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Augmentation de la population à Bruxelles… oui mais laquelle et où ?

Quelles que soient les incertitudes qui pèsent sur les projections démographiques à moyen terme et surtout à long terme), un certain nombre d’études tant sociologiques que démographiques ou, mieux dit, de géographie humaine, révèlent des évolutions déjà en cours depuis des années au sein de la population bruxelloise et des besoins auxquels les autorités publiques doivent s’atteler à répondre, notamment en termes de logements et d’équipements.

Mais, pour ce faire, il faut dépasser l’approche purement quantitative et l’agitation des seules prévisions globales, comme le fait malheureusement le PRAS dit « démographique ».

L’article ci-dessous, même s’il reste fort chiffré, développe plus finement les caractéristiques de la population bruxelloise actuelle et décrit sa répartition sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, répartition qui reste fort marquée par le clivage nord-ouest/sud-est.

Il met également en exergue des atouts de la Région bruxelloise, telle que la jeunesse de sa population.

Les données avérées ou presque

Quant à nous, nous partirons de données avérées ou, tout au moins, les plus proches de la réalité au 1er janvier 2011, à savoir celles additionnées par le rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2012 [1]. En effet, celles-ci comprennent les données du registre national, celles du registre d’attente, les personnes ayant un statut diplomatique ainsi qu’une évaluation concernant les personnes dites « sans-papiers ».

Au 1er janvier 2011, la Région de Bruxelles-Capitale comptait officiellement 1 119 088 habitants (542 383 hommes et 576 705 femmes), soit une augmentation de 1,0 % par rapport au 1er janvier 2010 (1 089 538 habitants)

Au 1er janvier 2012, le Registre national renseigne 1 146 481 habitants.

Outre la population officielle, la Région bruxelloise compte aussi un certain nombre de personnes qui y habitent mais ne sont pas enregistrées dans le Registre national : des candidats réfugiés, des étudiants, du personnel diplomatique ou des personnes en situation irrégulière, dites « sans-papiers ».

Les candidats réfugiés constituent une grande part de ces personnes non reprises dans les données officielles. Ils sont repris dans le Registre d’attente. Au 1er janvier 2012, on comptait en Région bruxelloise 8 874 personnes inscrites dans le Registre d’attente (au lieu de 9 455 au 1er janvier 2011).

Pour les autres catégories de personnes non reprises dans les statistiques officielles, on ne dispose que d’estimations : il y aurait 100 000 personnes en situation irrégulière en Belgique dont une bonne part en Région bruxelloise (Adriaenssens et al., 2009) et il y a environ 12 300 personnes ayant un statut diplomatique vivant à Bruxelles (Service Public fédéral des Affaires étrangères, 24/08/2012).

Une population totale en augmentation depuis 1995

Depuis 1995, la population bruxelloise augmente. Quant au nombre de personnes inscrites au Registre d’attente, il augmente entre 1996 et 2001 puis diminue. Ces tendances sont influencées par les politiques de régularisation, le nombre de places disponibles dans les différents centres d’accueil, etc. (pour plus d’informations, voir les rapports annuels 2010 et 2011 « Migration » du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, accessibles sur le site www.diversite.be).

Figure 2-1 : Évolution de la population en Région bruxelloise, 1964-2010.

L’évolution de la population de la Région bruxelloise peut être expliquée par la combinaison de trois facteurs : le solde de migrations internes, le solde de migrations externes et le solde naturel. Comme les années précédentes, les deux derniers soldes sont positifs pour Bruxelles en 2011, ce qui explique que sa population continue à augmenter.

Le solde naturel (+ 9 179) se calcule en faisant la différence entre le nombre de naissances (+18 612) et le nombre de décès (- 9 433). Ce solde est positif et en croissance depuis 1985. Il augmente car le nombre de naissances augmente année après année et parce que le nombre de décès diminue depuis un certain nombre d’années suite à la diminution du nombre de seniors dans la population et à une augmentation de l’espérance de vie.

Il ne faut pas nécessairement en déduire que le nombre d’enfants par femme augmente systématiquement. L’indicateur de fécondité a l’inconvénient d’être sensible au changement du moment où les enfants arrivent dans la famielle, en plus de leur nombre. Lorsque les femmes ont tendance à retarder les naissances sans en modifier le nombre, l’indicateur diminue ; lorsque le mouvement de retard cesse, l’indicateur augmente. Jusqu’à la fin des années 90, le retard des jeunes générations pour fonder une famille a été l’une des principales raisons de la baisse de l’indicateur de fécondité. Le rattrapage des naissances après l’âge de 30 ans, celle de la légère hausse de la fécondité ensuite.

