Inter-Environnement Bruxelles
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Aquiris : le PPP, un modèle qui explose en plein vol…

Fin décembre dernier, la Senne et ses affluents subissaient une grave pollution qui anéantissait toute vie animale et végétale en aval de la Région de Bruxelles-Capitale. En cause, la décision unilatérale de la société Aquiris d’arrêter la station d’épuration de Bruxelles-Nord dont elle est gestionnaire.
Au-delà de l’évaluation des responsabilités de chacun (autorités publiques et gestionnaire privé) qui seront établies par la justice, cet incident mérite la mise en perspective d’un certain nombre de considérations.

Une responsabilité collective dans la gestion de l’eau

La première d’entre elles est que la Région de Bruxelles concentre une population ainsi que de nombreuses activités économiques qui génèrent un volume d’eau usée très important. Ainsi, chaque Bruxellois rejette chaque jour 200 litres d’eau souillée qu’il est impératif d’épurer avant de la rendre au cours d’eau naturel. Il est donc de notre responsabilité à tous de nous préoccuper de nos comportements au quotidien.

Par exemple, alors que plus de 50% de l’eau que consomment les ménages est utilisée pour toilettes, nos besoins individuels en eau potable ne sont que de 10 litres. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de se préoccuper de la prévention en amont et de se fixer au plus tôt des objectifs ambitieux de réduction de la consommation et de rejet d’eau dans le système d’égouttage.

Dès 1990, IEB réclamait cette politique de prévention. Sans elle, on continuera à devoir surdimensionner les équipements de purification. Elle doit concerner principalement quatre axes : l’arrêt du tout à l’égout (40% des eaux charriées par les collecteurs d’égouts sont des eaux claires), la diminution des eaux de ruissellement (il faut favoriser l’infiltration des eaux de pluie dans le sol en réduisant au maximum les zones imperméables), la diminution de la quantité d’eau potable utilisée et last but not least, l’écoconsommation (utiliser des produits d’entretien écologiques, supprimer les pesticides et les engrais chimiques, etc.).

Les partenariats public-privé (PPP) en question

Le montage imaginé au début des années 2000 pour épurer les eaux usées bruxelloises mérite également une attention particulière. Celui-ci s’inscrit dans un contexte politique qui lui était favorable : pression supranationale pour la privatisation des services publics, réduction de la dette, maîtrise des déficits publics, loi sur les marchés publics, etc.

Si le contrat entre la Région bruxelloise et Aquiris s’est conclu sous un gouvernement composé différemment du gouvernement actuel, force est de constater que la tentation du partenariat public-privé reste grande. IEB s’est penché en détails sur deux d’entre eux, conclus sous la précédente législature.

Villo
Deuxième partenariat public-privé conclu sous la législature précédente : le système de vélos libre service (VLS) Villo, confié via une concession de service public de 15 ans à la société Decaux, spécialisé dans la vente de supports publicitaires installés dans l’espace public.
Il faut pointer ici l’absence flagrante de réflexion menée par la Région bruxelloise qui a confié la mise en place des vélos libre service à un opérateur dont la première finalité n’est pas la mise en place d’un service public de mobilité durable. La Région a ici choisi la facilité en se calquant sur un modèle, certes répandu, mais favorisant l’intrusion massive de la publicité dans l’espace public et n’assurant pas une transparence et une maîtrise importante dans le développement du dispositif.

Le BILC
Le défunt projet du BILC, Brussels International Logistic Center, était piloté par la société anonyme BILC SA dont les actionnaires sont le Port de Bruxelles, majoritaire avec une part de 51%, et de Sogaris, société française spécialisée dans les activités logistiques dont la part est de 49%. L’accord entre les parties était le suivant : le Port apportait en nature un terrain, acheté 13 millions d’euros et dont la concession sur 40 ans était valorisée à 3 millions d’euros, à charge du partenaire privé d’apporter la même somme en cash. Il était prévu de financer la construction de l’installation grâce à un prêt octroyé par la Banque européenne d’investissement, un prêt de 25 millions d’euros garantis directement par le gouvernement bruxellois. Les partenaires comptaient faire appel aux banques privées pour financer le reliquat de l’investissement portant l’investissement total à près de 50 millions d’euros.
L’accord prévoyait en outre que l’exploitation de l’installation serait confiée à Sogaris.

