La voiture nuit à la ville et à ses habitants, notamment par son stationnement en voirie qui accapare de l’espace public précieux, empêchant son utilisation à d’autres fins : déplacements piétons et cyclistes sécurisés et confortables, verdurisation, fonctions de « séjour »… Selon certains discours simplistes, reporter le stationnement en dehors de la voirie suffirait dès lors à régler ces problèmes. C’est oublier que, même « loin des yeux », les parkings continuent à dégrader l’habitabilité de la ville.
La réglementation du stationnement (nombre d’emplacements, tarifs…) est un levier incontournable des politiques de mobilité. La disponibilité de places de parking est en effet un incitant majeur à l’utilisation de la voiture : c’est le deuxième facteur le plus déterminant (après la possession d’un véhicule) dans le choix de ce mode de déplacement [1]. Autrement dit, plus l’offre de stationnement est importante, plus elle « génère » de trafic automobile. Qu’elle soit située en voirie ou hors voirie, une place de parking reste une place de parking : « compenser » la suppression du stationnement dans l’espace public par la création d’emplacements dans des parkings souterrains n’aurait donc qu’un effet limité sur le trafic « généré » [2]. Si l’on veut diminuer le volume du trafic automobile, il faut diminuer le nombre global (voirie et hors voirie) de places de parking et donc commencer par arrêter d’en créer de nouvelles…
La disponibilité de places de parking est un incitant majeur à l’utilisation de la voiture.
C’est en ces termes que Bruxelles Mobilité qualifie la situation dans la Région [3]. Si le cadastre précis semble difficile à établir [4], une présentation récente de l’agence régionale bruxelloise du stationnement [5] faisait état d’un ratio de 0,83 place de parking par habitant (contre 0,36 à Paris). Malgré cette surabondance, de nouvelles places de parking continuent à être régulièrement créées. C’est notamment le cas dans les projets immobiliers pour lesquels le Règlement régional d’urbanisme (RRU) impose toujours un minimum d’un emplacement de stationnement par logement : une réglementation totalement anachronique, héritée des années 1970 (la « fameuse » circulaire De Saeger, du nom du ministre des Travaux publics de l’époque). Au nombre de places de parking supprimées en voirie, que l’on peut par exemple observer à l’occasion de réaménagements d’espaces publics, il faut soustraire celui des places créées hors voirie pour obtenir un chiffre net de baisse (ou d’augmentation) de l’offre globale de stationnement. Pour autant qu’il soit atteint, l’objectif de la Région de supprimer 65 000 places en voirie d’ici à 2030 ne se traduirait donc pas par une baisse nette de 65 000 places.
Les effets de la création de nouveaux parkings hors voirie ne se limitent pas au seul domaine de la mobilité : les coûts sont aussi sociaux et environnementaux. Les parkings émettent d’importantes quantités de gaz à effet de serre, non seulement par le trafic automobile qu’ils génèrent, mais aussi par leur construction qui nécessite de grandes quantités de béton, en particulier dans le cas d’ouvrages souterrains. Pire encore, il n’est pas rare que la volonté d’intégrer un parking dans un projet immobilier implique une opération de démolition-reconstruction plutôt qu’une rénovation de bâtiments, ce qui alourdit encore plus le bilan carbone. L’alternative, moins « bétonivore » et moins chère, de créer des parkings de plain-pied à l’air libre constitue quant à elle un formidable gaspillage d’espace : de tels projets sont d’ailleurs de plus en plus rares en ville et sont plutôt l’apanage des zones périurbaines.
Construire des parkings hors voirie représente aussi un coût financier important : jusqu’à 45 000 euros la place en souterrain, selon certains promoteurs immobiliers. Dans le cas de parkings créés dans le cadre de projets immobiliers, ce coût se répercute sur les acquéreurs : soit parce que l’emplacement est vendu en « lot » avec le logement, soit parce que le promoteur, incertain de « rentrer dans ses frais » en vendant tous les emplacements à prix suffisamment élevés, augmente le prix des logements pour garantir sa marge bénéficiaire. Dans le cas de projets immobiliers publics, c’est à la collectivité de supporter ces coûts [6].
