Inter-Environnement Bruxelles — 7 octobre 2011
Une alternative au projet de centre commercial Just under the Sky.
Présentation de l’étude de Sander Van Duppen (Sint Lukas) sur la reconversion du site Godin, lors de la conférence de presse du 7 octobre 2011 donnée par IEB, BruxellesFabriques et le Bral. Avec le soutien de l’ARAU, le comité de quartier Marie-Christine/Reine/Stéphanie, le comité inter-quartier de Neder-Over-Heembeek, Pétitions-Patrimoine, la Fonderie, la Plate-forme interrégionale pour une politique économique durable [1].
Avec l’accord de la Région, la Ville de Bruxelles persiste et signe en délivrant le certificat d’urbanisme ouvrant la voie au projet d’Equilis visant à développer un centre commercial sur les cendres du site unique des anciennes poêleries Godin.
Cela fait maintenant près de trois ans que les associations et comités d’habitants luttent contre l’implantation d’un centre commerciale et de loisir de plus de 50 000 m² sur le site des entrepôts Godin. Le bon sens plaide d’évidence pour qu’un tel projet soit abandonné (voir les arguments développés dans le communiqué de presse du 20 mai 2011 : Un centre commercial n’a pas sa place en zone d’industrie urbaine du PRAS !). Mais nos politiques ne semblent pas dotés de cette vertu puisqu’ils s’entêtent à soutenir le projet du groupe Equilis. Leur dernière faveur en date, la délivrance du certificat d’urbanisme au début du mois de septembre 2011.
Mais pourquoi la Ville et la Région s’entêtent-elles à ce point ? Pour faire jouer au piètre projet, d’une part, le rôle de repoussoir à l’égard du projet Uplace (centre commercial en périphérie flamande), et d’autre part, le rôle de chèvre pour préparer le terrain au profit de la venue d’un troisième méga-centre commercial de 70 000 m² au Heysel. Un scénario cauchemardesque qui donne des sueurs froides aux petits commerçants de Bruxelles et aux habitants déjà englués dans les embouteillages.
Le site des anciennes poêleries Godin est un site au potentiel extraordinaire, comme l’a très bien démontré l’étude d’incidences, tant par son emplacement stratégique au cœur de la ville et en bordure du canal que par le caractère unique de l’héritage industriel qui y siège. Le gaspiller pour y implanter un shopping center dont personne n’a besoin est une ineptie. D’autant que ce choix aura une portée irréversible en termes de destruction du site et que les bâtisses prévues seront difficilement reconvertibles. La dimension du gâchis prend encore de l’amplitude au vu des alternatives concrètes qui pourraient y prendre place. A titre d’exemple, le projet développé par le jeune architecte Sander Van Duppen. Un projet alternatif, qui tout en préservant le site, sa mémoire physique mais aussi immatérielle, développe une affectation conforme aux ambitions actuelles de la
Région bruxelloise. Tout ce que Just Under the Sky rate sur toute la ligne.
Un résultat très interpellant. Lire le résumé de l’étude ci-dessous.
Dans son étude, Sander Van Duppen examine le rôle social de l’héritage historique que constituent les anciennes poêleries Godin alors qu’un projet de centre commercial risquerait de le rayer de la carte de Bruxelles. En tenant compte de la structure existante sur le site Godin, l’auteur va à la recherche du potentiel du site comme lieu de transmission et de développement social. Le projet utilise le site actuel pour rendre ses caractéristiques plus visibles et lisibles tout en s’ouvrant au potentiel d’activités et d’usages qui dépassent son histoire mais en respecte l’héritage social. Il donne un sens à la structure existante tout en la prolongeant pour qu’elle développe un usage pertinent en lien avec la présence du canal et les quartiers environnants.
Ce site industriel, situé dans le nord de Bruxelles, est décrit comme l’aîné des sites industriels les plus importants de Bruxelles. Ce site unique en Belgique, après avoir accueilli une industrie textile, a été le réceptacle d’une activité industrielle construite sur le modèle de l’utopie sociale. Il est un des témoignages les plus précoces de la révolution industrielle à Bruxelles. Certes, l’ensemble composé de l’usine et du familistère n’est pas préservé dans sa totalité et dans le meilleur état mais il n’est certainement pas en ruine. Or, d’ici 2013, cet ensemble exceptionnel serait amené à disparaître pour faire place à un grand centre de commerces et de loisirs « Just Under the Sky ». Aux yeux de l’auteur de l’étude, ce projet est complètement décalé avec les besoins d’avenir de la zone du canal et les caractéristiques exceptionnelles du site. Les anciens ateliers et magasins de Godin méritent un autre avenir que la destruction en vue d’accueillir un centre commercial.
