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Appart-hôtel : étude de cas à la rue des Pierres. Mais que prévoit la législation bruxelloise ?

Marie-Anne Swartenbroekx (Comité Notre-Dame-aux-Neiges), Stéphanie D’Haenens – 11 mai 2017

La rue des Pierres, serpente du boulevard Anspach au pied de la façade ouest de l’Hôtel de ville de Bruxelles. Sise au cœur du Pentagone, elle est, comme les rues voisines, soumise à la pression de la touristification du centre-ville. Ses bâtisses sont convoitées au vu de la plus-value locative des étages au-dessus des rez commerciaux que leurs propriétaires/exploitants peuvent en tirer sur le marché hôtelier des appart-hôtels via des plateformes collaboratives (économie de partage) servant d’intermédiaire pour l’hébergement de touristes. Un marché davantage lucratif que le bail de longue durée destiné aux habitants bruxellois.
Que prévoit la législation pour cadrer la conversion de logement en appart-hôtel ? Quelles dispositions protègent le logement pour les/des Bruxellois ?

Pour répondre à cette question, nous proposons une étude de cas : une demande de permis d’urbanisme introduite à l’administration de la ville de Bruxelles pour 3 immeubles contigus (bd. Anspach 106 et rue des Pierres de 2 à 4). Le demandeur - la SA Grand central Properties - souhaitait changer l’affectation de ses 3 immeubles de logements, établis avec un rez-de-chaussée commercial et sa mezzanine, en un établissement hôtelier de 19 appart-hôtels avec le maintien du commerce existant et modifier le bardage autour de la vitrine du n° 4 rue des Pierres et de l’extension du n° 2.
La demande stipule qu’il s’agit d’une « régularisation ». Cette précision est importante car en réalité, la demande vise à obtenir un permis pour affectation hôtelière après avoir obtenu, (en 2011) un permis pour 19 logements, qui ont été irrégulièrement transformés en appart-hôtels. La demande de « régularisation » fait donc suite à un procès-verbal d’infraction aux règles urbanistiques dressé par le service de contrôle de la commune.
Précisons d’emblée que la commission de concertation, réunie après enquête publique, a remis un avis défavorable à la demande de permis.

Dérogations au PRAS

Le Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS) couvre l’ensemble du territoire régional. Il est composé de cartes (prescriptions graphiques) et d’un ensemble de dispositions (prescriptions littérales). Il a force obligatoire et valeur réglementaire. Par conséquent, les prescriptions littérales et les zonages établis par ce plan doivent être respectés, en toutes circonstances, par les demandes de permis. Le PRAS se situe au sommet de la hiérarchie des plans réglementaires.

Toute délivrance de permis d’urbanisme doit lui être conforme. Toute demande de permis d’urbanisme nous invite donc à aller consulter ce que le PRAS prévoit. Dans le cas qui nous intéresse, rue des Pierres, satisfaire à la demande de permis introduite par la SA Grand central Properties reviendrait à déroger principalement à la prescription générale 0.12 du PRAS qui protège le logement.

En effet, le bien dont il est question se situe, selon le PRAS, en zone d’habitation, en Z.I.C.H.E.E. [1], en liseré de noyau commercial, le long d’un espace structurant. La prescription générale 0.12, qui vaut pour toutes les zones, est ainsi libellée (version telle que modifiée par l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 2/05/2013) :

«  La modification totale ou partielle de l’utilisation ou de la destination d’un logement ainsi que la démolition d’un logement ne peuvent être autorisées en zone d’habitation à prédominance résidentielle, en zone d’habitation, en zone mixte, en zone de forte mixité, en zone d’entreprises en milieu urbain ou en zone administrative qu’à l’une des conditions suivantes et après que les actes et travaux auront été soumis aux mesures particulières de publicité :

maintenir au moins la même superficie de logement sur le site en zones d’habitat ou maintenir au moins la même superficie de logement dans la zone, en zones de mixité, en zone d’entreprise en milieu urbain et en zone administrative ; en cas d’impossibilité de maintenir au moins la même superficie de logement sur le site en zones d’habitat, créer au moins la même superficie de logement dans la zone ; en cas d’impossibilité de maintenir au moins la même superficie de logement dans la zone en zones de mixité et en zone d’entreprises en milieu urbain, créer au moins la même superficie de logement dans une zone limitrophe.

