Les démolitions et reconstructions d’immeubles de bureaux sont légion à Bruxelles. Si elles présentent rarement un bilan environnemental favorable, elles génèrent de solides revenus à de nombreux acteurs publics et privés.
Les opérations de démolition et de reconstruction s’accompagnent souvent d’une augmentation de la surface bâtie et génèrent donc une marge supplémentaire pour le promoteur, qui augmente la rentabilité de son terrain. Ainsi, le projet VICTOR présente un rapport « plancher/sol » de 14,6 [1], soit près de 4 fois plus que la moyenne du quartier européen, le plus densément bâti en bureaux de la Région bruxelloise ! En se basant sur des hypothèses réalistes confirmées par les professionnels du secteur eux-mêmes [2], on peut facilement évaluer le coût du projet Victor. En comptant le prix d’achat supposé du terrain, le coût de la dépollution, le coût de la construction, les charges d’urbanisme (125 €/m²), les honoraires divers et le coût de la commercialisation compris, ce coût est estimé à 245 millions d’euros. Au prix du marché locatif, soit environ 220 €/m²/an, la valeur à la vente du projet est de 343 millions d’euros, en comptant 93 500 m² de surface locative nette (soit 85 % des surfaces bâties). La marge brute du projet est donc de près de 100 millions d’euros !
Quand le bâtiment va, tout va... surtout le bâtiment ! Les grands projets immobiliers sont toujours confiés à de gros entrepreneurs. Le marché fixant les prix, c’est généralement en jouant sur les salaires que l’entrepreneur génère sa marge bénéficiaire, une marge qui s’ajoute aux 100 millions d’euros calculés précédemment. Malheureusement, le secteur contribue peu à résorber le chômage des Bruxellois : pour maintenir sa marge, l’entrepreneur fait appel à de la sous-traitance en cascade, très difficile à contrôler et qui fait souvent usage de travailleurs illégaux ou payés aux salaires du pays d’origine, nombreux sur les chantiers [3].
La Région bruxelloise (I)... ou l’État fédéral ?
De toutes les Régions, c’est la Région bruxelloise qui se finance le plus sur ses recettes propres. Les recettes fiscales propres y représentent environ 50 % des recettes totales [4]. Sur la période 2002-2009, les droits d’enregistrement représentaient environ 20,5 % des recettes régionales [5]. La majeure partie des recettes fiscales immobilières de la RBC est basée sur les transactions immobilières ou les successions.
En 2009, au plus fort de la crise financière, la Cour des comptes se penchait sur le projet d’ajustement budgétaire de la Région bruxelloise. Le projet d’ajustement prévoyait des impôts régionaux 20 % inférieurs à ce qui était prévu. En cause : la crise financière bien sûr, et son effet direct sur l’impôt des personnes physiques, mais c’est surtout sur les impôts régionaux que l’impact de la crise s’est avéré le plus grand : « la réduction des activités sur le marché immobilier a entraîné celle des droits d’enregistrement. La plus forte baisse (-37,2 %) concerne d’ailleurs les principaux droits d’enregistrement, ceux frappant les ventes de biens immeubles. Ils sont revus à la baisse à hauteur de 190 millions d’euros » [6]. Un montant important qui correspond à environ 6 % du budget total…
Car les droits d’enregistrement, qui constituent la plus grosse contribution propre au budget régional, varient sans commune mesure avec le PIB ou l’inflation. Ils ont par exemple augmenté de 57 % entre 2009 et 2011. Mais si le marché s’endort, les finances bruxelloises trinquent…
On comprend dès lors toute l’importance que peut avoir la dynamique immobilière à Bruxelles. Mais dès lors qu’un immeuble est démoli et remplacé par un immeuble neuf, les droits d’enregistrement ne sont pas dus. Ils sont remplacés par la TVA qui va directement à l’État fédéral. À notre connaissance, cette manne n’est pas rétrocédée à la Région. En défavorisant la rénovation des bâtiments existants qui peut potentiellement déboucher sur une transaction soumise aux droits d’enregistrement, la Région se prive donc de recettes fiscales !
Pour les communes…
Une opération de démolition-reconstruction est la plupart du temps synonyme d’une densification et de dérogations en matière de gabarits. Une belle occasion pour les Communes de prélever des charges d’urbanisme sur les surfaces supplémentaires autorisées…
Le COBAT prévoit que les autorités délivrantes « peuvent subordonner la délivrance du permis aux charges qu’ils jugent utiles d’imposer au demandeur dans le respect du principe de proportionnalité, charges comprenant notamment outre la fourniture des garanties financières nécessaires à leur exécution, la réalisation, la transformation ou la rénovation à titre gratuit de voiries, d’espaces verts, de bâtiments publics et d’immeubles de logements ».
La pratique des charges d’urbanisme est assez ancienne, elles sont perçues généralement quand un projet déroge au RRU et s’appliquent aux surfaces supplémentaires autorisées, sous prétexte que celles-ci génèrent des besoins supplémentaires pour la collectivité et que ceux-ci doivent être financés dans un principe de proportionnalité. Les charges d’urbanisme constituent une poire pour la soif pour les Communes qui en font des usages très variés, parfois assez éloignés des besoins générés par les projets. Ces dix dernières années, les montants cumulés perçus par les Communes atteignaient la coquette somme de 96 millions d’euros [7], avec un pic en 2003 : 26 millions perçus [8] !
