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Analyse comparée sur l’encadrement des loyers

Hugo Périlleux Sanchez et Anne-Sophie Dupont (Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat - RBDH) – 15 juin 2017

En juillet dernier, le parlement bruxellois a adopté une nouvelle ordonnance sur les baux mettant en place un système non contraignant de grille des loyers. Afin de mieux comprendre le système bruxellois, nous faisons ici une comparaison avec d’autres systèmes mis en place dans d’autres pays européens.

1. Introduction

À Bruxelles, la situation du logement est critique. Le parc de logement sociaux est très réduit (moins de 10%) et d’énormes tensions sur le marché locatif se font sentir, en particulier pour les bas et moyens loyers. Il est de plus en plus difficile pour les ménages à revenus faibles ou modestes de trouver un logement abordable et adapté à leur composition. Entre 2004 et 2015, l’indice du loyer médian a augmenté de 50% alors que l’indice santé (indice des prix qui sert à l’indexation des salaires et des cotisations sociales) n’a augmenté que d’un peu plus de 20% (De Keersmaecker, 2015). Les loyers pèsent en conséquence de plus en plus sur le budget d’un nombre croissant de ménages bruxellois.

En juillet dernier, le parlement bruxellois a adopté une nouvelle ordonnance sur les baux mettant en place un système non contraignant de grille des loyers (grille à valeur indicative) composée sur la base des prix du marché. La régulation des loyers était une attente importante du secteur du logement réuni sous la bannière de la Plate-forme Logement, avec le RBDH, les Équipes Populaires, IEB, la Febul et d’autres. Cependant l’ordonnance adoptée a été fortement critiquée. Afin de mieux comprendre le système bruxellois, nous faisons ici une comparaison avec d’autres systèmes mis en place dans d’autres pays européens.

2. Comparaison européenne

Cette analyse se base sur la typologie faite par Lind (2001) et actualisée par Haffner et al. (2008). Cette typologie des réglementations se construit en opposant les modèles basés sur les prix du marché et ceux sur les coûts, leur caractère contraignant ainsi que les modèles ne contrôlant que les baux en cours ou également les nouveaux baux. Pour chacun des pays, on regardera le contexte général du secteur du logement, sur quelle partie du marché la régulation s’applique et quels sont les grands principes.

Des contextes du marché locatif différents

Les situations sur le marché locatif sont très différentes d’un pays à l’autre. La part du logement public connaît des différences très importantes entre pays : à peine 8% à Bruxelles contre 33% aux Pays-Bas. Ces différences sont également à nuancer par les loyers plus ou moins « sociaux » appliqués dans le secteur public. En outre, la part des propriétaires-occupants est également variable selon les zones étudiées. Dès lors, les politiques d’encadrement des loyers vont s’appliquer sur des parties du secteur privé plus ou moins grandes. Le secteur privé aux Pays-Bas ne représente que 8%, mais il concerne 55% des logements en Allemagne.

  Logement social Location dans le secteur privé Propriétaires occupants
Bruxelles 8% (1) 40% 39% (4)
Belgique 7% (3) 25% 66% (4)
France 18% (1) 21% (2) 57% (5)
Allemagne 10% (1) 55% (2) 40% (5)
Pays-Bas 33% (1) 8% (2) 58% (5)
Angleterre 17% (5) 18% (5) 65% (5)
Suède 21% + 16%
coopérative (5)
23% (5) 40% (5)
(1) VOLDMAN, Danièle. L’encadrement des loyers depuis 1900, une question européenne. Le mouvement social, 2013, n°4, p. 137-147.
(2) BONNEVAL, Loïc. Les effets de l’encadrement des loyers sur l’investissement locatif. In : Club Habitat, Territoires et Modes de vie-FNAU, Le parc locatif privé. 2013.
(3) PITTINI, Alice et LAINO, Elsa. Housing Europe Review 2012. The nuts and bolts of European social housing systems. CECODHAS Housing Europe’s Observatory, Brussels, 2011.
(4) Census 2011
(5) WHITEHEAD, Christine ME. Le secteur locatif privé en Europe : des trajectoires différentes, des tensions similaires ?. Revue d’économie financière, 2014, no 3, p. 149-164.

Figure 1 : Part du logement au marché locatif privé et au marché privé dans plusieurs pays européens.

