Inter-Environnement Bruxelles
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2017 : Pour un hippodrome sans Drohme

Depuis son rachat fin des années 1980 par la Région, l’hippodrome de Boitsfort fait les frais de la politique d’attractivité internationale de Bruxelles. Le site, idéalement situé en bordure de Forêt de Soignes, est l’objet d’un partenariat publicprivé malmenant son plus grand attrait : un patrimoine naturel qui pourrait pourtant être un « commun » accessible à tou·tes les Bruxellois·es.

L’hippodrome d’Uccle-Boitsfort a été construit en 1875 par la volonté de la Société d’Encouragement des races de chevaux et le développement des courses en Belgique. Bien que de petite taille s’agissant d’un champ de course, il ampute dès sa naissance la lisière de forêt de Soignes de 32,5 ha. Après de fastes années de courses à plat et d’obstacles, l’activité équine se réduit jusqu’à disparaître en 1987. Les golfeurs y remplacent alors les jockeys, poursuivant la tradition des activités élitistes sur le site.

La toute nouvelle Région bruxelloise acquiert le site en 1989 et prévoit de reconvertir cette enclave de la forêt de Soignes, flanquée de 29 bâtiments au total, en un « pôle régional récréatif et de loisirs actifs ». La mise en œuvre de cette transformation attendra 25 ans pour démarrer mais l’activité golfique se maintient dans l’intervalle.

Lifting touristique

En 2014, une réfection est entreprise par la Société d’Aménagement Urbain (SAU), emphytéote mandatée par la Région pour assurer la restauration patrimoniale des principaux bâtiments du site. Elle coordonne son développement et son animation, en collaboration avec Bruxelles Environnement (BE) et le concessionnaire privé Drohme. Un partenariat public-privé est conclu avec la société Drohme Invest, filiale de VO Groupe, une concession renouvelable de quinze ans. BE prend en charge les projets de construction et de gestion d’une maison de la forêt – qui deviendrait un centre éducatif à la nature –, et d’une plaine de jeu d’ampleur régionale. La mission de Drohme est de développer et gérer l’animation et l’exploitation d’un parcours d’accrobranche, du golf, du mini-golf, du « Village des paris » et de la Brasserie du Pesage.

Sans oublier la gestion et l’exploitation lucrative du parking principal que la Région promet de légaliser et d’agrandir via la modification du Plan régional d’affectation du sol (PRAS). Nous y reviendrons. De son côté, la SAU entreprend de rénover les principaux bâtiments pour 7 millions d’euros. FEDER investit dans le projet 4,2 millions d’euros et Drohme Invest engage 9 millions pour des rénovations et aménagements (principalement de l’intérieur des bâtiments).

L’hippodrome est par ailleurs désigné nouvelle « porte d’accueil de la forêt de Soignes » bruxelloise, au sein d’un réseau inter-régional de plusieurs portes et points d’accès tels que le Rouge-Cloître, Groenendael, le Parc de Tervuren en Brabant Flamand et le Domaine régional Solvay de La Hulpe en Brabant Wallon.

Horeca, patinoire, accrobranche, éco-golf, le tout flanqué d’un grand parking, c’est un vrai parc d’attraction green dans un cadre idyllique que Drohme Invest veut offrir aux classes supérieures et aux entreprises via son « pack team-building » [1] qui propose à la fois des initiations au rockband, à la céramique, à la balade en forêt… Il a un nom : Melting Park. Une proposition considérée par la Région comme un atour renforçant son attractivité touristique, grâce à ses 5 axes de programmation : nature, sport, culture, éducation et détente. Un parc auto-estampillé vert qui prône une écologie du luxe, de l’apprentissage des petits gestes, de la prise de soin de soi, du manger bio et s’adresse aux bourses bien remplies.

Horeca, patinoire, accrobranche, éco-golf, le tout flanqué d’un grand parking, c’est un vrai parc d’attraction green dans un cadre idyllique que Drohme Invest veut offrir aux classes supérieures.

Recours contre l’événementiel

Dès 2017, pressé de rentabiliser son investissement, le concessionnaire exploite les infrastructure déjà fonctionnelles telles que le golf et la « terrasse O2 » et propose le site à la location événementielle avant même son inauguration officielle, prévue en 2019.

Très vite, le volet événementiel prend une place prépondérante. Pas étonnant sachant que pour être rentable, un évènement doit être organisé tous les trois jours, soit 124 par année. Ce glissement en faveur de l’évènementiel est rapidement dénoncé par les associations environnementales et de nombreux·ses riverain·es qui estiment ces activités incompatibles avec le respect du site, zone Natura 2000.

Une kyrielle de permis d’urbanisme et d’environnement sont introduits… suivis d’un chapelet de recours portés par des riverain·es et des associations. Les demandes de permis sont effectuées par « poches » et ne concernent pas la totalité du site. Leur impact global n’est donc pas étudié et est difficile à appréhender. Ce saucissonnage est dénoncé par les associations investies pour la défense du patrimoine naturel du site, qui saisissent à de nombreuses reprises le Conseil d’État, contre les filets de protection entre la piste de l’hippodrome et le golf, contre l’exploitation du bâtiment du pesage en brasserie, contre diverses régularisations de travaux effectués sans permis… Dresser une liste exhaustive de ces procédures relève d’un travail de copiste car plusieurs recours sont parfois introduits contre un seul et même permis, portés par différent·es requérant·es et traités par différentes chambres du Conseil d’État.

Parallèlement, les activités privées bruyantes et génératrices de foules de la terrasse O2 donnent lieu à de nombreuses plaintes et constats d’infractions qui ne semblent pas empêcher le concessionnaire de poursuivre ses activités. Néanmoins, le développement du site tel que Drohme Invest l’avait imaginé est contrarié.