Le solde de migrations internes (-12 819) est la différence entre le nombre de personnes quittant la Flandre ou la Wallonie pour venir habiter en Région bruxelloise (+89 966) et les Bruxellois qui ont quitté la capitale pour une autre région (- 102 785). Le solde de migrations externes est la différence (+ 29 406) entre les personnes qui viennent de l’étranger pour vivre à Bruxelles (+ 55 590) et les Bruxellois qui sont partis vivre à l’étranger (-26 184).

Il est intéressant de noter, à ce sujet, que Bruxelles absorbe plus d’un tiers (36,4 %) des immigrants venus de l’étranger pour s’installer en Belgique.

Le solde total est la somme des soldes migratoires et du solde naturel.

Évolution des soldes naturels et migrations en région bruxelloise, 2004-2010.

La population la plus jeune du pays

La population bruxelloise se distingue de celle des deux autres régions en termes de structure par âge : elle continue de rajeunir alors que les autres vieillissent. En 2010, l’âge moyen est de 37,6 ans en Région bruxelloise contre 41,7 ans en Flandre et 40,4 ans en Wallonie. Entre 2000 et 2011, l’indice de vieillissement bruxellois a diminué (-14,8 %) alors qu’il a globalement augmenté en Belgique au cours de cette période (+ 3,6 %).

Il est aussi intéressant de noter que l’indice d’intensité du vieillissement (% des 80 ans et plus parmi les 65 ans et plus), lui, a augmenté à Bruxelles et ce plus fortement que dans le reste du pays : autrement dit, s’il y a relativement moins de personnes âgées à Bruxelles (65 ans et plus), celles-ci sont relativement plus âgées que dans les deux autres régions (80 ans et plus).

La figure suivante compare la pyramide des âges des Bruxellois en 2000 et 2011 et permet de mettre en évidence le phénomène de rajeunissement de la population : élargissement de la base et rétrécissement du sommet (les 65 +).

© Direction générale Statistique et information économique - 2012

Histogramme de la population en Région bruxelloise au 01/01/2000 et au 01/01/2010.

Les chiffres de population au 1er janvier 2011, à droite de la pyramide mettent en évidence la différence de structure par âge entre les Belges et les étrangers. Parmi les étrangers, on trouve une plus grande proportion de jeunes adultes mais une plus petite proportion de personnes âgées que chez les Belges.

La proportion de jeunes enfants est plus petite parmi les étrangers. Cela s’explique en partie par les naturalisations.

Une population qui s’internationalise

Au 1er janvier 2010, 30,0 % de la population est de nationalité étrangère contre 9,5 % en Flandre et 9,8 % en Wallonie. Près de deux tiers des non-Belges sont européens (environ 15 % d’entre eux viennent d’un des 12 pays nouveaux membres). Ensuite, ce sont les Marocains qui sont les plus nombreux (>10 % des étrangers). [2] Ces chiffres sont basés sur la nationalité actuelle et non pas sur celle d’origine. Il s’agit donc de la population étrangère et pas de la population d’origine étrangère. En réalité, la diversité des origines et des cultures de la population bruxelloise est plus grande encore.

Cette évolution est comparable à celle de toutes les grandes villes d’Europe.

Les flux migratoires contribuent au rajeunissement constant de la population adulte de Bruxelles.

Parallèlement (et en partie grâce) à son flux continu d’immigration internationale, Bruxelles contribue aussi dans une large mesure à la dynamique des migrations internes de la Belgique et, par ricochet, au rajeunissement de la population en Flandre et en Wallonie.

Cet échange avec la Flandre et la Wallonie n’est pas neutre en termes d’âge et de composition du ménage. Le flux entrant consiste quasi exclusivement en des personnes jeunes, souvent célibataires et pour la plupart locataires. Le flux sortant est majoritairement constitué de classes d’âge un peu plus âgées. Ce sont souvent des ménages avec enfants, ce qui se traduit par des soldes migratoires négatifs au-dessus de 30 ans et en dessous de 15 ans. La rareté de l’offre de logements à acquérir à un prix abordable (et qui soient relativement confortables) reste la principale motivation à l’exode de la capitale. A l’intérieur de la Région, l’intensité des déménagements varie également de manière sensible suivant les quartiers.