France

En France, de 1989 à 2015, seuls les loyers de la région parisienne étaient régulés. La régulation consistait en une limitation à l’indexation sur base de l’indice de référence des loyers (IRL). En 2015, la régulation a été étendue avec la loi ALUR aux « zones tendues » (les principales villes de France). L’agglomération parisienne, quant à elle, a mis en place un encadrement avec une grille des loyers ainsi qu’une commission locative pour rendre d’application la régulation (Bonneval, 2013).

La grille de loyers de référence pour Paris intra-murros est assez simple, basée sur un échantillon issu du marché en comparant quatre variables : vide ou meublé, 14 zones géographiques, nombres de pièces (1, 2, 3, 4 et plus), périodes de construction (avant 1946, 1946-1970, 1971-1990, après 1990) ce qui donne un résultat en €/m². Une fourchette est construite avec un loyer plafond (loyer de référence + 20%) et un loyer plancher (loyer de référence – 30%). Il est ensuite possible d’appliquer un complément de loyer et dépasser cette fourchette justifiant des caractéristiques de localisation ou de confort.

Les locataires qui se sentent lésés peuvent faire appel au juge dans les zones « tendues » tandis qu’à Paris, une commission locative a été mise en place pour régler les conflits en amont. Par ailleurs, depuis 2015, il existe l’obligation d’indiquer l’ancien loyer sur le contrat de bail. Cependant, aucun contrôle de cette prescription n’est mis en place et le bailleur ne doit pas fournir de copie de l’ancien contrat.

Pays-Bas

Aux Pays-Bas, il y a environ 60% de propriétaires-occupants et 40% de locataires (8% dans le parc privé, 32% dans le parc public). La plus grande part du parc locatif est géré par des organismes privés de type lucratif (privé) ou non lucratif (social). Bailleurs privés (17%) et sociaux (83%) sont soumis à la même législation en matière de loyers et de baux (Houard, 2003). Les baux sont en général « illimités » (l’expulsion n’est possible que pour motif d’occupation personnelle ou du locataire qui manque à ses obligations).

La régulation des loyers se base sur un système de points (puntensysteem) définissant un loyer maximal en fonction des caractéristiques de qualité et de confort du logement (critères de superficie, certificat de performance énergétique (ou année de construction), cuisine, sanitaire, travaux de rénovation,…).

Locataires et propriétaires peuvent s’adresser à une commission paritaire indépendante (huurcommissie) qui les informe ou règle les litiges relatifs à l’entretien, aux charges des logements ou au montant du loyer (montant initial ou augmentation du loyer). La commission des loyers est composée de trois personnes : un président (profil juriste), un représentant des locataires et un représentant des bailleurs. Pour le marché privé, les locataires peuvent s’adresser à la commission des loyers dans les 6 mois après la signature du bail. Si le locataire ou le propriétaire n’est pas d’accord avec l’avis de la commission des loyers, il peut introduire dans les 2 mois une procédure devant un juge.

Vers la fin des années 1970, l’accent a été mis sur l’accès à la propriété et l’appui à la demande (via un système d’allocation-loyer), parallèlement à la réduction progressive des subsides pour les bailleurs sociaux (jusqu’à leur suppression complète en 1993), rendant la production de logement social beaucoup plus difficile. On assiste également à une dérégulation progressive : depuis 1989, la régulation des loyers a cessé de s’appliquer aux nouveaux contrats de bail dont le loyer dépassait le « seuil de libéralisation », à savoir 142 points (environ 700 €). En 2004, 5% du parc locatif privé était libre, le reste étant soumis à la régulation. A partir de 2011, plus de points ont été accordés aux habitations situées dans les zones tendues (comme Utrecht et Amsterdam). Résultat : en 2012, environ 30% du parc locatif privé pouvait être fixé de manière libre (Whitehead, 2014). Le segment du marché réglementé fait, lui, l’objet d’une indexation annuelle (fixée par décret du gouvernement), qui, depuis 2008, correspond à l’inflation [1].

Allemagne

En Allemagne, le marché locatif privé a la particularité d’être très important en proportion avec plus de 55% des logements dans le marché privé et seulement 8% de logement public. Cependant, les locataires sont protégés par des baux en principe illimités. Excepté dans les zones urbaines, la règle de fixation des loyers est libre. La régulation des loyers est organisée par ville. Cologne est un cas d’école. La ville possède un observatoire des loyers depuis le début des années 1970 et elle a mis en place une grille des loyers en 1973. Le principe est une grille (miroir des loyers) contraignante qui se base sur prix du marché (Haffner et al., 2008).

