et publiée en mars 2011. Les variations entre ces trois études sont de l’ordre de 7% pour l’horizon 2020, soit près de 100 000 habitants [2]. Plusieurs auteurs ont mis en évidence des erreurs de projections de l’ordre de 5 à 15 %, à un horizon de 20 ans [3]. « Elles peuvent en outre être nettement plus grandes pour certains groupes d’âge, en particulier les jeunes et les personnes âgées » [4].

Ces différences s’expliquent par un certain nombre de facteurs d’incertitude au sein même des paramètres pris en compte pour réaliser ces projections. Si les hypothèses concernant l’espérance de vie et le taux de fécondité des femmes ont une relative fiabilité en Belgique, l’élaboration des hypothèses d’immigration internationale est quant à elle nettement plus risquée, de l’aveu du BFP lui-même. En effet, les politiques menées en matière d’accueil des étrangers, et de manière plus large, le contexte économique et politique tant national qu’international ont une influence considérable sur les phénomènes migratoires.

Un facteur d’incertitude supplémentaire à Bruxelles sera l’impact de la mise en service du RER (actuellement annoncé pour 2019) sur la migration interne, dans la mesure où elle risque fortement d’accélérer la fuite des ménages vers la périphérie [5].

Ne pas reproduire les erreurs du passé

Les prévisions démographiques passées ont montré des résultats parfois très éloignés de la réalité [6]. Par exemple, dans les années 1960, les projections faisaient état d’une forte hausse de la population en Belgique. Elles ont sous-tendu de grands travaux d’infrastructures. On sait aujourd’hui qu’on s’est trompé. Quand le journaliste Jean-Claude Defossé faisait ses reportages sur les travaux inutiles, il a simplement fait apparaître de grossières surestimations. Dans les années 1980, on a fait machine arrière sur base du déclin démographique amorcé dans les années 1970. Et encore une fois, on s’est trompé à terme.

Faut-il pour autant tourner le dos à toute projection ? Non, anticiper autant que possible les besoins essentiels des personnes doit faire partie des missions de l’autorité publique. S’il est illusoire d’arriver à réduire les marges d’erreur des projections, il faut par contre veiller à mieux mettre en évidence les facteurs d’incertitude et à en tenir compte dans les décisions qui sont prises. En matière de planification urbaine, cela passe entre autres par la mise en œuvre de politiques plus progressives, basées sur une stratégie de réserve, à l’inverse de la tendance imprimée par le projet de PRAS démographique qui tend à ouvrir tous les phantasmes le long du canal alors que nous soutenons que celui-ci doit garder sa vocation industrielle et logistique.

Commencer par répondre aux besoins actuels

Depuis 1995, la population bruxelloise augmente. Au 1er janvier 2012, le registre national renseigne 1 146 481 habitants, auxquels il faut ajouter 8 874 personnes inscrites au registre d’attente comme candidats réfugiés. Outre cette population « officielle », la région bruxelloise compte aussi un certain nombre de personnes qui y habitent sans être inscrites : étudiants, personnel diplomatique, « sans-papiers »,...

Pour ces dernières catégories de personnes, on ne dispose que d’estimations, ce qui rend difficile la détermination exacte de la population de notre ville. à titre indicatif, il y aurait 100 000 personnes en situation irrégulière en Belgique, dont une bonne part en région bruxelloise [7] et il y a environ 12 300 personnes ayant un statut diplomatique vivant à Bruxelles [8].

Après avoir fortement chuté entre 1964 et 1995, la population bruxelloise a donc de nouveau atteint et même légèrement dépassé aujourd’hui son maximum historique. Au niveau régional, cette situation engendre une tension importante dans le secteur du logement ainsi qu’au niveau des services à la population (crèches, écoles,…) qui connaissent tous deux une saturation importante.