Le BILC, selon le site internet de Sogaris, constitue la première expérience d’un concept imaginé par le logisticien français : l’hôtel logistique. Un concept « moderne » qui consiste à « créer sur le même site des locaux dédiés à la logistique urbaine (entrepôts, quai de messagerie), des locaux d’activités (ateliers et bureaux d’accompagnement) et des bureaux, tout en soignant l’esthétique architecturale et l’intégration urbaine » .
Ce concept, si révolutionnaire soit-il, a fait l’objet d’un premier business plan sur une période de 30 ans. Pas rentable... Ce qui a obligé ses promoteurs à rallonger la période d’exploitation à 40 ans pour commencer à générer un maigre profit. Le projet prévoyait donc de fonctionner « plein pot » jusqu’en 2050, date à laquelle le pic de production de pétrole sera allègrement dépassé, rendant obsolète le transport routier.

Les mirages du PPP[1]

Dans ses prises de positions publiques passées, IEB n’a pas manqué de livrer son analyse sur les deux exemples de PPP qui précèdent. Très régulièrement, les thuriféraires du PPP avançaient le contre-exemple de la STEP Nord, success story qui contredisait brillamment les arguments des sceptiques. Après le crash de celle-ci, il semblerait que certains défenseurs de ce vertueux projet soient tentés par un retournement de casaque.
Nous ne pouvons que nous en réjouir, car dans bien des cas, le PPP est un mirage qui se révèle in fine une opération bien peu réjouissante pour les pouvoirs publics.

Les PPP coûtent cher

Contrairement à ce qu’on peut entendre, les PPP n’offrent pas de solution magique au problème de financement des infrastructures. En réalité (et ce n’est pas contesté), les pouvoirs publics n’ont aucun problème à emprunter de l’argent. En outre, ils empruntent à un taux qui est toujours meilleur que celui qu’obtiendrait la plus solide des entreprises privées. Ceci parce que les États ont un risque de défaut de paiement qui est moindre.

De plus, l’implication d’un partenaire privé dans le financement d’un service public implique forcément la nécessité de rencontrer les intérêts de toutes les parties. Celui de l’entrepreneur privé est de maximaliser et de maintenir son profit, une réalité qui augmente le coût du service pour l’usager.

Enfin, certains montages de PPP dénotent du peu d’expérience des pouvoirs publics, voire de leur incompétence à obtenir un accord équilibré. Le BILC constitue un exemple flagrant de cette triste réalité. Voilà une expérience « pilote » (et donc risquée) dans laquelle le partenaire public fait un apport conséquent (un terrain de 13 millions d’euros) valorisé au prix d’un sachet de cacahouète, et dont le financement principal fait l’objet d’une garantie gouvernementale. Une situation bien appréciable pour Sogaris, qui se retrouve à terme propriétaire d’une société valorisée à près de 50 millions d’euros pour une mise de départ de seulement 3 millions.

Les risques sont rarement partagés

On avance souvent que dans un PPP le partenaire privé prend une partie des risques, qui sont uniquement supportés par le public dans une formule traditionnelle. Dans le cas de la station d’épuration, on voit que la situation n’est pas si simple.

Lorsqu’un problème « imprévu » apparaît qui pourrait mettre en péril le maintien du taux de profit de l’exploitant — ici, la nécessité de conduire les boues en Allemagne plutôt que de les traiter sur place — le risque pris par le partenaire privé (qui détient la compétence technologique) de purifier les boues à l’aide du système d’oxydation par voie humide n’est pas assumé.

De manière générale, lorsque l’exploitant, souvent constitué pour l’occasion en consortium, ce qui limite la responsabilité financière de ses actionnaires, n’est plus capable de remplir ses obligations, le partenaire public n’a plus d’autre choix que de laisser le consortium faire faillite et de trouver une repreneur, ou de changer les règles du jeu en cours et de mettre la main au portefeuille, ce que la Région a déjà fait de nombreuses fois dans ce dossier[2].