La loi prévoit que si un locataire se sent lésé, il peut se tourner vers un juge avec soit un avis d’un expert (coût entre 700 € et 1 500 € à charge à priori du locataire), soit 3 références de loyers comparables, soit des éléments fournis par une base de données d’observation des loyers. Le juge peut alors ordonner une baisse de loyer si celui-ci dépasse de 20% le loyer pratiqué dans des logements équivalents (Vorms, 2012). C’est dans ce cadre-là que l’association des locataires et l’association des propriétaires de Cologne ont mis en place le « miroir des loyers » (Mietespiegel) chargé de fournir des loyers de référence sur base du marché locatif.

Les juges statuent sur environ 1 000 cas par an à Cologne, ce qui en plus de la publicité de la grille a pour effet de lisser les loyers et d’éviter les loyers abusifs. Le modèle de Cologne a été repris dans plusieurs autres grandes villes allemandes avec des nuances locales. Il s’agit donc d’un modèle négocié entre associations locataires et propriétaires, ville par ville, avec une grille des loyers contraignante sur base du marché.

Suède

En 2009, la Suède comptait 40% de propriétaires-occupants, 21% de locataires dans le parc social, 23% de locataires dans le parc privé et 16% de personnes logées dans des coopératives (Whitehead et al, 2012). Jusque dans les années 1970, la Suède a connu un encadrement strict des loyers (calcul des valeurs de référence sur base des coûts). Ensuite, jusqu’en 2002, les loyers du secteur public ont été fixés à l’échelle locale, à l’issue d’une négociation entre l’association locale des locataires et l’office municipal du logement (à but non lucratif). Ces valeurs de référence des loyers ne pouvaient être dépassées de plus de 5% sur le marché privé. Cependant, ce mode de régulation a fait l’objet de plusieurs critiques de la part du secteur privé. Il fut reproché aux offices municipaux d’utiliser leur position dominante et de pratiquer une concurrence déloyale vis-à-vis des propriétaires privés (Lind 2007). Parallèlement, il était supposé que les associations de locataires, auxquelles on attribuait une vision à plus court terme, accordaient plus d’importance au prix qu’à la qualité (préférant des loyers bas plutôt que des loyers plus élevés pour des biens mieux entretenus).

Suite à une plainte de la Fédération Européenne de la Propriété (European Property Federation) en 2005, le système s’est heurté à la réglementation européenne sur la concurrence, en raison de l’obligation qui liait le secteur privé à un secteur public subventionné. Suite aux plaintes des constructeurs, la Commission Européenne a contraint le gouvernement suédois à revoir sa pratique de contrôle des loyers. Une loi est entrée en vigueur en 2011 dans le but de laisser plus de latitude au secteur privé pour fixer les loyers.

Royaume-Uni

Au Royaume-Uni, une régulation stricte des loyers était appliquée depuis le début du XXe siècle. Dans les années 80, le gouvernement Thatcher a mis en place les « locations régulées » (regulated tenancies) dans le but de favoriser la production de logement sur le marché privé : des fonctionnaires (rent officers) fixaient les loyers « selon les intérêts de chaque partie ». Dès 1988, le Housing Act dérégule totalement les nouveaux baux. La grande majorité du marché privé est aujourd’hui libre. Malgré le fait que les loyers sont censés être le résultat d’une négociation, force est de constater que, la plupart du temps, le propriétaire propose un prix que le locataire va accepter.

Le système d’allocation-loyer se décline sous deux formes : le housing benefit pour le secteur social et le local housing allowance (LHA) pour le secteur privé. Depuis 2008, les loyers de référence (déterminés sur base du 30e percentile des loyers les plus bas) délimitent le montant des LHA (calculés en fonction de la localisation et de la taille du logement, des revenus, etc.). Cette allocation est en général versée directement au locataire (même si son loyer dépasse le loyer de référence). Elle vise à rendre accessible une partie du parc locatif privé, mais il n’est pas exclu que ce système joue un rôle sur les prix du marché (Haffner et al. 2008).

3. Conclusion

Lors de cette comparaison nous nous sommes intéressé-e-s à la régulation pendant la durée de bail et lors de nouveaux baux par rapport à des loyers de référence. Pour chacun de ces systèmes, nous nous sommes arrêté-e-s sur leur base d’objectivation (les prix du marché ou les coûts) ainsi que sur l’étendue de la contrainte. Nous avons également observé s’il existait un système d’allocation loyer et à quel niveau se déroulait les négociations.