Comprendre l’évolution en cours

L’évolution de la population peut être expliquée par la combinaison de trois facteurs : le solde de migrations internes, le solde de migrations externes et le solde naturel. Comme les années précédentes, les deux derniers soldes sont nettement positifs pour Bruxelles en 2011, ce qui explique que sa population continue à augmenter, malgré la poursuite de l’exode des classes moyennes vers la périphérie.

Le solde naturel (+9 179) se calcule en faisant la différence entre le nombre de naissances (+18 612) et le nombre de décès (-9 433). Ce solde est positif et en croissance depuis 1985. Il augmente car le nombre de naissances augmente, en particulier dans les quartiers populaires, et parce que le nombre de décès diminue suite à la diminution du nombre de seniors dans la population et à l’augmentation de l’espérance de vie.

Le solde de migrations externes est la différence (+29 406) entre les personnes qui viennent de l’étranger pour vivre à Bruxelles (+55 590) et les Bruxellois qui sont partis vivre à l’étranger (-26 184). Il est intéressant de noter que Bruxelles absorbe plus d’un tiers (36,4%) des migrants venus s’installer en Belgique. Une partie non négligeable de ceux-ci sont des ménages d’origine modeste.

Le solde de migrations internes (-12 819) est la différence entre le nombre de personnes quittant la Flandre ou la Wallonie pour venir habiter en région bruxelloise (+89 966) et les Bruxellois qui ont quitté la capitale pour une autre région (-102 785).

Ceci illustre clairement que derrière les chiffres du « boom démographique » se cache un triple phénomène. Premièrement, un départ de la classe moyenne, généralement des ménages avec enfants, vers la périphérie. Deuxièmement, une augmentation de la taille des ménages aux revenus modestes qui n’ont pas les moyens (et peut-être pas l’envie non plus) de chercher un logement plus grand et plus adapté en périphérie. Troisièmement, l’arrivée de nouveaux habitants, qui se répartissent environ à parts égales en deux catégories très différentes : d’une part des personnes aux revenus élevés qui ont une grande mobilité professionnelle et internationale, et d’autre part des personnes ou ménages d’origine modeste, venues chercher à Bruxelles un avenir meilleur.

Il est donc évident, au vu du profil socio-économique de nos nouveaux habitants, que le défi pour Bruxelles, n’est et ne sera pas tant d’augmenter l’offre de logements que de rendre celle-ci plus accessible et adaptée à tous les ménages bruxellois, et en particulier donc aux ménages à bas revenus.

La population la plus jeune du pays

La population bruxelloise se distingue de celle des deux autres régions en termes de structure par âge : elle continue de rajeunir alors que les autres vieillissent. En 2010, l’âge moyen est de 37,6 ans en région bruxelloise contre 41,7 ans en Flandre et 40,4 ans en Wallonie.

Les flux migratoires contribuent au rajeunissement constant de la population adulte de Bruxelles. Les chiffres de population au 1er janvier 2011, montrent que parmi les étrangers, on trouve une plus grande proportion de jeunes adultes mais une plus petite proportion de personnes âgées que chez les Belges. La proportion de jeunes enfants est plus petite parmi les étrangers, ce qui s’explique en partie par les naturalisations.

Parallèlement (et en partie grâce) à son flux continu d’immigration internationale, Bruxelles contribue aussi dans une large mesure à la dynamique des migrations internes de la Belgique. Cet échange est loin d’être neutre en termes d’âge et de composition du ménage. Le flux entrant consiste quasi exclusivement en des personnes jeunes, souvent célibataires et pour la plupart locataires.

Le flux sortant est majoritairement constitué de classes d’âge un peu plus âgées. Ce sont souvent des ménages avec enfants, ce qui se traduit par des soldes migratoires négatifs au-dessus de 30 ans et en dessous de 15 ans. La rareté de l’offre de logements à acquérir à un prix abordable reste la principale motivation à l’exode de la capitale.