La création de parkings hors opération immobilière, comme des parkings publics [7] sous la voirie, ne peut être rentable qu’à certaines conditions. Ainsi, les promoteurs privés d’un projet non réalisé de parking sous la place Lehon, à Schaerbeek, avaient listé toute une série de critères comme l’« obligation » pour la commune d’y prendre des abonnements pour ses véhicules, la suppression de nombreuses places de parking en voirie ou encore l’affectation des charges d’urbanisme (censées bénéficier à la collectivité) à l’aménagement d’installations faisant partie intégrante du fonctionnement du parking (rampes d’accès, édicules pour les ascenseurs…). Dans le cas de parkings publics développés par des opérateurs publics, c’est à la collectivité de combler la différence entre les recettes générées par le parking et les coûts de construction et d’entretien. En cas de politique tarifaire « bon marché » ou gratuite, comme c’est par exemple le cas pour le parking de transit (P+R) Ceria à Anderlecht, les coûts pour la collectivité sont encore plus élevés. Construire ces P+R dans des ouvrages « en surface », et non pas en souterrain, peut alléger la facture des chantiers mais constitue alors un gaspillage du foncier public, qui doit être mobilisé pour répondre aux besoins des Bruxellois en matière de logements abordables et d’équipements collectifs [8]].
Si la Région veut se doter d’une politique de stationnement qui renforce significativement l’habitabilité de la ville, il lui faudra non seulement passer par la réduction du stationnement en voirie et par l’imposition d’un « stop » à la création de nouveaux emplacements mais aussi par une diminution du « stock » existant. Il existe une disposition en ce sens dans le Code bruxellois de l’air, du climat et de la maîtrise de l’énergie (COBRACE). Celle-ci vise les parkings « excédentaires » des entreprises, c’est-à-dire les emplacements accordés selon d’anciennes réglementations plus « souples » qu’actuellement et qui ne seraient donc plus autorisées aujourd’hui. Mais la portée de cette disposition est bien trop limitée : d’une part des dérogations peuvent être octroyées, dans certains cas, pour maintenir le stationnement « excédentaire », d’autre part les entreprises ont le choix de payer une taxe ou de mettre ces emplacements à disposition des riverains plutôt que de les supprimer. D’après le ministre de l’Environnement, Alain Maron, seules 3 263 places ont ainsi été supprimées entre 2014 et début 2022 [9]. La Région doit donc se doter d’outils plus efficaces (règlements, plans…) pour s’attaquer au « stock » existant.
Outre ses effets bénéfiques sur la mobilité, la suppression de parkings existants hors voirie est aussi une manière de récupérer de l’espace et de le consacrer à des fonctions bien plus utiles. Si les possibilités de conversion de parkings souterrains sont limitées par une série de contraintes (absence de lumière naturelle, faible hauteur sous plafond, etc.), les parkings de plain-pied à l’air libre, ou encore les « box » de garage en intérieur d’îlot, offrent quant à eux des possibilités de conversion bien plus aisées et nombreuses. Une étude [10] publiée en 2013 dans le cadre de l’élaboration du Plan régional de développement durable (PRDD) avait recensé pas moins de 2,2 millions de mètres carrés de parkings à l’air libre dans la Région. Pour donner un ordre de grandeur, cette superficie représente plus de neuf fois celle du site du projet de Plan d’aménagement directeur (PAD) Josaphat et près du double de celle de la commune de Saint-Josse !
Ces différents parkings n’offrent certes pas tous les mêmes possibilités de conversion : les usages nouveaux qu’il est possible d’en faire dépendent notamment de leur taille et de leur configuration. Plusieurs de ces parkings ont déjà fait l’objet de projets de transformation en vue d’y accueillir des logements : c’est par exemple le cas de parkings de la grande distribution (Woluwe Shopping, supermarché Carrefour à la Bascule). D’autres sont repris dans des périmètres de PAD et font l’objet de plans visant à les urbaniser (hypermarché Carrefour d’Auderghem, P+R Delta). Il est cependant regrettable que ces projets et plans prévoient le maintien de très nombreuses places de parking (enterrées) qui continueraient à « aspirer » du trafic automobile et qui limiteraient les surfaces de pleine terre. Les « box » de garage, qui mitent de nombreux intérieurs d’îlot à Bruxelles, peuvent eux aussi laisser place à d’autres fonctions via des transformations (espaces de coworking, petits ateliers ou logements quand les conditions le permettent) ou des démolitions laissant place à des espaces verts, privatifs ou publics en fonction des caractéristiques des îlots concernés.
