Inter-Environnement Bruxelles
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À l’avenue du port, les 300 platanes y sont encore…

Menacés dès 2008 par un projet de Bruxelles Mobilité, ils sont entre-temps devenus centenaires. Leur frondaison verte intense magnifie le revêtement de pavés de porphyre dont la tonalité grise varie en fonction du climat, formant la perspective de cet axe structurant, vestige historique unique à Bruxelles comme avenue portuaire.

© Caroline Bonfond - 2023

C’est le 9 octobre 2008 qu’a été délivré le premier permis d’urbanisme pour le projet qui devait profondément changer la physionomie de cette avenue légendaire. Prétexte avancé : ces arbres sont malades et vieillissants, les pavés ne sont plus de notre temps. À la place vous aurez une chaussée de béton à quatre voies de circulation, et un axe cyclable majeur.

En 2011, une mobilisation exemplaire se met en place, portée par l’APPP (Action Patrimoine, Pavés, Platanes). Une équipe prend en charge la photographie individuelle de tous les platanes, une autre leur numérotation. Deux graphistes créent le site web bilingue www.avenueduport.be. Un membre administre la page Facebook. 120 personnes s’enchaînent symboliquement aux platanes le 27 mars ; à partir du 9 avril, 13 000 signatures sont recueillies pour la pétition ; chacun des platanes est adopté par un parrain/une marraine ; 200 personnes participent au flash-mob (une chorégraphie) à Tour & Taxis le 11 mai ; en juin, des apéros sont organisés sur un terrain vague rebaptisé « Café du Port » ; placement d’une affiche géante de 12 × 15 mètres place Sainctelette pendant la semaine du 3 août ; fête du Stadsboom quai des Matériaux le 28 août…

« Dikkenek, ton projet c’est du vlek »

La fête du Stadsboom est un démarquage humoristique de la fête du Meiboom, mâtinée de fête du Doudou : les Bûûmredders [les sauveurs d’arbres] protègent ceux-ci de la Grûûte Kettingzoeg (la grande tronçonneuse) pilotée par le Bûûmekapper (le bûcheron), envoyé par le Dikkenek (c’est le technocrate agissant dans l’ombre). Les pavés émoussent les dents de la Grûûte Kettingzoeg, et les Bûûmredders tombés sont ressuscités par la geuze que dispense généreusement le Manneken-Pis. Tout finit avant la tombée de la nuit par l’enterrement festif de la Grûûte Kettingzoeg…

Le 4 septembre, il y eut aussi l’occupation temporaire de l’avenue par la Fête de la veste retournée. Il y eut encore l’organisation de la Journée « Off » du patrimoine le 18 septembre : visites commentées en continu de l’avenue du Port. Tout cela valut au comité l’attribution du « Prix du Bruxellois de l’année 2011, catégorie Société » décerné par le journal Vlan. Et finalement, le 5 octobre, le gouvernement bruxellois est condamné au pénal pour violation des normes environnementales par le tribunal de première instance de Bruxelles, qui apposa les scellés sur le chantier, juste avant que les bulldozers n’entrent en action. En effet, le permis d’urbanisme délivré avait négligé de mentionner la construction d’un caniveau technique (coût : 4 millions d’euros), et le rapport d’incidences environnementales était manquant.

Depuis, il y eut encore trois autres projets de modification intégrale de l’avenue du Port, tous recalés. Un recours devant le Conseil d’État a annulé l’arrêté régional qui refusait d’entamer la procédure de classement de l’avenue comme site. Actuellement, quatre autres recours sont encore pendants au Conseil d’État.

Une quarantaine de platanes abattus

Notre groupe reconnaît que tous les platanes de l’avenue du Port ne sont pas en excellente santé. Au cours des années, ils ont été maladroitement taillés, et la terre à leur pied est trop tassée. Ils ne bénéficient pas d’un « territoire de l’arbre » suffisant.

À cela il y a des remèdes. On pourrait replanter les arbres disparus, mais Bruxelles-Mobilité n’aime pas apporter des soins particuliers, il préfère « travailler en grand ». Cette administration prétend qu’il serait impossible de replanter un arbre dans une rangée, ses voisins lui faisant de l’ombre. Pourtant, cela réussit ailleurs (à Bruxelles-ville, à Paris). Il est aussi possible lors d’une replantation d’aérer le sous-sol par des caissons d’enracinement (système Greenmax). Ce qu’on ne vous dit jamais, c’est que la méthode « on fait tout d’un coup ; ça coûte moins cher » non seulement favorise les grosses entreprises, mais implique une mise à nu de toute la zone. Et que les nouveaux arbres « sains, plantés dans de bonnes conditions » mettent trente ans avant de développer une couronne équivalente aux platanes « bancals, malformés » actuels.

L’entretien, garant de la longévité

Une des causes cachées de la misère de l’espace public est que Bruxelles Mobilité est en sous-effectif permanent. Une conséquence des politiques néolibérales des quarante dernières années, qui visent à assécher les finances publiques par contraction des recettes. Dès lors, cette administration a tendance à regrouper les chantiers. Schématiquement, elle préfère gérer dix chantiers de 3 millions d’euros plutôt que cent chantiers de 300 000 d’euros. Pour le même budget, c’est dix fois moins de paperasse et de contrôles. Dès lors on laisse les choses se dégrader lentement, pour refaire tout à neuf une fois tous les trente ans. Et voilà pourquoi toujours il manque une planche au banc, la poubelle est de travers et le pavé déchaussé…

On pourrait replanter les arbres disparus, mais Bruxelles-Mobilité n’aime pas apporter des soins particuliers et préfère « travailler en grand ».