Le PPP est peu flexible

Les PPP font l’objet de contrats extrêmement complexes qui tentent de prévoir tous les cas de figures possibles et imaginables. Les cahiers des charges sont lourds, et pourtant constellés de failles. Une fois le contrat signé, il est très difficile de s’en défaire. Et les élus s’engagent toujours pour une période beaucoup plus longue que leur mandat.

Tel que ficelé, le projet Villo instaure un lien consubstantiel entre le VLS et le marché publicitaire. La concession est passée pour une durée de 15 ans avec des clauses d’exclusivité générant une position monopolistique qui prendra la Région, les communes, les habitants et les usagers en otage d’un seul opérateur publicitaire.

L’absence de concurrent autorisera le concessionnaire à abuser de sa position dominante au terme du marché pour le renouveler à des conditions encore plus léonine que celles déjà établies dans la convention qu’il a signée avec la Région. En effet, une fois le système mis en place, il est illusoire d’imaginer faire marche arrière et toute volonté de limiter la publicité conduira le concessionnaire à faire pression sur la qualité du service fourni.

A Paris, le même opérateur a monnayé très cher l’extension du service établi. À Rennes, après avoir perdu un marché de VLS, le même opérateur a démonté son mobilier urbain, laissant les usagers des transports en commun sous la pluie.

Le PPP n’est jamais transparent

Quel est le citoyen qui a eu l’occasion de trouver sur Internet le contrat Aquiris, ou le contrat du BILC, ou encore le contrat Villo ? Les raisons de ce manque de transparence sont-elles à chercher dans des considérations juridico-commerciales du type « il faut préserver le secret commercial ou technique du partenaire privé » ou est-il plus à chercher sur le fait que les PPP sont souvent l’objet d’une collusion d’intérêt telle qu’elle n’est pas avouable publiquement ?

Force est de constater que pour les trois exemples qui nous occupent ici pour lesquels IEB a pu se procurer un certain nombre de pièces contractuelles, la transparence – et la vigilance citoyenne qu’elle aurait permise – aurait sans doute condamné chacun de ces projets.

Le PPP ne favorise pas forcément la concurrence

A l’occasion d’un appel d’offre de PPP, il n’est pas rare que peu de candidats ne répondent.
Soit parce qu’il y a eu collusion entre les différents concurrents, qui préfèrent se partager les marchés plutôt que de s’aventurer dans une guerre des prix, soit parce que le cahier des charges est rédigé de telle façon que l’un des soumissionnaires est favorisé.

C’était le cas dans le dossier Villo. Une offre pilotée par la STIB a été rejetée sous prétexte que le cahier des charges spécifiait explicitement que le système devait être financé à 100% par la publicité.

En conclusion

Il est impératif qu’un large débat soit organisé autour de l’opportunité de conclure dans l’avenir de nouveaux partenariats publics privés.

Il est certainement nécessaire de créer un cadre juridique aux PPP, un cadre qui fixe les bonnes pratiques dans ce domaine (comme le réclamait la Cour des Comptes dans son rapport rendu à l’occasion de la conclusion du contrat Aquiris) et qui exclut de ce principe un certain nombre de services publics régionaux dont les fondements risqueraient d’être mis en péril : le traitement de l’eau et les questions de mobilité en sont des exemples flagrants.

En attendant, IEB suggère aux pouvoirs publics de respecter un moratoire sur les PPP.

Contact : Mathieu Sonck, 0478/20 35 78.

Pour en savoir plus



[1] Ce titre est emprunté à un article éponyme de Pierre J. Hamel, chercheur et enseignant à l’Institut national de la recherche scientifique.
[2] Pour la dernière en date, voir le rapport de la Cour des Comptes de septembre 2009, à la page 31 : « La Cour observe cependant que l’intervention financière de la Région pour assurer la continuité de la concession et pour éviter une procédure judiciaire va au-delà du cadre contractuel initial issu de la mise en concurrence du marché de concession. »