« Spécialisation démographique » des communes

En y regardant de plus près, on constate des évolutions démographiques contrastées selon les communes ou une « spécialisation démographique » des communes bruxelloises, en particulier en ce qui concerne les structures d’âge : ainsi du vieillissement d’Uccle et de Watermael-Boitsfort ou, au contraire, du rajeunissement d’Anderlecht.

Les données détaillées par âge pour les 19 communes bruxelloises sont disponibles de 1990 à 2008 (au 1er janvier) auprès de la Direction générale Statistique et Information économique (DGSIE) dépendant du SPF Economie. Il est également possible d’obtenir, sur base du Registre national, des chiffres de populations communales totales, sans le registre d’attente pour 2009 et 2010, sans toutefois avoir la répartition par âge. Sur ces bases, l’IBSA a calculé des projections démographiques communales bruxelloises de 2010 à 2020 (Les Cahiers de l’IBSA, n°1, mai 2010, volet B).

Il résulte de cette étude que le clivage nord-ouest/sud-est, existant sur la décennie passée, est globalement reconduit. Il sépare les communes, au nord-ouest, plus peuplées que la moyenne et qui devraient continuer à croître plus vite que la moyenne régionale dans la décennie en cours, et les communes du sud-est, des communes souvent moins densément peuplées, et dont la croissance devrait continuer à être plus modérées que la moyenne régionale. Dans le détail, une forme d’essoufflement se dessinerait à Ixelles (qui semble avoir atteint un maximum dans sa forme actuelle de spécialisation centrée sur les jeunes adultes) et Evere, alors qu’une certaine accélération serait de mise à Saint-Gilles et Saint-Josse.

Les évolutions démographiques appellent donc des solutions adaptées aux spécificités de chaque commune ou type de quartier, quitte à essayer de « renverser la vapeur », par exemple, en prenant des dispositions permettant à des familles plus jeunes de s’installer dans les communes vieillissantes et en développant l’habitat intergénérationnel.

Des disparités semblables entre communes s’observent également en matière de revenus et en matière de stock de logements (voir plus bas).

Une proportion importante de la population est pauvre

En termes statistiques, la pauvreté s’approche selon différents indicateurs et critères de référence.

Le seuil de risque de pauvreté
Plus d’un quart de la population bruxelloise vit avec un revenu inférieur à celui du seuil de risque de pauvreté. Cette proportion est bien plus élevée que dans l’ensemble du pays, en Flandre et en Wallonie. Cette comparaison très générale n’exclut pas l’existence d’une grande pauvreté dans certaines grandes villes wallonnes, comme à Charleroi (voir les statistiques fiscales plus bas).

Pourcentage de la population sous le seuil de risque de pauvreté par région, revenus 2008.

L’indicateur de pauvreté le plus utilisé au niveau international est le pourcentage de la population qui vit dans un ménage qui ne dispose que d’un revenu inférieur au seuil de risque de pauvreté (PANincl). Sur base d’une enquête détaillée (EU-SILC), ce seuil de risque de pauvreté est calculé annuellement pour chaque pays par rapport au revenu disponible médian du pays [3]. En Belgique en 2010 (sur base des revenus 2009), ce seuil est de 11 678 € par an soit 973 € par mois pour un isolé. Pour un parent isolé avec deux enfants, le seuil est de 1 557 € par mois, pour un couple avec deux enfants il est de 2 044 € par mois.

En 2011, le seuil de pauvreté pour un isolé s’élève à présent à 1 000 euros par mois.

Notons ici que la plupart des allocations minimales de remplacement de la sécurité sociale (allocations de chômage, allocations d’attente, …) et celles de l’aide sociale (revenu d’intégration, alloué par les CPAS, allocation pour handicapés, GRAPA pour les personnes âgées) sont inférieures à ce seuil international de pauvreté.