La Région bruxelloise (II)…
La Région n’est pas en reste puisqu’elle a elle-même perçu comme autorité délivrante environ 24 millions d’euros sur la même période. De plus, la 6e réforme de l’État prévoit que la Région pourra dorénavant délivrer elle-même les permis pour les grands projets dans les zones prioritaires. Bientôt, les projets de démolition et reconstruction de bureaux dans le périmètre du Projet Urbain Loi, dans le quartier européen, feront l’objet de charges qui seront directement perçues par la Région, qui pourra par exemple financer des investissements en matière de mobilité. Une opportunité d’autant plus alléchante pour la Région qu’elle s’est réservé le droit de percevoir des montants plus élevés lorsque les gabarits du projets dépassent la moyenne des gabarits existant dans le quartier…
Un nouvel arrêté fixant les charges d’urbanisme ? Le gouvernement bruxellois a récemment adopté en première lecture un arrêté relatif aux charges d’urbanisme imposées à l’occasion de la délivrance des permis d’urbanisme. Cet arrêté précise le principe des charges d’urbanisme déjà présent dans le Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire et étend son champ d’application, au-delà du bureau et des parkings commerciaux, aux logements, hôtels et commerces. Selon nous, le système tel qu’imaginé par le gouvernement risque bien de se révéler inefficace à bien des égards. D’abord parce qu’il confond le principe des charges d’urbanisme avec celui de la captation des plus-values (I), ensuite parce que le niveau des charges proposé n’est pas à la hauteur des besoins collectifs générés (II). (I) Le principe de la captation des plus-values se distingue du système des charges d’urbanisme principalement par son objectif (taxer la plus-value) ainsi que par les événements générateurs de son application. La captation des plusvalues est par exemple justifiée lorsque les pouvoirs publics modifient une affectation du sol ou une règlementation et que celle-ci génère du jour au lendemain une plus-value pour certains propriétaires, ou plus simplement à l’occasion d’un changement de propriétaire. Les documents préparatoires à l’élaboration de l’arrêté du gouvernement ont été mis à la disposition de la société civile. Leur analyse amène à penser que le gouvernement a eu la volonté de substituer le principe des charges d’urbanisme à celui de de la captation des plus-values. Mais ce sont deux dispositifs différents. Les charges d’urbanisme constituent une redevance tandis que la captation des plus-values est un impôt. Confondre les deux crée une solide incertitude juridique et affaiblit le principe des charges d’urbanisme qui pourrait à nouveau être attaqué au Conseil d’État par le lobby des promoteurs. (II) Le projet d’arrêté prévoit de percevoir des charges d’urbanisme sur tout nouveau projet de bureaux de plus de 500 m² et en a fixé le montant à 125 euros/m². Le problème est que ce chiffre n’est pas basé sur les besoins générés par ce genre de projet, largement supérieurs (rien qu’en matière de mobilité, les frais supportés par les pouvoirs publics pour tout nouvel utilisateur de la STIB justifie un doublement de ce montant). Le chiffre de 125 euros/m² semble plutôt avoir été fixé dans le souci de ne pas mettre en péril les plantureux bénéfices des promoteurs. Une décision prise sur base d’une étude commandée au bureau DTZ, une société multinationale spécialisée dans les transactions immobilières. Il convient de comparer ce chiffre aux charges d’urbanisme qui étaient perçues auparavant étaient même plus importantes : au début des années 90, la circulaire 8 prévoyait un montant de 60 000 BEF/10 m² (soit 148,74 euros/m²) [9]. Tout se passe comme s’il n’y avait eu aucune inflation en 30 ans... |
[1] C’est-à-dire que la surface construite est 14,6 fois plus que la surface du terrain. À titre de comparaison, le rapport P/S du quartier européen est de 4,6…
[2] Nous nous basons ici sur les données disponibles dans l’étude préparatoire au projet d’arrêté relatif aux charges d’urbanisme imposées à l’occasion de la délivrance des permis d’urbanisme (2013).
[3] « En 2012, 32 % des inspections ont permis de repérer des pratiques de travail au noir », Vers l’Avenir, 12 février 2013.
[4] VAN DER STICHELE, G. et M. VERDONCK (2001), « Les modifications de la Loi spéciale de financement dans l’accord du Lambermont », Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1733 – 2001/28.
[5] ZIMMER, P. (2007), « Les évolutions démographiques et socio-économiques de la Région de Bruxelles-Capitale depuis 1990 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1948-49 – 2007/3-4.
[6] Rapport de la cour des comptes sur l’ajustement budgétaire 2009 de la Région de Bruxelles-Capitale.
[7] Cette somme ne concerne que les charges d’urbanisme inscrites dans les permis des projets de bureaux. Le nouveau siège de l’OTAN, considéré comme un équipement (?!), a généré plus de 12 millions d’euros de charges d’urbanisme supplémentaires.
[8] Ces chiffres sont tirés des rapports de l’Observatoire des bureaux, Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction Études & Planification.
[9] Thierry Mercken, septembre 2008, Charges d’urbanisme : pratiques et perspectives, Association de la Ville et des Communes de la Région de Bruxelles-Capitale.