Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Rénolution : contexte et dérives

À Bruxelles, le secteur du bâtiment est le vilain petit canard des émissions de gaz à effet de serre [1] : le CO2 est de loin le principal émis sur le territoire régional (91 % en 2022). Le chauffage des bâtiments (résidentiel et tertiaire) totalise à lui seul 56 % des émissions directes de GES de la Région bruxelloise. À titre de comparaison, le secteur des transports totalise 24 % des émissions en Région bruxelloise, dont la quasi-totalité provient du transport routier. Ensemble donc, les bâtiments et le transport représentent 80 % des émissions directes de GES de la Région. Ces chiffres expliquent à eux seuls la diversification de stratégies mises en œuvre par les derniers gouvernements : la zone de basse émission (LEZ) sur de grandes portions du territoire, interdisant la circulation aux véhicules les plus polluants ; la stratégie « Good Move », pour décourager l’usage de l’automobile en ville ; la stratégie « Renolution », pour activer les travaux de rénovation et d’économie d’énergie des bâtiments… Le tout pour permettre à la Région de tenir ses engagements climatiques. Pour le logement, l’enjeu est de taille puisque celui-ci est amené à se conformer aux objectifs de l’Union européenne de certification de la Performance énergétique des bâtiments (PEB), sorte de carte d’identité énergétique d’une habitation, qui comporte une échelle de classification et des indices allant de A (très économe) à G (très énergivore).

Le PEB d’une « habitation/logement » (appelée « unité PEB ») est un calcul théorique de la dépense énergétique de l’enveloppe d’un bâtiment (sa constitution physique), nécessaire au maintien d’une température ambiante de 18 °C, dans chaque pièce, pendant les douze mois de l’année. Un modèle théorique déconnecté des consommations réelles puisqu’il ne tient pas compte des comportements de consommation d’énergie des personnes qui y vivent. Un collectif d’auteur·ices s’est fendu d’une carte blanche [2], mi-octobre, pointant les limites de la PEB et souhaitant que la stratégie européenne centrée sur le concept de la PEB et sa transposition dans le droit régional bruxellois soit revue. Il·es y mentionnent plusieurs études menées à l’étranger et à Bruxelles, qui comparent l’évolution des scores PEB d’un logement aux consommations réelles des occupant·es (au compteur donc !). « Les chiffres sont cinglants : alors que la consommation réelle devrait chuter drastiquement au fur et à mesure que le score PEB glisse de G vers A, on observe au contraire que cette consommation réelle se maintient à un niveau relativement constant. » Elle est grosso modo équivalente à la consommation médiane théorique du niveau C de la PEB. « En effaçant les personnes qui habitent, la politique actuelle nous donne un chèque en blanc : tant que nous isolons, nous pouvons consommer sans modération tout en profitant des subsides », soulignent encore les auteur·ices, tout en référençant les études qui mettent en évidence les effets rebond après isolation.

La stratégie Renolution est coulée dans une ordonnance : le Code bruxellois de l’Air, du Climat et de la Maîtrise de l’Énergie – CoBrACE, adoptée en février de cette année. Un cadre normatif qui prévoit des obligations et des amendes pour les propriétaires qui n’effectueraient pas les travaux désormais obligatoires. Par exemple, l’ensemble des logements dits « passoires énergétiques » disposant des indices médiocres F et G devront être rénovés d’ici à 2033 afin d’atteindre au minimum la classe E (c’est-à-dire une consommation d’énergie théorique inférieure ou égale à 275 kWh/m²) ; les logements PEB D et E devront quant à eux avoir été rénovés au plus tard en 2045 afin d’atteindre au minimum la classe C (soit avoir une consommation d’énergie théorique inférieure ou égale à 150 kWh/m²). L’ensemble du bâti bruxellois devra par conséquent avoir atteint la classe C en 2045. Le chantier à mener d’ici 2033 est conséquent alors que 41 % des appartements et 71,7 % des maisons relèvent des indices PEB F et G [3]. Des dérogations aux exigences à atteindre en matière de PEB pourront être accordées s’il s’agit des critères de faisabilité technique, fonctionnelle et économique. Or, les primes, réactivées en octobre (après leur suspension au mois d’août) et jusqu’au 31 décembre 2024, ne suffiront pas à rencontrer de telles ambitions [4]. D’autres modes de financement de la stratégie Renolution, d’autres outils économiques et sociaux doivent être mis en œuvre de façon structurelle et pérenne : le mécanisme de tiers payeur, une banque d’État, des régies communales autonomes, des rénovations par quartiers ou rue, le déploiement régional de réseaux de chaleur (à l’échelle d’une rue, d’un quartier ou d’un îlot)… Des exemples fonctionnent à l’étranger. En Allemagne, la banque publique KFW (Kreditanstalt für Wiederauf- bau – Établissement de crédit pour la reconstruction) accorde des prêts avec le dispositif du tiers payant pour la rénovation des logements. La banque prête et le remboursement se fait via la facture d’énergie. Aujourd’hui, les 60 % de locataires bruxellois·es qui contribuent au dispositif de primes Renolution via leurs impôts ne vivent pas, pour la majorité, dans des logements isolés et/ou salubres. Les primes Renolution sont en effet majoritairement captées par les ménages à hauts revenus, qui peuvent mobiliser du capital pour la rénovation énergétique de leur bien et ensuite toucher les primes sur la base des factures finales des travaux. Au bout du compte, ils peuvent louer leur bien, avec un label PEB boosté, et augmenter le loyer perçu au prix exorbitant du marché locatif privé. La stratégie Renolution manque ici l’occasion d’être une politique sociale. Pour ce faire, elle doit être combinée à un plafonnement strict des loyers.

par Stéphanie D’Haenens

Chargée de mission


[1Pour rappel, l’effet de serre est un phénomène naturel mais les émissions de certains gaz (gaz carbonique, CO2 ; méthane, CH4 ; ozone troposphérique, O3 …) liées à des activités humaines l’accentuent et provoquent un réchauffement accru de la planète.

[2M. CHAPURLAT, J. ETIENNE, E. SMEESTERS, D. VANDER HEYDER, « Les limites de la PEB », http://peb.limited, 15 octobre 2024.

[3Chiffres issus du PACE, p. 66, disponible en ligne.

[4Lire à ce sujet les éditos des Bruxelles en Mouvements d’octobre 2024 et d’avril 2023 : « Pour une Renolution publique du bâti bruxellois », BEM n°332 ; « Pour une rénovation ambitieuse du bâti bruxellois… avec un encadrement des loyers ! », BEM n°323.