Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

286 + 300 = 40 ans d’histoire et de luttes urbaines

En février 1999, paraissait le premier numéro de Bruxelles en mouvements (BEM). 300 numéros et 20 ans plus tard, le BEM est toujours là pour vous offrir un regard aiguisé sur les processus à l’œuvre dans notre ville, pour pointer du doigt ce qui déraille et pour appuyer là où ça fait mal lorsque c’est nécessaire.

© Philippe Meersseman - 2021

Dans ce numéro anniversaire, nous vous proposons de (re)découvrir une série de textes parus au cours de ces deux décennies. Ces textes nous paraissent intéressants par leur actualité persévérante, par l’éclairage qu’ils peuvent apporter à des processus actuels, ou encore pour ce qu’ils peuvent nous dire de l’évolution d’Inter-Environnement Bruxelles (IEB), fédération de comités de quartier et de groupes d’habitants.

Avant de plonger dans les textes, un bref historique s’impose afin de rendre justice à l’activité éditoriale d’IEB qui commence bien avant 1999. Ainsi, lorsque le premier BEM paraît, il succède à « Vivre à Bruxelles », titre qui n’aura tenu qu’un an. Il s’agit là de la tentative d’éditer un magazine grand public disponible en kiosque et tiré à près de 5 000 exemplaires tous les mois. Les moyens investis sont considérables et les conséquences de l’échec d’autant plus problématiques pour IEB qui traverse un moment particulièrement difficile suite à cette expérience.

© Philippe Meersseman - 2019

Après coup, il est facile de juger ce pari, fait à un moment où Internet annonce déjà le déclin de la presse payante et où, à l’heure où le libéralisme triomphant connaît les sommets éphémères de sa gloire, la « société civile » semble à l’agonie. Ses auteurs, forts de l’histoire et de l’expérience d’IEB, y ont néanmoins cru, et si cet échec ouvre une période difficile, il aura en fin de compte son importance dans le long processus qui permettra à IEB de connaître un nouveau souffle et de renouer avec ses débuts combatifs.

Naissance d’IEB…

IEB naît des luttes urbaines des années 60 et 70. Dans la foulée de l’exposition universelle de 58, la ville est livrée aux promoteurs. Parking 58, quartier Nord, Marolles... autant de champs de bataille de la bruxellisation de Bruxelles. Pourtant, malgré les conséquences néfastes de l’application des préceptes fonctionnalistes à travers des projets aussi méprisants de la vie urbaine que mégalos, ceux-ci débouchent sur l’émergence d’un tissu associatif exceptionnel. Ce n’est pas pour rien que bientôt on appellera Bruxelles « la ville aux 100 comités de quartier ». Dès 1971, ces groupes se fédèrent avec d’autres au sein de la section bruxelloise d’« Inter-Environnement », fédération nationale vouée à se scinder rapidement. Puis, le 29 avril 1974, c’est la fondation d’IEB, fédération censée donner la voix aux revendications spécifiques des habitant·e·s de Bruxelles, capitale déjà coincée entre la Flandre et la Wallonie, à la fois convoitée et laissée pour compte. La force de notre fédération vient à ce moment de la convergence singulière entre des habitants des quartiers populaires, mobilisés contre une politique de développement urbaine dont ils sont les premières victimes et des habitants plus aisés mais tout aussi concernés par la détérioration de leur environnement. Dans les deux cas, c’est une ville qui se fait « sans eux » sinon « contre eux ».

Se joignant aux pratiques militantes des débuts, l’écrit tient un rôle primordial dès les premières heures de la fédération. En témoignent les nombreux communiqués de l’époque, mais aussi des textes fondateurs comme par exemple les « Principes pour l’aménagement démocratique de l’Agglomération bruxelloise » qui affirment IEB à la fois comme contre-pouvoir et comme force propositionnelle.

... Et de son journal !