Le potentiel de conversion ne concerne pas que les parkings privés mais aussi ceux des différentes institutions publiques (communales, régionales, fédérales, européennes). La Région est notamment propriétaire de plusieurs terrains où se trouvent des parkings à l’air libre, comme ceux qui accueillent les P+R. Sur certains d’entre eux (P+R Stalle à Uccle, P+R Crainhem à côté de la station de métro du même nom), elle envisagerait d’ériger des bâtiments de plusieurs niveaux afin d’augmenter la capacité de stationnement pour les navetteurs. Alors que le foncier public est rare et que les besoins en logements abordables sont toujours plus criants, projeter d’y construire des bâtiments pour les voitures plutôt que pour les habitants est incompréhensible et inadmissible.
Pas moins de 2,2 millions de mètres carrés de parkings à l’air libre dans la Région.
Les dégâts causés par la voiture sur la ville sont connus : graves atteintes à la santé des habitants par la pollution, le bruit et le stress, accaparement de l’espace public, dégradation de la mobilité, émissions massives de CO 2 … Rendre les voitures plus « propres » en les électrifiant ou les soustraire aux regards en les stationnant « loin des yeux » ne sont que des manières de déplacer les problèmes et/ou d’en créer des nouveaux. « Stocker la ferraille » en-dehors des rues, places et avenues est certes « moins pire » que voir de longues enfilades de voitures le long des trottoirs. Mais ce n’est pas sans conséquences : le stationnement hors voirie a d’importants coûts sociaux et environnementaux. Il empêche en outre de consacrer une part non négligeable de foncier, rare et précieux, à des usages qui rencontrent bien plus les intérêts des habitants : logements abordables, espaces verts, équipements collectifs…
La Région s’est récemment lancée dans une vaste révision de ses outils urbanistiques (PRAS, RRU, CoBAT…) : l’occasion d’arrêter de vouloir cacher la poussière sous le tapis et d’établir une vision tournée vers l’avenir de la politique de stationnement.
[1] Cahiers de l’Observatoire de la mobilité de la Région de Bruxelles-Capitale, « Les pratiques de déplacement à Bruxelles » [data.mobility.brussels].
[2] Il faut toutefois prendre aussi en considération le coût du stationnement : « remplacer » des places bon marché en voirie par des places plus chères hors voirie peut contribuer à diminuer la demande.
[3] « Pourquoi le stationnement est-t-il difficile à Bruxelles, malgré une offre importante d’emplacements de parking ? », Diagnostic de mobilité en Région bruxelloise, octobre 2017.
[5] https://www.brupartners.brussels/sites/default/%20files/publications/20191127_D%C3%A9bat_Novembre_%20Stationnement_Pr%C3%A9sentations_3.pdf
[6] Voir l’exemple du projet de démolitionreconstruction du site de logements sociaux « Rempart des moines » où 176 places de parking supplémentaires sont prévues [www.arau.org/fr/rempart-des-moines-toutcasser-pour-tout-caser].
[7] Par parking public on entend un parking accessible à tout public (contrairement aux parkings liés à des logements, des bureaux ou des commerces qui sont réservés aux occupants ou aux visiteurs) mais qui n’est pas forcément géré par un opérateur public.
[8] Outre les coûts et le gaspillage de foncier public, les P+R sont inefficaces et ont même des effets pervers pouvant aggraver les problèmes de mobilité. Voir Créer des parkings de dissuasion à Bruxelles, une fausse bonne idée [www.arau.org/fr/creer-des-parkings-dedissuasion-a-bruxelles-une-fausse-bonne-idee
[9] Parlement bruxellois, question écrite concernant la politique de mutualisation des emplacements de stationnement fixée dans le COBRACE, 18 mars 2022.
[10] Inventaire des lieux de densification potentielle dans la Région de Bruxelles-Capitale, Cooparch – RU, 20 mars 2013.