Un indicateur de revenu subjectif
Le PANincl contient aussi un indicateur de revenu subjectif : le pourcentage de personnes vivant dans un ménage dont la personne de référence estime que son ménage n’arrive que difficilement ou très difficilement à « joindre les deux bouts ». En 2009, ce pourcentage s’élèvait à 34,8 %. Pour cet indicateur aussi la Région bruxelloise se situe bien au delà de la moyenne belge (21,1 %), de la Flandre (15,2 %) et de la Wallonie (27,4 %) (EU-SILC 2009)

Selon un « budget standard »
Une alternative pour définir un seuil de revenu est de travailler avec un « budget standard ». C’est le budget dont il faut pouvoir disposer pour acheter un panier de biens et services nécessaires. Celui-ci prend en compte les besoins fondamentaux qui doivent être satisfaits pour vivre dans la dignité humaine (Stroms & Van den Bosch, 2009). Alors que le seuil de risque de pauvreté est basé sur le revenu disponible, le budget standard est défini sur base du revenu nécessaire. Le tableau 3-1 donne le budget standard par type de logement et composition de ménages sans revenu du travail. Le budget standard est plus élevé à Bruxelles que dans le reste du pays (Storms & Van den Bosch, 2010). En d’autres termes, le coût de la vie est plus élevé à Bruxelles, ce qui aggrave la pauvreté en cas de bas revenu.

Ainsi en va-t-il très certainement pour l’accès au logement.

Disparités de revenus entre les communes

Les statistiques fiscales permettent d’analyser les revenus imposables des Bruxellois. Entre 2008 et 2009, le revenu médian par déclaration a augmenté légèrement à Bruxelles et dans les autres grandes villes du pays ). Ce revenu est plus élevé à Bruxelles qu’à Liège et Charleroi mais plus bas qu’à Anvers et Gand. Le revenu médian par déclaration varie de 13 229 € à Saint-Josse à près du double (22 877 €) à Woluwe-Saint-Pierre. Il y a aussi des grandes différences de revenu médian par déclaration entre les quartiers bruxellois.

La carte qui suit est très représentative à cet égard.

Revenu médian par déclaration, par secteur statistique, Région bruxelloise (revenus 2009, déclaration 2010).

Par ailleurs, les inégalités de revenus sont plus marquées en région bruxelloise que dans l’ensemble du pays : les 10 % de déclarations les plus élevées représentent 35 % du total des revenus imposables à Bruxelles pour 31,9 % en Belgique.

Disparités des stocks de logement entre les communes

La disparité entre communes et, de manière générale, le clivage nord-ouest/sud-est de la ville est également notable en ce qui concerne le stock des logements.

En effet, on constate une importante sur-occupation et des besoins non satisfaits des ménages dans le centre et les communes de la 1ère couronne et, au contraire, une sous-occupation et des besoins sur-satisfaits principalement dans le sud-est.

© IBSA - 2012

Variable synthétique de l’adéquation entre le stock de logement et les besoins des ménages. (document IBSA mai 2010, volet B)

Parmi les constats concommitants à la sous-occupation dans le sud-est de Bruxelles, et outre des revenus plus élevés permettant souvent d’accéder à la propriété, il faut retenir la présence d’une population plus âgée, dont les enfants ont généralement quitté le ménage.

Ceci nous renvoit à la répartition de la structure des âges à Bruxelles aujourd’hui ainsi qu’aux modifications intervenues depuis une trentaine d’années dans la structure des ménages, problématique que nous développons par ailleurs.

Conclusion

C’est sur base de l’ensemble des constats développés ci-dessus que doit être réfléchie toute planification pour répondre aux besoins des habitants de Bruxelles, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain. Sans pour autant agiter des messages catastrophistes qui ne font que brouiller les pistes, l’évolution démographique et sociologique de la Région bruxelloise implique de reconnaître que les défis dans le domaine de la pauvreté s’accroissent.

Par ailleurs, la cartographie de la Région à l’aune de différents critères (âges, revenus, logements, accès aux équipements,…) ne peut qu’interpeller. Va-t-on perpétuer le clivage nord-ouest/sud-est ? N’est-il pas plus que temps de réfléchir autrement à l’aménagement du territoire, en tablant notamment sur le potentiel représenté par les familles jeunes pour revitaliser les communes vieillissantes ?

Marie-Anne Swartenbroekx


[1Observatoire de la santé et du social Bruxelles, Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2011 et 2012,
www.observatbru.be.

[2Les chiffres sur la nationalité considérés ici datent de 2008.

[3Revenu médian : revenu réel qui partage exactement en deux la population. La moitié de la population dispose d’un revenu plus élevé que le revenu médian, l’autre moitié d’un revenu moins élevé.