Fin 1978, commence à paraître « La ville et les habitants » [1], qui deviendra à partir de 1986 « Ville et habitant » puis « Ville et habitants » au pluriel de 1993 à 1998. Au long de ses 20 ans d’existence, cette publication se voudra tour à tour journal, bulletin d’action ou de liaison, périodique d’information, revue et finalement « le magazine des Bruxellois », reflétant ainsi le parcours d’IEB pendant les années 80 et 90. Elle connaîtra différentes périodicités et des tirages variant entre quelques centaines à ses débuts et pas loin de 3 000 exemplaires au milieu des années 90. S’y ajoutera dès 1979 « Quartiers », supplément traitant essentiellement de l’actualité urbanistique, notamment à travers la liste des enquêtes publiques suivies par IEB.

IEB : de contre-pouvoir à « facilitateur de dialogue »

Parcourir les pages de ces publications, c’est se plonger dans l’histoire de Bruxelles, découvrir les difficultés auxquelles les Bruxellois·e·s étaient confronté·e·s, les combats qu’ils et elles ont menés et la manière dont les enjeux ont évolué. Parcourir ces pages, c’est aussi se plonger dans l’histoire d’IEB, notamment à travers le discours et l’attitude adoptée face aux pouvoirs publics, mais aussi la manière dont la fédération se positionne par rapport à ses membres. Ainsi, dans son édito de mars 1979, René Schoonbroodt constate qu’« être positif ne sert à rien avec des gens qui de toute manière estiment qu’ils ont, seuls, raison ». Le rôle de contrepouvoir et le potentiel conflictuel de celui-ci est à ce moment entièrement assumé, mais avec la création de la Région bruxelloise, il y a une certaine convergence entre les positions défendues par les associations depuis leur naissance et les objectifs annoncés du monde politique local.

Les espoirs suscités par la naissance de la Région auprès d’IEB et de ses membres sont considérables : défense des Bruxellois·e·s face aux grands projets destructeurs de l’État fédéral, satisfaction des besoins des habitant·e·s, préservation du patrimoine et de l’environnement…

Après des années de lutte acharnée, on croit enfin venue l’heure de faire la ville avec et pour les habitant·e·s. Le politique ne demande évidemment pas mieux que d’avancer main dans la main avec un secteur associatif qui le soutient. Une fois ainsi liée, IEB se met à accomplir des missions de service pour la Région, convaincue d’oeuvrer pour la qualité de vie des Bruxellois·e·s, et ce de plus en plus au fil des années, au point de jouer les médiateurs entre habitants et pouvoirs publics lors de projets immobiliers conflictuels comme cela a pu être le cas au quartier Midi en 2004 [2].

Fin et nouveau départ

Le réveil sera douloureux évidemment, mais au moment de lancer « Vivre à Bruxelles » en 1998, ces considérations semblent encore bien lointaines et IEB ne jure que par la participation. L’équipe est embarquée dans cette entreprise considérable afin d’accomplir son vieux rêve : communiquer avec tou·te·s les Bruxellois·es. Un effort colossal est fourni pour remplir tous les mois les pages et rubriques de la publication, mais déjà l’épuisement et les difficultés financières pointent leur nez. Vient alors l’échec mentionné plus haut. Même pas un an plus tard, la publication du magazine est suspendue.

Après 286 numéros, les compteurs sont remis à zéro. Retour à l’essentiel : le premier « Bruxelles en mouvements » paraît le 12 février 1999, sous forme de quatre pages remplies des communiqués d’IEB, des actualités des comités membres et des dossiers à l’enquête et un agenda. Petit à petit, la nouvelle publication bimensuelle s’étoffe, tout en restant essentiellement le bulletin de liaison de la fédération et de ses membres. Parallèlement, IEB lance sa lettre d’info dont la diffusion dépassera bientôt largement celle du BEM tout en remplissant peu ou prou le même rôle.