Il ressort de notre analyse que tant en France, en Allemagne (à Cologne), aux Pays-Bas et en Suède, les loyers sont limités à l’indexation pendant la durée du bail. Au Royaume-Uni par contre, il n’existe pas de telle limitation. La France s’est inspirée de l’Allemagne pour mettre en place une grille des loyers sur base des prix du marché alors que les modèles hollandais et suédois sont plutôt basés sur les coûts avec des négociations entre locataires et bailleurs, respectivement au niveau national et au niveau des communes. Les systèmes français, allemand, hollandais et suédois sont contraignants, généralement grâce à une commission locative chargée d’arbitrer en cas de litige. La grille britannique est quant à elle non contraignante tout comme le nouveau système bruxellois.

  Bail Loyers de
référence
basés sur…
Contraignante ? Allocation loyer Négociation
Bruxelles
(projet)
indexation marché non oui (mais
concerne
peu de
personnes)
non
France indexation* marché** commission
locative
oui non
Pays-Bas indexation système
de point
commission
locative
oui nationale
Allemagne*** indexation marché commission
locative
ou
Expert
oui ville par ville
Suède
(avant 2011)
indexation public (coûts) oui oui locale
Royaume-Uni non marché non oui non
* Grandes villes uniquement (« zones tendues »)
** Agglomération de Paris uniquement
*** Par ville avec des observatoires des loyers (« Mietspiegel » – miroir des loyers)

Figure 2 : Tableau de comparaison des systèmes de régulation des loyers.

Ce travail d’analyse des systèmes dans les autres pays nous permet d’appréhender la grille indicative de référence des loyers portée par le gouvernement de manière critique. Son élaboration semble assez comparable aux modèles français et allemands (basée sur les prix du marché), sans pour autant produire un effet de régulation (« soft ») comparable puisqu’elle ne constituera en aucun cas un outil légal de contestation d’un loyer. Il s’agit d’une grille indicative (sans commission locative chargée de la faire respecter). Nous craignons même que la diffusion de cette grille ne provoque des augmentations de loyers : des bailleurs pratiquant jusqu’à présent des prix bas pourraient s’estimer légitimes d’augmenter des loyers entre les baux pour se calquer sur les prix du marché.

Bibliographie

BONNEVAL, Loïc. Les effets de l’encadrement des loyers sur l’investissement locatif. In : Club Habitat, Territoires et Modes de vie-FNAU, Le parc locatif privé. 2013.

DE KEERSMAECKER, M.-L., Observatoire des Loyers. Enquête 2015.

CABIOC’H Hélène. Politique du logement et intérêt général en Suède. Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale. Décembre 2016. http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-6919.html.

HOUARD, Noémie. Le logement social aux Pays-Bas. Vers la fin de la logique universaliste de l’État-Providence, Revue de l’OFCE, 2013, n°2, p. 49-72.

LIND, Hans. Rent regulation : A conceptual and comparative analysis. European Journal of Housing Policy, 2001, vol. 1, n°1, p. 41-57.

LIND, Hans. The municipal housing companies in Sweden : current situation and future prospects, Paper presented at ENHR International Conference Sustainable Urban Areas, Rotterdam, 25-28 June 2007.

OCDE, Études économiques de l’OCDE : Suède 2007. 12 nov 2007.

OCDE, Études économiques de l’OCDE : Suisse 2009. Nov 2009.

PITTINI, Alice et LAINO, Elsa. Housing Europe Review 2012. The nuts and bolts of European social housing systems. CECODHAS Housing Europe’s Observatory, Brussels, 2011.

VOLDMAN, Danièle. L’encadrement des loyers depuis 1900, une question européenne. Le mouvement social, 2013, n°4, p. 137-147.

VORMS, Bernard. Le modèle allemand de régulation des loyers est-il transposable en France ?. Métropolitiques. eu, 2012, vol. 2.

WHITEHEAD, Christine ME. Le secteur locatif privé en Europe : des trajectoires différentes, des tensions similaires ?. Revue d’économie financière, 2014, n°3, p. 149-164.


[1Il y a eu une exception pendant 2 ans pour le logement de luxe (augmentation plus forte pour les locataires plus riches) et il est déjà arrivé que le niveau de la limite de libéralisation soit gelé un certain temps (ex. : 700 euros pendant 3 ans).