« Spécialisation démographique » des communes

Les chiffres à l’échelle régionale masquent toutefois des réalités locales très contrastées. En y regardant de plus près, on constate des évolutions démographiques parfois fort différentes selon les communes, allant d’une faible diminution de la population pour certaines à une forte croissance pour d’autres. Il en résulte une différence dans les structures d’âges : vieillissement d’Uccle et de Watermael-Boitsfort ou, au contraire, rajeunissement d’Anderlecht.

On parle ainsi d’une « spécialisation démographique » des communes bruxelloises. Globalement, un clivage nord-ouest/sud-est sépare les communes, au nord-ouest, plus peuplées et qui devraient continuer à croître plus vite que la moyenne dans la décennie en cours, et les communes du sud-est, des communes souvent moins densément peuplées, et dont la croissance devrait continuer à être plus modérée que la moyenne.

Par ailleurs, la croissance démographique des communes est elle-même loin d’être homogène. Une forme d’essoufflement se dessinerait à Ixelles ou à Evere, alors qu’une certaine accélération serait au contraire de mise à St-Gilles. Les communes ne semblent pas non plus toutes être au même stade de « re-densification ». Si certaines ont rattrapé leur maximum historique, d’autres en sont encore loin (St-Gilles +/- 48 000 habitants en 2012 pour 70 000 en 1939).

Une proportion importante de la population est pauvre

Plus d’un quart de la population bruxelloise vit avec un revenu inférieur à celui du seuil de risque de pauvreté. Cette proportion est bien plus élevée que dans l’ensemble du pays, en Flandre et en Wallonie.

En Belgique en 2010, ce seuil est de 11 678 € par an, soit 973 € par mois pour un isolé. Pour un parent isolé avec deux enfants, le seuil est de 1 557 € par mois, pour un couple avec deux enfants, il est de 2 044 € par mois. En 2011, le seuil de pauvreté pour un isolé s’élève à présent à 1 000 € par mois [9].

Notons par ailleurs que la plupart des allocations minimales de remplacement de la sécurité sociale (allocations de chômage, allocations d’attente, …) et celles de l’aide sociale (revenu d’intégration, alloué par les CPAS, allocation pour handicapés, GRAPA pour les personnes âgées) sont inférieures à ce seuil international de pauvreté.

Une alternative pour définir un seuil de revenu est de travailler avec un « budget standard ». C’est le budget dont il faut pouvoir disposer pour acheter un panier de biens et services nécessaires. Celui-ci prend en compte les besoins fondamentaux qui doivent être satisfaits pour vivre dans la dignité humaine [10]. Alors que le seuil de risque de pauvreté est basé sur le revenu disponible, le budget standard est défini sur base du revenu nécessaire. Le budget standard est plus élevé à Bruxelles que dans le reste du pays. En d’autres termes, le coût de la vie est plus élevé à Bruxelles, ce qui aggrave la pauvreté en cas de bas revenu. Ainsi en va-t-il très certainement pour l’accès au logement.

Disparité de revenus entre les communes

Entre 2008 et 2009, le revenu médian par déclaration a augmenté légèrement à Bruxelles et dans les autres grandes villes du pays. Ce revenu est plus élevé à Bruxelles qu’à Liège et Charleroi mais plus bas qu’à Anvers et Gand. Le revenu médian par déclaration varie de 13 229 € à St-Josse à près du double (22 877 €) à Woluwe-St-Pierre. Il y a aussi des grandes différences de revenu médian par déclaration entre les quartiers bruxellois.

Par ailleurs, les inégalités de revenus sont plus marquées en région bruxelloise que dans l’ensemble du pays : les 10% de déclarations les plus élevées représentent 35% du total des revenus imposables à Bruxelles pour 31,9% en Belgique.