Il ne s’agit pas seulement de questions de maintien du patrimoine physique. La fonction originelle du site est un héritage immatériel lié à l’économie sociale. Une meilleure prise en compte de cet héritage immatériel donne un autre éclairage du site, lequel dépasse la valeur patrimoniale chère aux connaisseurs et embrasse la signification de la ville dans son entièreté. En actualisant cet héritage de Godin, on construit un projet qui pourvoit aux besoins des gens qui aujourd’hui vivent dans les quartiers centraux qui bordent le canal. Il s’agit de faire revivre le site pour le rendre socialement pertinent et de développer à partir de la structure matérielle un projet qui restitue l’héritage immatériel par à une restructuration adaptée, loin du concept de muséification ou de marchandisation.
Concevoir cette actualisation peut s’intégrer dans un contexte plus large prenant en considération les développements à longs termes. Notamment en intégrant le schéma directeur de Schaerbeek Formation qui englobe dans son périmètre le site de Godin et les ambitions du gouvernement bruxellois pour faire de Bruxelles une région de modèle en matière de développement durable. Par sa situation stratégique dans la ville au croisement du canal et du chemin de fer, son accessibilité en transport public, le site Godin et ses infrastructures existantes sont adaptés pour accueillir une activité d’économie sociale et un centre de formation dans les anciens entrepôts, activités cadrant parfaitement avec les ambitions de faire de Bruxelles un modèle en matière le développement durable. L’utilisation du canal et les chemins de fer constituent une possibilité de transport non polluant (alors que le shopping ne les exploite pas) pour importer et exporter les matériaux.
Là où autrefois on avait la production des poêles et les différents services sociaux sur le site de l’usine (comme le logement, l’enseignement, la crèche, le magasin,…), infrastructures au profit du bien-être et de l’émancipation des ouvriers, on peut concevoir aujourd’hui une nouvelle économie sociale avec centre de formation dans tous les secteurs utiles à l’emploi des moins favorisés , pensée elle aussi au profit du bien-être et de l’émancipation des personnes qui habitent les quartiers qui bordent le canal.
Dans le Familistère, qui est tant que palais social une traduction littérale de l’utopie sociale de Godin, la valeur immatérielle se traduit entre autres par le préau central entouré des passerelles qui conduisent vers les logements. C’est l’endroit où les ouvriers pouvaient se réunir en un espace rassembleur. Cet espace rassembleur peut retrouver sa place dans la structure existante en devenant l’élément fort du site. Il peut s’agir d’espaces collectifs s’égrenant le long d’un parcours, les fonctions collectives comme terrasse, café, restaurant social venant en appui aux espaces d’ateliers et de formations, à l’instar de la manière dont Godin avait pensé l’utopie sociale.
Il est possible de suivre le parcours laissé par les anciennes structures de l’usine de textile, de répertorier et de rouvrir les façade fermées, en laissant apparaître les liens tangibles avec l’héritage. Mais plus important encore : le parcours relie les fonctions collectives et ramène en avant du site les parties abandonnées à l’arrière qui jouxte les rives de la Senne et les relie avec la parties des ateliers qui est encore fonctionnelle aujourd’hui. Le parcours joue ainsi simultanément une fonction de vitrine conforme aux ambitions de Bruxelles.
Le parcours est dès lors plus qu’un espace de passage. Il devient un espace où les gens doivent pouvoir résider, se rencontrer, etc. Son pouvoir de rassembler les usagers se manifeste par lui-même. Des tables, du mobilier affirment cette fonction tout le long du parcours. Ils sont faits à partir de matériaux recyclés d’une des halles d’industrie construites après Godin. Ce hall d’industrie est démonté au profit d’un espace vert à côté du familistère. Ainsi les nouvelles habitations sociales bénéficieront d’un espace à l’extérieur qualitatif. L’habillement ultérieure du site par de l’ébénisterie pourra servir d’exercice pratique pour le centre de formation. Toutes les structures en acier seront démontables pour tenir compte de l’évolution future et de l’actualisation permanente du site.
[1] La plate-forme est composée du Bond Beter Leefmilieu, du Bral (Brusselse Raad voor het Leefmilieu), d’IEB (Inter-Environnement Bruxelles), de l’UCM-Bruxelles, de ACV Regio Halle-Vilvoorde, de la CSC Bruxelles, de l’ACW Brussel Halle-Vilvoorde et d’Unizo Regio Vlaams-Brabant en Brussel.
[2] Télécharger l’étude : http://godinlaeken.blogspot.com/201....