À la mi-juillet, le gouvernement Vervoort a signé un protocole d’accord avec les opérateurs de téléphonies mobiles (Telenet, Proximus et Orange) pour un déploiement pionnier de la 5G – Internet mobile ultra-rapide – à Bruxelles, d’ici 2020. Cette décision place Bruxelles sur la ligne de départ de cette « course que tout le monde devrait gagner » et permet de rassurer investisseurs et opérateurs sur l’horaire d’arrivée en gare du train du progrès. Mais a-t-on seulement pris la peine de s’assurer qu’il restera un conducteur en cabine ?
Car la 5G ouvre le bal d’une digitalisation de l’économie qui, loin de concerner uniquement des secteurs attendus (industrie, mobilité, finance…), entraînera des logiques de numérisation, d’automatisation, voire de robotisation dans les services publics, l’enseignement ou la santé.
Cette mutation, pilotée par les secteurs financiers et industriels, aura un impact (colossal) sur l’emploi. D’un point de vue quantitatif d’abord, la destruction d’emplois ou de tâches à l’horizon 2030 étant quantifiée (différemment) selon les bureaux d’études avec une tendance générale claire : 47% d’emplois menacés d’ici 10 à 20 ans aux États-Unis (Frey, Osborne), 54% en Europe (Bruegel) [1],1 million d’emplois en Belgique d’ici 2030 (McKinsey 2017).
D’un point de vue qualitatif ensuite puisque les nouvelles technologies vont transformer et gérer nos vies, notre travail, ce dont s’embarrassent peu les investisseurs. La croissance est le maître mot et, à l’heure actuelle, son obstacle majeur est l’absence « de capital humain numérique » [2] disponible. En retour des investissements engagés dans cette transition numérique (notamment dans l’Internet des objets) ou à engranger dans des PPP (partenariats publics-privés), les « acteurs de la télécommunication » exigent une « réglementation transparente et des autorisations rapides », « les autorités doivent garantir un climat d’investissement stable […], ainsi que des normes de rayonnement réalistes ». [3]
Avant l’échéance des élections régionales, il incombe à la Ministre bruxelloise de l’Environnement, Céline Fremault, de négocier une nouvelle norme avec les opérateurs gourmands. Du côté du cabinet de la Ministre, on avertit qu’« on ne va pas tailler un costume hyper large pour les opérateurs » [4], mais si l’on en croit le Pacte National pour les Investissements Stratégiques, présenté début septembre par Charles Michel, il devrait être assez large tout de même. Les empêcheurs d’investir en ondes seront désormais les pires ennemis de la croissance et de l’emploi. Parmi les 6 domaines stratégiques d’investissements, la transition numérique (infrastructures, sécurité, enseignement) occupe une place prépondérante et rafle à elle seule 47 milliards d’ici à 2030.
Ce que souhaitent les investisseurs c’est une norme plus pérenne que celle votée en 2014 (6v/m) et qui anticipe l’avènement de technologies encore plus avancées que la 5G. Pourtant, nul ne connaît aujourd’hui l’état de saturation du réseau qui additionne les technologies 2G, 3G et 4G.
Le protocole d’accord 5G prévoit que le Comité d’experts, mandaté par la Région, se prononce sur la future norme... Un nouvel assouplissement est à prévoir et, corollaire direct, un nouvel abaissement du niveau de protection des habitants. Depuis l’analyse percutante diffusée par le collectif ondes.brussels sur le dernier rapport soumis par le Comité d’experts, il est de notoriété publique, que leur attention porte moins sur les aspects sanitaires et environnementaux des rayonnements électromagnétiques que sur les retombées économiques de la 5G. Des retombées à géométrie variable, les exemples les plus cités de l’économie de plateforme (Uber, Airbnb…) ayant démontré l’inadéquation de notre système fiscal à prélever la richesse engendrée par le numérique et donc à en assurer la redistribution.
[1] C. Degryse, « Les impacts sociaux de la digitalisation de l’économie » [en ligne], European Trade Union Institute, Working paper 2016.02.
[2] Pacte national pour les Investissements Stratégiques – Rapport du comité stratégique. Septembre 2018 [en ligne].
[3] ibidem.
[4] Le Soir, 25 juillet 2018, p. 19.