Le budget alloué par les ménages au logement étant en hausse constante, cette disparité de revenus entre communes et, de manière générale, le clivage nord-ouest/sud-est de la ville, se retrouve assez logiquement dans l’occupation des logements. En effet, on constate une importante sur-occupation et des besoins non satisfaits des ménages dans le centre et les communes de la 1e couronne et, au contraire, une sous-occupation et des besoins sur-satisfaits principalement dans le sud-est. Ces données indiquent clairement pour quel public se font ressentir le plus clairement les besoins en termes de logement.

Par ailleurs, la cartographie de la Région à l’aune de différents critères (âges, revenus, logements, accès aux équipements,…) ne peut qu’interpeller. Va-t-on perpétuer le clivage nord-ouest/sud-est ? N’est-il pas plus que temps de réfléchir autrement à l’aménagement du territoire, en tablant notamment sur le potentiel représenté par les familles jeunes pour revitaliser les communes vieillissantes ?

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Conclusion

C’est sur base de l’ensemble des constats développés ci-dessus que devrait être réfléchie toute planification pour répondre aux besoins des habitants de Bruxelles, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain. Sans pour autant agiter des messages catastrophistes qui ne font que brouiller les pistes, l’évolution démographique et sociologique de la région bruxelloise implique de reconnaître que les défis dans le domaine de la pauvreté s’accroissent. L’accessibilité des ménages à bas revenus à un logement décent et abordable ainsi qu’aux services constituent des enjeux majeurs et incontournables pour notre région. La création d’emplois à destination des personnes peu qualifiées en est un autre.

Nous regrettons que ces préoccupations n’aient pas été reprises par le gouvernement qui aurait pu saisir l’opportunité du PRAS démographique pour s’en saisir. Au lieu de cela, le défi démographique sert à légitimer une politique de développement territorial exclusivement orientée vers la valorisation du foncier, qu’il soit public ou privé, et donc vers le profit.

Pendant ce temps, la construction de logements sociaux reste totalement insuffisante au regard de la demande, tandis que les quartiers populaires sont soumis à la pression des promoteurs et du politique qui y autorise un nombre croissant de logements neufs à destination des classes moyennes et supérieures. Faute de solutions à leur portée, les plus pauvres eux continuent à s’entasser, toujours un petit peu plus, dans des logements trop chers et mal équipés.


[1BFP, Outils et méthodes du Bureau fédéral du Plan, septembre 2006.

[2Selon le BFP (2011), 1 270 862 en 2020 ; selon l’IBSA, 1 230 636 en 2020, selon l’étude commandée par le Ministre Cerexhe,1 329 000 en 2020.

[3Arau, 2012. Explosion démographique : gare aux Projections..., www.arau.org.

[4Amel Bahri, Bruno Schoumaker & François Peltier. Projections de la population en Belgique et en France depuis les années 1930. Confrontation à la réalité et identification des erreurs, UCL, 2009.

[5STRATEC, 2000. Quelques impacts du futur RER sur la région bruxelloise et sa périphérie : www.stratec.be/files/articles/IMPACTSRER2-FB.pdf.

[6Arau, 2012. Op cit.

[7Adriaenssens, S., van Meeteren, M., Pacolet, J., De Wispelaere, F., Hendrickx, J., Engbersen, G. (2009). De ongekende samenleving : Schattingen en inzichten over irreguliere migranten en economische schaduwactiviteiten. In : Vanderleyden, L., Callens, M. en Noppe, J., Studiedienst Vlaamse Regering. Sociale Staat van Vlaanderen 2009. Bruxelles : Vlaamse Regering (pp. 335-362).

[8Service Public fédéral des Affaires étrangères, 24/08/2012.

[9Ce seuil de risque de pauvreté est calculé annuellement pour chaque pays par rapport au revenu disponible médian du pays, le revenu médian étant le revenu réel qui partage exactement en deux la population. La moitié de la population dispose d’un revenu plus élevé que le revenu médian, l’autre moitié d’un revenu moins élevé.

[10Stroms & Van den Bosch, 2009.