C’est en décembre 2007, dans l’édito du BEM n°198, que Mathieu Sonck – alors secrétaire général d’IEB – annonce le changement de la périodicité du journal, afin de permettre à l’équipe de réaliser un travail de fond et d’analyse plus poussé. Dès le numéro suivant, la plupart des BEM comportent un dossier thématique. Cette annonce préfigure d’autres changements qui suivront rapidement et laisse transparaître les profondes remises en question qu’IEB connaît à ce moment-là. En effet, il s’agit fondamentalement de « redonner à IEB sa liberté de parole » [3].

Mise face à ses contradictions par des habitants, des membres, mais aussi des travailleurs fatigués par le grand écart pratiqué depuis la naissance de la Région, IEB finit par questionner autant sa place dans les enjeux bruxellois, sa relation aux pouvoirs publics, que son fonctionnement interne. Il faut dire que la gueule de bois est conséquente et ce n’est pas étonnant lorsqu’on finit par admettre que l’on a joué le jeu d’une politique dont les retombées sont similaires à ce que IEB s’était jurée, dès sa naissance, de combattre. Plutôt que d’oeuvrer pour la démocratie urbaine, IEB s’était laissée instrumentaliser et avait servi de « facilitateur » pour la Région, dans la mise en œuvre des politiques urbaines de celle-ci.

Tous ces questionnements impulsent ladite « année expérimentale » de 2009, pendant laquelle IEB est amenée à fondamentalement repenser ses pratiques et son fonctionnement. Il s’agit de tirer les enseignements de l’aventure entamée en 1974 : en (re)construisant une position collective sur la ville, ses enjeux et les stratégies d’action à mener ; en interrogeant la position d’IEB dans la société civile, son rapport au pouvoir politique et aux médias ; et en apprenant des nouvelles manières de faire, en repensant la structure existante et le fonctionnement de la fédération.

© Philippe Meersseman - 2019

Comme le lézard…

Parallèlement à IEB, le BEM aussi accomplit sa mue : progressivement, c’est la lettre d’info qui remplira le rôle de liaison qui avait été celui du journal. Les dossiers et les rubriques s’étoffent et en 2012, le format change à nouveau. Le BEM devient le journal format tabloïd que vous connaissez aujourd’hui. Ce changement permet d’aérer la mise en page tout en offrant plus de place aux textes et en augmentant considérablement le tirage. Désormais 5 000 exemplaires sont d’une part envoyés aux fidèles abonnés et d’une autre distribués gratuitement à travers un réseau de points de dépôt sur l’ensemble de la région. Autre changement majeur, à partir de ce moment-là, les contenus sont élaborés collectivement au travers des réunions mensuelles du comité de rédaction, qui ne compte pas que des membres de l’équipe mais aussi des contributeurs externes, ponctuels ou réguliers.

BEM 300

Les articles figurant dans ce 300 e numéro sont tous parus dans le BEM à un moment ou à un autre, seul le premier faisant figure d’exception à cette règle. Il s’agit d’un texte inédit de Christian Vandermotten qui retrace l’histoire de la planification urbaine bruxelloise et cadre ainsi de manière particulièrement éclairante cette introduction et les articles suivants.

Pour finir, un mot sur les illustrations qui accompagent les articles. En effet, qui de mieux pour illustrer ce numéro un peu particulier que notre collègue Philippe Meersseman. Ses dessins sont présents depuis 1985 dans les pages des publications d’IEB et il a longtemps oeuvré à réaliser la maquette de votre journal, avant de vous envoyer la lettre d’info d’IEB toutes les semaines depuis 2005, étoffée et ponctuée de ses touches d’humour bien balancées. Merci à lui !


[1Le communiqué de presse du 19 décembre 1978 présente « La ville et l’habitant » comme « un nouveau moyen d’action pour Inter-Environnement Bruxelles et les comités d’habitants » mais aussi comme « un moyen de communication avec toute la population bruxelloise ».

[2À ce sujet, lire l’article sur la mobilisation au quartier Midi en p. 16-17 du présent numéro.

[3Mathieu Sonck dans le numéro 274 de Bruxelles en mouvements.