Face à ces vives oppositions, en 2020, le gouvernement régional sort un nouveau master plan pour la gestion du site dans lequel le rôle de l’administration de l’environnement (BE) est revu et augmenté. BE initie alors un processus de dialogue avec les associations… hélas en aval de ce plan directeur. Un dissensus oppose « la société civile » et l’administration : BE ne souhaite pas abandonner son projet de construction d’une maison de la forêt, isolée du bâti existant, juste à la lisière de la forêt. Si la mise sur pied d’un espace pédagogique à l’hippodrome est plébiscitée, la société civile estime que cette construction sise sur un sol vivant et à l’orée de la forêt serait dommageable et que cet espace éducatif pourrait aisément être accueilli dans l’un des nombreux bâtiment du site. Autour de la table, le projet crispe et l’incompréhension est mutuelle. Quelques années plus tard, l’édification de la maison de la forêt est abandonnée et le dialogue se fluidifie. La reprise en gestion par l’administration de différents éléments du site semble se dérouler de manière respectueuse du caractère naturel du site.

Néanmoins, en compensation des pertes infligées par la limitation des projets événementiels et la diminution de la superficie du golf de 150 m 2, la concession de la SA Drohme a été prolongée de 5 ans (20 ans à dater de 2014).

Un parking en forêt

De leur côté, les associations défendent le cadre idyllique de la forêt de Soignes : une exceptionnelle hêtraie cathédrale centenaire, une biodiversité riche mais fragile, et même… fragilisée. Outre le réchauffement climatique, les dégradations engendrées par les humains et leurs activités sont bien réelles. Si les filets protègent les promeneur·euses d’une balle de golf égarée, leur impact n’a pas été étudié sur l’avifaune, dont les chauves-souris, espèces protégées. Les activités festives et bruyantes organisées par Drohme génèrent une pollution lumineuse, attirent des foules (1 750 personnes par événement) et des usager·es qui piétinent la flore, la faune, les sols.

Ces activités sont facilitées par l’exploitation d’un vaste parking… illégal. Il se situe en effet dans un périmètre reconnu au PRAS comme zone forestière, qui ne tolère que des parkings accessoires à l’activité forestière. En 2022, fidèle au master plan qu’elle a rédigé, la Région introduit une demande de modification de l’affectation du périmètre du parking en zone d’équipement d’intérêt collectif ou de service public. Un arrêté légaliserait ce parking de fait et en augmenterait la capacité pour atteindre plus de 300 places dont la gestion serait confiée à l’opérateur privé Drohme Invest. Le gouvernement justifie cette demande soumise à l’enquête publique par l’intérêt collectif que représente cet espace de parcage et par son historicité, photos aériennes de 1920 à l’appui. Des arguments considérés comme inaudibles par les associations et collectifs de riverain·es qui ont justement introduit de nombreuses actions en justice contre l’utilisation dévoyée de la zone forestière.

De plus le parking est située à 60 mètres de la Zone spéciale de conservation (autrement dit zone Natura 2000), et est donc sis en « zone tampon » où il est interdit de construire, et de poser un revêtement de sol.

IEB et les associations environnementales ont estimé cette modification du PRAS inacceptable. Celle-ci signifie de facto un détricotage des protections octroyées à la nature dans la région et constitue un dangereux risque de précédent. Les aspects de mobilité mis en avant pour justifier ce parking dans le dossier mis à l’enquête publique ne tiennent pas non plus la route. Dans le Règlement régional d’urbanisme (RRU), le site est classé en zone d’accessibilité B, soit « bien desservie » en transport en commun. La présence d’un parking incite à recourir à l’usage de la voiture, ce que tous les plans de mobilité régionaux tentent de limiter depuis des décennies.

Un argument sanitaire s’ajoute au plaidoyer contre la modification. Le parking se situe en zone de captage d’eau destinée à la consommation humaine et il constitue un risque non négligeable de pollution de la nappe phréatique.

Ces activités sont facilitées par l’exploitation d’un vaste parking… illégal.

Partenariat public-commun

Malgré les avis circonstanciés rendus par la société civile lors de la procédure de concertation, détaillant les déraisons tant sociales qu’environnementales d’une telle modification du PRAS, quelques mois plus tard, la modification sera entérinée. Mais, le 25 octobre 2024, le Conseil d’État annulera la modification du PRAS suite à un recours introduit par des riverain·es. Ce rebondissement encourage bien sûr le cabinet de Rudi Vervoort et Perspective.brussels à réécrire illico l’arrêté. Dans la foulée, il est soumis au Conseil des ministres à la mi-décembre, juste avant les fêtes, en vue de consolider le changement d’affectation, et de réaliser le parking coûte que coûte. La suite sera écrite en 2025 mais pour IEB, l’histoire récente démontre l’incompatibilité des visions de Drohme SA – et de certains membres du gouvernement de la Région – avec le respect de l’environnement singulier de la forêt de Soignes. L’allongement de la concession de ce partenaire privé empêche le gestionnaire public de reprendre pleinement les rênes de l’hippodrome afin qu’il remplisse sa vocation de commun, de zone propice à l’éveil et à l’éducation à la nature. Une fois l’hippodrome débarrassé de l’exploitation commerciale, pourquoi ne pas imaginer une autre forme de gouvernance, un « partenariat public-commun » où la Région défendrait l’interêt général en compagnie de la société civile, qui veillerait plus spécifiquement au respect de l’environnement.


[1« Tous les goûts sont permis ! Chaque activité est encadrée par un professionnel ou artisan, permettant de renforcer l’esprit d’équipe tout en valorisant les talents de chacun·e en fonction de ses affinités. » Drohme SA, www.drohme.be.