permettre l’activité d’une profession libérale ou d’une entreprise de service intellectuel exercée de manière isolée, sans préjudice du personnel d’exécution, pour autant que la superficie de plancher affectée à ces activités soit limitée à 45% de la superficie de plancher du logement existant et que ces activités soient :
• a) soit accessoires à la résidence principale de la personne exerçant l’activité ;
• b) soit accessoires à la résidence principale d’un des associés ou administrateurs de la personne morale exerçant cette activité ;

permettre, dans un immeuble à appartements, l’activité d’une profession libérale ou d’une entreprise de services intellectuels, pour autant que la superficie de plancher affectée à ces activités soit limitée pour l’ensemble à 15% de la superficie de plancher et localisée par priorité au rez-de-chaussée et au premier étage ;

permettre l’installation ou l’extension d’un équipement d’intérêt collectif ou de service public ;

permettre la réalisation d’un espace vert public ;

permettre la réaffectation d’un immeuble inscrit sur la liste de sauvegarde ou classé dans sa totalité ou partiellement dans ses éléments principaux conformément à la prescription 0.8 ;

permettre, au rez-de-chaussée ou au premier étage, la création ou l’extension d’un commerce existant en liseré de noyau commercial ;

permettre l’extension d’une activité productive existante ;

permettre, hors liseré de noyau commercial, la création ou l’extension d’un commerce pour autant qu’il occupe un rez-de-chaussée déjà conçu à cet effet. »

Or, la demande de permis soumise ne correspond à aucune de ces conditions, dont la liste est restrictive. Le demandeur, la SA Grand central Properties, ne propose pas non plus de créer au moins la même superficie dans la zone.

En outre, l’Ordonnance relative à l’hébergement touristique du 8 mai 2014, publiée le 17.06.2014, précise en son article 5, § 2, b) que : « l’hébergement touristique est établi dans le respect de la réglementation relative à l’aménagement du territoire et aux règles urbanistiques en vigueur ».

Par conséquent, la demande de permis pour des appart-hôtels dans une zone d’habitation et ne répondant à aucune des conditions de la prescription 0.12 du PRAS ne peut en aucun cas être accordée.

Les arguments du demandeur

La SA Grand central Properties prétend que la prescription 0.12 n’est pas d’application parce que les biens n’ont, depuis très longtemps, été utilisés autrement qu’en tant que commerce. Selon la société, aucun logement n’a donc été supprimé pour la transformation demandée, puisqu’elle demande la modification d’affectation depuis « commerce » à « établissement hôtelier ».

Ces affirmations sont inexactes. Pourquoi ? D’abord parce que les affectations réglementaires fixées par le PRAS ne dépendent pas de l’état antérieur des immeubles mais visent à « promouvoir un développement « équilibré de la région, tant dans la protection du logement que dans le développement des activités économiques » (Introduction au cahier III sur les zones d’habitat et les zones de mixité).

D’ailleurs, tant la Région que la Ville de Bruxelles ont poursuivi et continuent à poursuivre des efforts pour réhabiliter les logements vides au-dessus des commerces (voir notamment "Habiter les espaces au-dessus des commerces").

D’autre part, la SA Grand central Properties a d’abord demandé et obtenu un permis d’urbanisme successivement pour 14 (en 2011) puis pour 19 logements (permis modificatif). Elle a d’abord tenté de vendre ces logements. Ensuite, elle a commencé à louer ces logements à « une clientèle d’affaires ou de passage » sans permis pour ce faire et ceci encore après l’entrée en vigueur de l’Ordonnance relative à l’hébergement touristique du 8 mai 2014, publiée le 17.06.2014. C’est le P.V. d’infraction dressé le 21.01.2015 et l’amende administrative qui s’en est suivie après transmission au parquet qui ont incité la SA propriétaire à introduire l’actuelle demande de permis pour une affectation hôtelière. Par conséquent, la SA Grand central Properties a bien modifié la destination de superficies affectées au logement pour les utiliser en appart-hôtel, le rez-de-chaussée commercial bénéficiant d’un permis. C’est à juste titre que l’avis d’enquête publique mentionne comme objet « changer l’affectation de 3 immeubles de logements (....) en un établissement hôtelier de 19 appart-hôtel (....). »

Enfin, le demandeur affirme que la prescription 2.4. l’autorise à affecter son immeuble, situé en zone d’habitation, en établissement hôtelier. Il omet de mentionner les conditions pour de telles affectations, énumérées par la prescription 2.5. :
« 2.5. Conditions générales pour toutes les affectations visées aux prescriptions 2.1 à 2.4 :

seuls les actes et travaux relatifs au logement, aux équipements d’intérêt collectif ou de service public ainsi qu’aux commerces en liseré de noyau commercial peuvent porter atteinte aux intérieurs d’îlots ;

les caractéristiques urbanistiques des constructions et installations s’accordent avec celles du cadre urbain environnant ; leurs modifications sont soumises aux mesures particulières de publicité ;

la nature des activités est compatible avec l’habitation ;

la continuité du logement est assurée. »

Le projet du demandeur ne satisfait donc pas à ces conditions, à tout le moins pas aux conditions 3 et 4.

Impact des appart-hôtels

De nombreuses villes américaines et européennes s’inquiètent aujourd’hui de l’extension des appart-hôtels. En effet, des études universitaires réalisées dans certaines villes, par exemple Madrid, démontrent que l’occupation des centres villes par des appart-hôtels contribue à la baisse de la population dans ces quartiers. Les villes de New York, San Francisco, Londres, Berlin, Amsterdam, Barcelone ont intenté des actions judiciaires contre la plateforme de logement de courte durée AirBnB qu’elles accusent de concurrence déloyale aux hôtels, de réduire l’offre locative, et ainsi de faire monter le prix des loyers. Sous pression, AirBnB a passé des conventions avec ses villes pour diminuer le nombre de jours admis sous cette forme de locations.

Bruxelles, à notre connaissance, n’a encore pris aucune initiative en ce sens bien que l’Ordonnance relative à l’hébergement touristique (lire ci-dessous) limite celui-ci à 90 jours. Cependant, de telles limites ne suffisent pas. En 2015, la carte des logements de courte durée connus de AirBnB (qui n’est pas la seule plateforme de locations de courts séjours) montre à quel point ce type de logement s’étend dans la Région (lire ci-dessous). Ceci ne peut se faire qu’au détriment du logement de longue durée, dont on sait qu’il manque cruellement à Bruxelles.

La région de Bruxelles Capitale doit conserver la maîtrise de suffisamment de superficies de logement pour ses habitants. L’un des moyens de combattre ce phénomène est d’appliquer strictement les prescriptions du PRAS en matière de protection du logement habituel et de l’habitation, ce que prévoit d’ailleurs l’Ordonnance relative à l’hébergement touristique du 8 mai 2014 en son article 5, § 2, b) : « l’hébergement touristique est établi dans le respect de la réglementation relative à l’aménagement du territoire et aux règles urbanistiques en vigueur ».

Par conséquent, il devrait être exclu d’accorder un permis d’urbanisme pour des appart-hôtels en violation de la prescription 0.12 du PRAS.

Le PRAS est certes réglementaire et obligatoire, pour autant il ne permet pas de contrôler le marché gris de l’hôtellerie qui se loue via les plateformes collaboratives. En effet, beaucoup d’intermédiaires, de (sous-)loueurs et propriétaires ne déposent pas de demande de permis d’urbanisme.

La Région fait face à un phénomène d’explosions d’hébergements touristiques « irréguliers » [2] qui induisent par ailleurs d’autres dérèglements : les nuisances sonores générées par l’occupation temporaire de logements par des touristes peu soucieux des habitants voisins, une diminution de la part des logements de longues durées accessibles aux habitants (davantage dans les zones à forte concentration en logements touristiques proposés sur ces plateformes de location), et une hausse des loyers des logements de longue durée disponibles.

A Bruxelles, la plus forte concentration de logements entièrement affectés au logement des touristes se trouve dans la zone de la Monnaie- bourse – Grand Place (jusqu’à un logement sur cinq) si l’on s’en réfère aux chiffres disponibles sur le site d’AirBnb.

Le 23 décembre 2016, la Région s’est dotée d’une ordonnance relative à la taxe régionale sur les hébergements touristiques, publiée le 6 janvier 2017. Cette ordonnance met en place des obligations à charge des exploitants et propriétaires et un devoir d’information de l’intermédiaire (en l’occurrence les plateformes collaboratives) pour les établissements d’hébergement touristique.

L’article 4 prévoit que "la taxe est due par l’exploitant de l’établissement concerné. Si celui-ci est insolvable, le propriétaire de l’immeuble dans lequel l’établissement d’hébergement touristique concerné est exploité peut être tenu responsable du paiement de la taxe due, des frais, des centimes additionnels et des intérêts liés à celle-ci, pour autant qu’il existe un faisceau d’indices, qui fait raisonnablement présumer qu’il y a collusion entre le propriétaire et l’exploitant.
Si l’exploitant est inconnu, la taxe peut être enrôlée au nom du propriétaire de l’immeuble dans lequel l’établissement concerné est exploité. Par ailleurs, l’ouverture de tout nouvel établissement touristique doit être notifiée au fonctionnaire désigné par le gouvernement avec toutes les données d’identification nécessaires. Une déclaration mensuelle est également prévue. Des amendes administratives non négligeables sont prévues en cas de manquement."

La taxe est calculée par nuitée dans une unité d’hébergement. Des exonérations, des abattements ou des conditions plus légères sont prévues en particulier pour le tourisme social et pour les groupes scolaires.

L’article 12 prévoit que "les intermédiaires doivent, pour les établissements d’hébergement touristiques situés en Région de Bruxelles-Capitale pour lesquels ils se posent en intermédiaire ou mènent une politique de promotion, communiquer, sur demande écrite, les données de l’exploitant et les coordonnées des établissements d’hébergement touristique ainsi que le nombre de nuitées et d’unités d’hébergement exploitées durant l’année écoulée, aux fonctionnaires désignés par le gouvernement. Une amende administrative de 10.000 euros peut être infligée à l’intermédiaire qui ne donne pas suite à la demande écrite, visée à l’alinéa précédent".

L’instauration de la taxe régionale sur l’hébergement touristique permettra aux communes de prélever des centimes additionnels sur cette taxe régionale au lieu de percevoir des recettes via leurs propres règlements de taxe en la matière. Ce système de "synergie fiscale" devrait unifier le régime de taxation et inciter les communes à organiser des contrôles plus nombreux et plus opérationnels.

La réunion des déclarations préalables et le contrôle du respect de l’ordonnance du 8 mai 2014 est confié à Bruxelles Economie et Emploi.

Celui de la perception de la taxe régionale est confié à Bruxelles Fiscalité.

Un devoir d’information... assorti d’un réel contrôle ?

Désormais, les plateformes de location d’hébergement touristique (du type AirBnB, booking.com, …) ont donc obligation de communiquer les coordonnées de l’exploitant/propriétaire, le nombre de nuitées et les unités d’hébergement exploitées.

Une ordonnance saluée par le secteur hôtelier qui attendait qu’un cadre légal endigue la concurrence déloyale d’exploitants opérant sur des plateformes collaboratives du type AirBnB. En effet, le secteur hôtelier doit se conformer à une série de règles strictes auxquelles échappent les plateformes de location d’hébergement touristique et leurs loueurs : ils doivent enregistrer leur activité, respecter la législation sur le travail, observer des règles d’hygiènes et de sécurité et payer différents impôts. L’ordonnance de décembre 2016 permet ainsi à la Région de contrôler le respect d’une ordonnance antérieure, celle du 8 mai 2014, relative à l’hébergement touristique, et de son arrêté du 24 mars 2016.

Par cette ordonnance obligeant au devoir d’information, la Région soumet à déclaration préalable l’activité de deux types d’hébergement : la résidence de tourisme et l’hébergement chez l’habitant (à raison de 5 unités d’hébergement au maximum dans l’immeuble dans lequel l’habitant est domicilié) [3] . Elle veut savoir qui fait quoi, où et comment.

Auparavant, ce type d’établissement était soumis à autorisation mais la directive Bolkenstein sur la libéralisation des services (2006) a changé la donne.
Vu la libre prestation des services, l’autorité publique ne peut plus subordonner l’activité à « autorisation » mais elle peut imposer une « déclaration préalable » et un contrôle a posteriori (après).

Afin de contrebalancer cette perte de contrôle « territorial » (c’est une lecture possible), le législateur a prévu que la déclaration soit munie d’annexes dont les plus importantes sont (art. 5, 2°, b) :

  • Une attestation de sécurité d’incendie délivrée par le Bourgmestre sur avis du SIAMU ;
  • Une attestation de la Commune de ce « que l’établissement d’hébergement touristique est conforme aux dispositions légales applicables en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme » (art. 7, § 1, 11°, AGB).
  • Un accord écrit du propriétaire de l’unité exploitée et de l’assemblée générale des copropriétaires portant sur l’exercice de l’activité d’hébergement touristique dans l’immeuble (art. 7, § 1, 6° et 7°, AGB).

La collecte de ces annexes revient de fait à demander une autorisation. Ce nouveau cadre légal devrait permettre aux autorités régionales de mieux contrôler la régularité des hébergements destinés aux touristes et pas seulement de prélever une taxe et d’assurer un niveau de qualité aux touristes.

La mise en place d’un service/outil régional de suivi des plaintes déposées par des habitants riverains d’appart-hôtels s’avérerait dès lors fort utile pour coordonner les pratiques et contrôler la régularité des hébergements à l’échelle du territoire, en collaboration étroite avec les 19 communes.


[1Zone dont le caractère culturel, historique, esthétique ou d’embellissement présente des qualités particulières et doit être préservé. Ces zones sont définies par le PRAS. Les demandes de permis relatives à un bien situé en ZICHEE sont soumises à l’avis de la commission de concertation dès lors que la demande modifie les gabarits ou l’aspect des façades visibles depuis les espaces accessibles au public.

[2Les conditions et obligations relatives aux appart-hôtels et à d’autres types d’hébergement touristique sont reprises sur le site du service public régional de Bruxelles économie et emploi

[3Lire à ce sujet Anne-Sophie Dupont, « Airbnb à Bruxelles : une menace pour l’offre de logements ? », Art.23, périodique n°63 du RBDH-BBROW, page 33.